« Je suis un enfant de Marx et des Beatles » disait dans un entretien passé Ivan Messac, artiste heureux.

Étudiant en philosophie à Nanterre en 68, benjamin de la Figuration narrative, il est aujourd’hui un de ses derniers représentants historiques encore d’active, avec Erro, Adami et Klasen. Faiseur d’images, peintre, dessinateur, affichiste, sculpteur, décorateur, artiste aux multiples talents, toujours bon pied bon œil à soixante-quinze ans, Ivan Messac expose aujourd’hui à la galerie T&L ses Pop drawings and more des années 70 aux années 80, plus quelques œuvres actuelles pour leur tenir compagnie en (in)fidélité à lui-même. Une exposition où rien du passé n’a pris une ride – ni ne fait « daté ». Loin de toute nostalgie et des pieuses rétrospectives. Art vivant.

Rejetant l’Abstraction lyrique et l’Art conceptuel des années 50, la Figuration narrative est le dernier mouvement artistique un tant soit peu solidaire qui, dans l’histoire de l’Art en France au vingtième siècle, rassembla peu ou prou les peintres d’une même génération pré et post soixante-huitarde sur le thème de l’engagement politique et de la critique de l’idéologie « bourgeoise » de l’Art. Tout était politique dans les années 60, l’Art en premier.

« Je me voyais comme un faiseur d’images, plus que comme un peintre, raconte Ivan Messac. Nous nous voulions des travailleurs comme les autres, loin de la vision romantique de l’artiste. J’étais engagé mais sans militance, et j’inclinais du côté des situationnistes. »

Pour les tenants hétérodoxes de la Figuration narrative, il s’agissait, partant du monde réel, d’écrire des histoires en peinture, par des allusions directes ou allégoriques aux évènements contemporains, aux combats politiques et sociétaux de l’heure, en s’appuyant mimétiquement sur le cinéma, la pub, la photographie, la BD, l’affiche, dans un vaste détournement, sur un mode ironique et provocateur, des images d’elle-même où se mirait et s’auto-célébrait la société de consommation.

Mais c’était de la vraie peinture savante, de grand style, mêlant Pop Art, futurisme et constructivisme. Un Art politiquement, intellectuellement rebelle, et artistiquement, formellement, de facture classique. Fromanger, Arroyo, Récalcati, Cueco, Klasen, Télémaque, Aillaud, Rancillac, Monory, Cremonini, Erro, Adami, sans oublier le jeune Ivan Messac, devinrent les phares de l’époque, adoubés par les stars philosophiques du moment – Foucault, Deleuze, Althusser, Derrida.

Des œuvres-majeures, aujourd’hui dûment muséifiées, témoignent de cette ultime mouvance artistique française : Les quatre Dictateurs d’Arroyo (1963), au premier rang desquels Franco, qui firent scandale ; Vivre et laisser mourir ou la fin tragique de Marcel Duchamp (1965), œuvre collective d’Arroyo, Aillaud, Recalcati ; plus, des mêmes, La Datcha (1969), où voisinent Lacan, Lévi-Strauss, Roland Barthes et Althusser ; ou encore Les Chieurs, d’Ivan Messac (1972), un polyptique sur toile que le Centre Pompidou est en passe d’acquérir, précédé en 1969 d’une fresque sur papier de dix mètres de long sur les murs de la faculté de Nanterre. Sans oublier, fruit collectif de la communauté des Malassis, Le grand Méchoui ou douze ans d’histoire de France. (1972) qui, lui aussi, fit scandale ; ou encore Mao sur le Grand Canal à Venise, d’Erro (1975).

Revenons à l’exposition Messac. Fin des années 80 : la Figuration narrative ayant épuisé ses ressorts contestataires, en voie d’être récupérée par le marché de l’art et les musées à la page, Messac passe à l’abstraction puis, carrément, à la sculpture, en un véritable outing artistique. De 1991 à 2003, il produira cent trente œuvres sculptées de grande dimension, certaines en carton, d’autres en marbre de Carrare.

2004, c’est le grand retour de Messac à la figuration, avec des séries de portraits symboliques, séries plus que jamais branchées sur les pulsations de l’époque, ses mythologies familières et ses têtes d’affiche : Guitar Heroes (My Generation, avec Joan Baez, Bob Dylan) ; rock stars, avec un hommage à Gene Vincent le météore chaotique, vêtu et ganté de cuir noir, dévasté par l’alcool (Crazy Legs, 2008).

Galerie T&L, quinze ans plus tard. Se succèdent dessins, aquarelles, gouaches venues tout droit du Pop Art des Seventies, revisitées par Messac l’éclectique en un tintamarre rétro, joyeux, ludique et engagé, comme le furent ces temps anciens où artistes, philosophes, actionnistes étaient en première ligne de la refonte du monde.


INFORMATIONS PRATIQUES
« Ivan Messac | Pop Drawings and More » 
Exposition du 31 mai juin au 18 juin 2023
Mardi/samedi 14h-19h

Galerie T&L
61 rue de la Verrerie 75004 Paris

Un commentaire

  1. Cher Gilles Hertzog,

    Quel plaisir de lire un article écrit et bien documenté. Je suis sensible au fait que vous contextualisez mon travail et donnez ainsi des clés pour l’aborder. Nous pourrions croire, puisqu’il n’a pas pris une ride, qu’elles ne sont pas nécessaires. Pourtant ces clés le sont bien souvent. Je vous remercie d’avoir cité les noms des artistes de la Figuration narrative, qui par leurs œuvres et par les combats qu’ils ont menés, ont contribué à donner vigueur à la création contemporaine.

    Ivan Messac