Le sieur Voltaire, libre-penseur et mécréant bien connu, qui écrivait du christianisme qu’il était la religion « la plus ridicule, la plus absurde et la plus sanguinaire qui ait jamais infecté le monde », continue de faire des siennes, plus deux siècles et demi après son Traité sur la tolérance, via l’un de ses plus fidèles disciples, Richard Malka, avocat du très iconoclaste Charlie Hebdo, puni dans le sang en janvier 2015 par les frères Kouachi au siège-même du journal, pour avoir reproduit neuf ans plus tôt les caricatures sur le thème du Prophète Mohamed parues dans un journal danois en 2005.

Le 17 octobre dernier dans la salle Voltaire qui n’a jamais mieux porté son nom, devant la cour d’assises spéciale de Paris en appel du procès des attentats de janvier 2015, Malka prononce une exceptionnelle plaidoirie, que publient aujourd’hui les Éditions Grasset, sous le titre tout trouvé – suivez mon regard – de Traité sur l’intolérance, et dont voici un peu de la substantifique moëlle.

À l’instar de son Maître en esprit, Malka tient pour accusé la Religion. Passant en revue l’islam au grand galop, il remet debout, au passage, quelques vérités concernant le Coran, le prophète Mohamed et les sourates « guerrières » dont s’autorisent faussement les islamistes pour tuer au nom d’Allah.

Un peu d’histoire. Deux courants naissent en parallèle avec l’islam à la fin du premier millénaire. Le premier est l’école des mutazilites, pour qui ne pas agir selon la raison contredit la nature même de Dieu. Face à lui, les hommes ne sont pas privés de liberté. À ce courant rationaliste va s’opposer un courant dogmatique, l’hanbalisme, qui l’emportera très vite. Il prône une lecture littérale du Coran, texte incréé qui reproduit la parole-même de Dieu. Hors de ce texte sacré – alors qu’écrit soixante-quinze ans après la mort du Prophète par d’innombrables rédacteurs, ainsi que le rappelle Malka. Eh oui, il faut se faire une raison : le Coran a été écrit après Mahomet par d’autres que lui  –  rien n’existe. Ni pensée, ni spéculation, ni philosophie, ni arts. Tout doit s’effacer, se taire sous peine d’être considéré comme blasphème et puni de mort. Descendants directs de ce courant hanbaliste aujourd’hui : le wahhabisme, le salafisme, les Frères musulmans, les Talibans, Daech, Al Qaïda, adeptes d’un Dieu tout-puissant qui écrase les hommes.

Sauf que c’est en parfaite contradiction avec le texte sacré que les terroristes se font les instruments auto-proclamés de Dieu, pour verser le sang des mécréants en pure usurpation. C’est Dieu, « le maître de la vengeance », qui seul châtie ou pardonne. Et par définition, cela se passe au ciel (sourate 3, verset 4).

Quid, tout de même, du fameux verset dit de l’Épée ? « Tuez les infidèles partout où vous les trouverez, capturez-les, assiégez-les, dressez-leur des embuscades. »

Réponse de Malka : On ne sait si c’est le verbe tuer ou combattre qui a été utilisé. De plus, est-il question des infidèles, des païens ou des polythéistes ? Enfin, le verset suivant de la sourate 9, dit exactement le contraire, incite à la protection des infidèles auxquels il faut « accorder l’asile. » Enfin et surtout, le verset 256 de la sourate 2 proclame qu’« il n’y a pas de contrainte en religion. »

Sauf, encore une fois, que les théologiens hanbalistes ont inventé la théorie de l’abrogation des versets pacifiques par les versets guerriers, pour les besoins de la cause, quand l’empire arabe a commencé sa prodigieuse expansion militaire.

Quant aux versets 89 et 91, dits de la « rupture des alliances », à propos des mécréants, « Tuez-les partout où vous les trouverez », il ne s’agit pas de religion mais de rupture politique avec des tribus médinoises, dont des tribus juifs qui refusent l’alliance avec ce prédicateur isolé.

Quant aux hadiths, ces rapportages d’une communication orale du Prophète comme de ses faits et gestes jadis, ils sont si nombreux, et pour beaucoup si peu fiables, que nombre de théologiens musulmans les écartent, pour ne considérer comme authentique que le Coran.

Même chose du blasphème, dont font un usage mortifère, devant la plus légère liberté, les fous de Dieu pour perpétrer leurs crimes. Le mot, tout bonnement, n’existe pas dans le Coran. À la place, on trouve le verset 140 de la Sourate 4, que cite longuement Malka : « Quand vous entendez qu’on renie les versets d’Allah et qu’on s’en raille, ne vous asseyez point avec ceux-là jusqu’à ce qu’ils entreprennent une autre conversation. » Pas l’ombre d’un foudroiement.

Enfin Malka juge que la Torah est un texte bien plus guerrier et punisseur que le Coran, en matière d’apostat, d’adultère, d’homosexualité et du reste. « Ce ne sont pas des textes de paix ni d’amour », conclue-t-il. D’où « que l’on en finisse avec l’obligation de respecter les religions », ces machines à intolérance, à enfermement de l’esprit. Que l’on respecte au pays de Voltaire et ailleurs « le droit d’emmerder Dieu. »

En bref, voilà un vademecum pratique pour un islam des Lumières, à l’intention des lecteurs, musulmans ou non, d’un Coran rendu à sa complexité, contextualisé dans son temps et ouvert à l’étude.

À quand, dans l’islam, l’équivalent de la Torah pour la Bible ?