Souvent flamboyant, parfois sombre ou discret, Jean-Pierre Campos aurait pu être le personnage d’un roman de Flaubert dont tous les excès trouvent une origine dans des aspirations contrariées.

Communiste de la première à la dernière heure, ce baby-boomer nourri à la table des héros de la guerre d’Espagne, du Front populaire et de la Résistance inclinait à la grande réconciliation. Celle des peuples et de leurs gouvernants. Des églises et des infidèles. Des mères et de leurs filles. Et dans l’ordre familial ainsi établi, la mélodie lui était venue d’une ritournelle imprescriptible : le collectif doit l’emporter, le collectif est plus fort que l’individu, le bien commun est l’avenir de l’homme.

La vie de Jean-Pierre Campos se confond ainsi avec celle de sa ville : Nanterre, où, comme il aimait à le rappeler avec malice, il y a tout pour plaire.

Il avait milité très jeune. Combattu sans relâche tout ce qui était assez loin à sa droite. Il fut un élu généreux, infatigable et fidèle à son idéal. Jamais pris en défaut d’altruisme. Même aux pires heures de la ville, en mars 2002, quand le Conseil municipal fut décimé par l’acte insensé d’un frustré de la politique : dix-neuf blessés, huit morts dont deux femmes exécutées à bout portant dans ses bras. Miraculé, « seulement » touché d’une balle à l’abdomen, Jean-Pierre Campos en gardera un goût exalté pour la vie et pour les autres.

Sombre, il l’était devenu à la chute du Mur et du communisme soviétique. Il fallut bien se rendre à une évidence plus tenace encore que ses rêves. Le modèle tant défendu devenait indéfendable. On ferma les yeux pour ne les rouvrir qu’à Cuba, de temps à autre, sur les vestiges moins gris d’un collectivisme exotique. L’idéal battant de l’aile, lui sont restés le social et la famille. La ville de Nanterre, sa diversité, grandeur et misère du petit peuple dépossédé. L’espoir réduit aux maigres acquêts. Le Parti, toujours avec un grand P, comme refuge à présent dérisoire. Mais jamais au grand jamais, il n’a abdiqué. Puisqu’il était le digne fils d’un républicain antifasciste, héritier, comme Gilles Hertzog qu’il souhaitait rencontrer, d’un passé glorieux, il aura parcouru deux vies en une seule existence : une avec ses camarades et l’autre avec sa famille. De celle-ci, qu’il a tant chérie et qu’il redoutait de devoir quitter, difficile de ne pas parler. Plus qu’une famille, c’était une grande famille, juste et intransigeante. À l’image que ce flaubertien malgré lui voulait conserver de son horizon politique. Il est désormais vain de vouloir distinguer l’homme et son engagement. Disons qu’il reste l’amour. C’est-à-dire l’amour des autres.