Faire œuvre pieuse, exhumer du tombeau les œuvres, les auteurs tombés au champ d’horreur de l’oubli, faire effraction au Purgatoire des noms qui nous disent encore quelque chose mais quoi vraiment ?, les ramener parmi nous comme de nouveaux vivants, telle est la belle, fervente et noble tâche, l’apostolat devrait-on dire, que s’est assignée comme une mission sacrée et profane à la fois l’une des dernières desservantes du dieu Théâtre, une petite sœur tout feu tout flamme d’Ariane Mnouchkine, Anthéa Sogno, seule en scène sur les planches du théâtre du Lucernaire, dans un one woman show époustouflant tout entier voué à Sacha Guitry.
Sacha Guitry, oui, vous voyez bien, sans chercher ni fouiller longtemps votre mémoire, vous exhumez quelques bribes. En effet, qu’on le fréquente ou pas, qu’on l’assigne ou pas à une place entre Jouvet, Charles Dullin et Raimu, Sacha Guitry est patrimonial, il fait partie de la mémoire de Paris, ce Paris léger et mondain des années 20 et 30 au sommet de sa gloire de grande capitale des arts et des plaisirs.
Un amuseur, finissez-vous par conclure, peut-être un enchanteur au même titre que Cocteau, encarté au syndicat de la comédie de mœurs, un cabotin surdoué et sans complexe, sûr de ses saillies malicieuses mais privées de venin et dont personne ne mourrait, riche de ses fusées si parisiennes, un lion de salon dont le Tout-Paris se disputait la présence et la voix, entre une soirée au Ritz et un déjeuner à l’Interallié, et, bien sûr, un tombeur invétéré de ces Dames, de préférence actrices, au premier rang desquelles l’élégantissime Jacqueline Delubac qui reste l’incarnation parfaite de la Parisienne de ces années-là.
Certes, on ne le joue plus, ses films ne sont guère projetés sinon dans les Cinémathèques – c’étaient, en vérité, du théâtre filmé ; de l’écran il s’adressait aux spectateurs dans la salle, ce qui plaira beaucoup aux tenants de la Nouvelle Vague, Godard en tête. Mais son image demeure, tient, résiste au temps. Et là, sur les planches du Lucernaire, ce cher Sacha va, des grâces de la fidèle Anthéa Sogno aux noms si doux, reprendre bellement du service, à notre complet assentiment. Sacha Guitry pas mort. C’est une bonne nouvelle.
Mâtiné de Molière et de Marivaux, c’est ce Frégoli des Années folles que ressuscite avec un allant, un abattage qui font presque peur, Anthéa Sogno. S’inspirant des Mémoires de la secrétaire de Guitry dont elle emprunte avantageusement l’identité et y ajoute sa générosité physique, notre égérie incarne dans un ballet et une spirale sans fin, trente ans de faits et gestes de son idole : ses travaux, ses lubies, ses souffrances créatrices, ses soupirs amoureux, ses oukazes théâtrales, ses bons mots narcissiques, son emprisonnement intempestif à la Libération, le tout avec une verve inépuisable. J’avoue être resté pantois, et le parterre avec moi, devant tant de déguisements successifs, de mines accomplies, de charmantes virevoltes, de larmes qui semblaient vraies. Moralité : se souvenir corps et âme d’un héros mort est un des principaux beaux arts.
Anthéa Sogno se présente elle-même comme une fondue, éperdue de théâtre, une dernière arrière-garde dans ces temps où le désert croit et le théâtre se meurt faute d’avoir renouvelé son public et, plus encore, de toucher les masses populaires, tel qu’aux temps bénis du TNP de Jean Vilar à Chaillot et Avignon, de Planchon à Lyon, du Théâtre du Soleil à la Cartoucherie de Vincennes. Anthéa Sogno dirige deux théâtres de poche, l’un à Monaco, l’autre à Avignon durant le Festival, l’été. Elle y montre une quarantaine de spectacles par an, troupes invitées (logées, nourries, blanchies au-théâtre même) et productions maison.
S.O.S. Théâtre ! nous dit-elle, Sacha Guitry et tant d’autres à l’appui. Cette Pasionaria mérite notre admiration. Elle est le théâtre fait envie.
Le Théâtre, son double et son illusion : pas morts.
Sacha Guitry Intime
de et avec Anthéa Sogno
du 31 août au 16 octobre 2022
Du mardi au samedi à 21h et le dimanche à 17h30
au Théâtre du Lucernaire.
Bonjour à « La règle du jeu »
Merci pour ce magnifique article, signé Gilles Hertzog, sur mon spectacle « Sacha Guitry intime ».
L’analyse de la pièce comme celle du ressenti du spectateur me comblent de joie d’avoir pu jouer pour une personne aussi brillante qui a su exprimer la quintessence de son expérience.
Pourriez-vous, s’il vous plait, ajouter au plus vite, que la pièce se joue également le dimanche à 17h30. Je vous en serai reconnaissante.
En effet, certaines personnes pourraient être intéressées de venir le voir demain, dimanche en matinée.
Vous remerciant par avance de votre diligence, ainsi que de votre engagement pour que vive « La règle du jeu ».
Cordialement,
Anthéa Sogno