En 2022, deux reines ont disparu : Elizabeth II et Vivienne Westwood. La première a défendu la couronne britannique ; la deuxième, l’irrévérence anglaise.
Avec un style choc et des coupes provoc’, ses vêtements transpiraient la rage. Déchirés et traversés d’épingles à nourrice, ils incarnaient la colère d’un pays nécrosé par la récession. De ce désenchantement est né le punk. Ce mouvement contestataire rassemblait les parias de toutes les classes sociales qui hurlaient leur rejet des valeurs établies et trouvaient refuge dans les créations de Vivienne Westwood, anticonformistes et révolutionnaires.
Il y a quelques jours, à Marrakech, je regardais les adolescents ouvrir leurs cadeaux sous le sapin de Noël. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que leur marque favorite n’était ni Gucci, ni Saint Laurent, ni Chanel, mais bien, Vivienne Westwood. Devant mon étonnement, la créatrice Vanessa Seward, qui se trouvait à mes côtés, me fit part de l’intérêt de la jeune génération pour la marque anglaise. Des mots qui m’ont profondément ému. Vivienne Westwood semblait immortelle.
Peu de temps après, le 29 décembre, nous apprenions sa mort. Sur Instagram, je voyais s’abattre une avalanche d’images représentant ses performances vestimentaires, plus folles les unes que les autres. Son effigie apparaissait sous toutes les formes.
Je me suis alors souvenu de mon premier voyage à Londres avec Christian Louboutin, en 1980. Grâce à lui, j’aidécouvert l’underground anglais, de l’artiste Andrew Logan à Zandra Rhodes. Avec Christian, nous allions à Worlds End, la boutique légendaire de Vivienne Westwood, située au 430 Kings Road à Londres, plus connue sous le nom de SEX. J’étais fasciné par le plancher en pente et l’horloge géante de la façade avec ses aiguilles qui tournaient à l’envers.
Je me suis aussi souvenu des défilés de Vivienne Westwood que je courais avec Paquita Paquin pour Les Matins de Paris. Elle écrivait, je dessinais. Je garde en tête la collection « Pirate » et ses silhouettes à la Boy George qui défilaient dans la cour carrée du Louvre. Sur le podium, les modèles fumaient des joints et gesticulaient comme des épouvantails. Le désordre était total. Vivienne Westwood, c’est 40 ans d’un style unique, immédiatement reconnaissable. Avec ses looks victoriens et décadents, elle était la mère spirituelle de John Galliano et d’Alexander McQueen. Une Schiaparelli des temps modernes, dépassant la mode par des messages politiques. Avec Vivienne Westwood, la femme était scandaleuse, libre.
Il est rare qu’un créateur reste si longtemps à la tête d’une maison. À l’époque où la mode est devenue un business gigantesque, tombé dans les mains de grands groupes, Vivienne Westwood avait réussi l’exploit de rester indépendante, à l’instar de Rei Kawakubo, la styliste de Comme des Garçons qui a bouleversé l’allure dans les années 1980, ou l’italienne Miuccia Prada qui, dans les années 1990, a réinventé la mode industrielle. Avant elles, Coco Chanel avait construit son empire dans un milieu dominé par les hommes, marquant, par son style, des générations de femmes.
Dans mon cœur, Vivienne Westwood restera la punk révoltée, excentrique, qui n’a jamais cessé de dénoncer les injustices. La créatrice était une rebelle, oui, mais jamais sans cause. La mode lui permettait de soutenir ses idéaux. Au centre de ses combats : les inégalités sociales et l’écologie. En plus de 40 ans de carrière, elle a su se réinventer et surprendre constamment. Avec elle, ne disparaît pas seulement une icône de la mode, mais aussi un esprit de liberté si rare dans ce temps gangrené par la pensée correcte. GOD SAVE THE QUEEN !