Il se produit parfois de petits miracles, apparemment sans importance, qui n’en sont que plus enthousiasmants.

Evan Gershkovich, un jeune journaliste d’origine russe et de nationalité américaine, en reportage à Iekaterinbourg à mille cinq cents kilomètres à l’Est de Moscou pour le Wall Street Journal, est arrêté sous prétexte d’espionnage.

La presse anglo-saxonne se mobilise, et l’écho de ses protestations parvient à Bernard-Henri Lévy, familier des colonnes du grand quotidien de New York. Celui-ci, sans trop y croire, le prie d’aider à relayer l’émoi de la profession sur les rives de la Seine, auprès des médias français.

La tâche n’est pas évidente.

Un journaliste étranger, parfaitement inconnu du grand public français, arrêté au fin fond de la Russie… Le dernier en date d’une longue liste de professionnels de l’information, blessés, tués, enlevés en plein reportage sur les fronts de guerre, dans toutes les zones grises de la planète… On a vu pire ou, en tout cas, plus spectaculaire…

Outre que cette arrestation est, à l’évidence, un signal on ne peut plus clair adressé aux correspondants étrangers à Moscou de ne pas se mêler de trop près, sinon à leurs risques et périls, de ce qui ne les regarde pas dans la Russie en guerre, où les choses pour Vladimir Poutine tournent mal face aux défenseurs ukrainiens et à la paupérisation croissante de la population russe.

Ce « Circulez, il n’y a rien à voir » aurait pu impressionner les intéressés, voire dissuader les médias français de monter au créneau et de prendre ainsi le risque – qui sait ? – de fragiliser leurs propres correspondants sur le terrain…

C’est l’inverse qui s’est produit. Et vingt-deux médias de toutes tendances qui, pour certains, entretiennent une vive et saine concurrence, ont signé un texte de protestation remis à l’ambassade de Russie, une forteresse bunkérisée, sise boulevard Lannes, gardée par les gendarmes français comme si c’était la réserve en or de la Banque de France.

Cette unanimité sans faille est une grande Première. Dépassant les rivalités, les inimitiés, les querelles idéologiques et politiques, la presse et les médias français, en faisant front commun, ont montré à leur tour que la liberté d’informer, quand elle est menacée, est une menace pour tous.

Espérons que cette alliance sur l’essentiel durera.

Espérons qu’elle aidera aux démarches de toutes sortes qu’il convient maintenant de mener pour sauver des geôles de Vladimir Poutine Evan Gershkovich.

Son sort, sa remise en liberté, la reconnaissance de son honneur, sont, en France comme aux Etats-Unis, l’affaire de chacun. 


Pour lire la lettre ouverte à l’Ambassadeur de Russie en France Alexei Mechkov.

Un commentaire

  1. L’opinion qu’ont d’Evan Gershkovich les citoyens d’un pays non-aligné de nouvelle génération ne devrait pas influer davantage sur cet instrument de l’État de non-droit qu’est l’appareil judiciaire poutinien, que ne parviendraient à le faire, auprès de l’incestueuse fratrie des Grand-Russiens, les survivants d’Euromaïdan.
    Gershkovich est-il un espion américain ? S’il l’était, il aurait signé une lettre stipulant qu’en cas de capture, il ne révélerait sous aucun prétexte sa couverture, l’objet de sa mission a fortiori, fût-ce sous la torture, sous peine de voir ses aveux réfutés par sa hiérarchie.
    Ceci étant posé, il est impossible de ne pas voir qu’un membre de la presse libre tel que qualifié par Emma Tucker, sa rédactrice en chef, ne fait qu’endosser son propre rôle, en d’autres termes, remplir ses fonctions et obligations envers ses concitoyens du monde, quand il tente d’arracher au néant les secrets d’un désastre en gestation constante.
    Si la justice russe reproche aujourd’hui quelque chose à Evan Gershkovich, cela pourrait être simplement qu’il ait fait son métier dans un pays où la liberté d’expression est assimilée à un crime de haute trahison.
    La probabilité pour que la CIA ait recruté un correspondant du Wall Street Journal en Russie nous paraît, ce faisant, assez faible, mais qui sait si le sentiment que nous partageons avec vous sur cette affaire ne dénote pas une mise en abyme de l’opération Peyotl digne d’un agent de la DGSE ?
    Evan Gershkovich est une monnaie d’échange ; une stature de Iossef kafkaïen ne lui donnerait que plus de valeur, aussi bien auprès de nous, otages de Big Brotherovich, que de ses ravisseurs.
    Une agence qui était passée maître dans la proxy war saura-t-elle recouvrer ses instincts de manière à pouvoir actualiser ses méthodes après trois décennies d’hibernation auto-intoxicantes sur fond de réchauffement climacique des relations Est-Ouest ? Rien n’est moins sûr : d’où l’urgence d’entamer un programme de rééducation géostratégique pour un camp de la démocratie qui, s’il refusera toujours de s’exporter en bloc, devra au demeurant éviter à tout prix le faux pli du repli.