Que les honnêtes gens s’en persuadent partout dans le monde. Qu’on me croie sur parole. Moi, Vladimir Poutine, je ne suis pas un belliciste, un va-t-en guerre à la sauce tatare, un Cosaque du Don, un Vladimir le Terrible. Je suis un libérateur russe ! Un putain de libérateur, même ! Un vrai, un pur. Démonstration :

(Excusez-moi, avant de commencer, vous voulez bien vous écarter de moi à l’autre bout de la table, là, oui, encore un peu plus loin, un petit vingt mètres, c’est très bien, merci.)

Croyez-moi, J’ai bien réfléchi avant de lancer la Russie dans cette… euh non pas guerre, ce mot n’existe plus dans la langue russe, cette – comment déjà ? –,Ah oui, cette opération spéciale, pour la libération de l’Ukraine. Mon Ukraine, ma chère chérie. Depuis toujours, elle est une province russe, elle est nôtre, elle est mienne. Si, si. Pas du tout « Ukrainiens nos petits frères », « nos cousins du Dniepr », mais russes. Et tous ceux qui s’y refuseraient sont des bâtards ! Vous entendez ? Là-bas, ils sont russes, par Saint Igor ! Même le pitre en tee-shirt kaki, à la Télé mondiale, là, tous les soirs depuis Kiev, ce Zelensky de malheur qui se prend pour Churchill, il est russe, ce traître.

Les libérer de quoi, me direz-vous ? D’être dirigés par des néo-nazis juifs à la solde de l’Occident ? Je le reconnais, j’ai un peu forcé la note, mais ça a marché en Russie-même comme une lettre à la poste. Ce bon vieux bourrage de crâne, il n’y a que ça de vrai avec les nôtres. Isba, vodka, propaganda, demandez le programme, mes chers analphabètes des steppes et de la toundra, mon brave petit peuple russe, qui encaisse tout, siècle après siècle, sans broncher, tout, le Tsar, les Bolchéviques, le Goulag, les guerres, tout. L’Intelligentsia, pas vraiment chaude ? Des manifs, des pancartes ? Un petit séjour chez Navalny des meneurs, et on n’en parlera plus. Les oligarques privés de leurs yachts en Méditerranée, de la Riviera, du Londonistan ? Je les ai déjà mis au pas en direct devant moi un après-midi au Kremlin. Au piquet sur leurs chaises, ils faisaient dans leur pantalon rien qu’à m’écouter. Non, Messieurs qui me devez tout, fortune, pouvoir, obéissance, votre révolution de palais n’est pas pour demain. Vous seriez morts avant. Tenez-le bien pour dit.

Vous pensez bien que je n’y croyais qu’à moitié, je ne suis tout de même pas débile à ce point-là, à la dénazification de l’Ukraine. Même si depuis un mois, il m’arrive, il est vrai, et plus encore qu’avant, de croire vraiment et même dur comme fer à tout ce qu’il me plaît de croire, toute-puissance des armes, baiser Joe Biden, raser Kiev, balancer des missiles hypersoniques sur Tchernobyl et, demain, sur Las Vegas. Délire ? Non pas du tout. J’ai la Vision, moi, que voulez-vous. Qu’est-ce que j’en ai à faire des rapports d’état-major remontant, soi-disant, du terrain où, selon ces trouillards d’états-majors, ça ne se passerait pas si bien que ça ? Je ne les lis même pas, et ils ont peur de moi, les galonnés au garde-à-vous au bout de la table, eux aussi, à vingt mètres, au point que nul n’ose même m’en parler. Rien, poubelle tout ça, défaitisme. Des défaillances ça et là sur le terrain ? Des centaines de chars bousillés par les rebelles ukrainiens, ces saboteurs ? Peccadilles, normal. J’en possède à en revendre, des chars, des canons, et la chair russe qui va avec. Des villes qui se refusent à nos libérateurs ? Elles vont goûter nuit et jour à mes missiles, mes pilonnages constants, aux joies du blocus, de la faim. Plus d’eau, d’électricité, plus de ravitaillement, les amis ! Vous allez déguster, mes salauds. Les conventions de Genève ? Vous plaisantez ou quoi ? Hélicoptères, artillerie lourde, raids aériens : nous ne nous sommes pas entraînés en Syrie depuis des années à réduire Alep en poussière, pour jouer maintenant aux humanitaires à domicile, chez nous, dans la Nova Rossia.

Non, mon vrai but : libérer l’Ukraine. De quoi ? C’est tout simple : la libérer de se prendre pour l’Ukraine, et les Ukrainiens de se croire ukrainiens. C’est-à-dire rien du tout, que dalle. La preuve, que parlent-ils, ces soi-disant « Ukrainiens » ? L’ukrainien ? Pas du tout, à la maison, dans la rue, ils parlent russe comme vous et moi en première langue. Après, si ça les amuse d’apprendre à partir de rien une sous-langue slave, grand bien leur fasse. Est-ce qu’on dirait si les Français parlaient tous allemand qu’ils sont français ? C’est ça le sens profond de ma petite opération spéciale : libérer. Libérer par patriotisme, par altruisme, leur russité. Welcome back, mes frères de la marâtre Ukraine, cette fausse mère de rechange et ses fausses couches à répétition depuis que Lénine l’a constituée sur le papier en région autonome. Région autonome ? Franchement, laissez-moi rire. Tu parles d’un truc bidon ! Non, les accueillir tous, de nouveau, dans la Sainte Russie. Alors Grand’russien Poutine l’Accueilleur, Poutine le Bienveillant ? Je le suis haut et fort ! Je ne suis pas monégasque, nom d’un chien. 

Et le monde entier maintenant qui me tombe dessus ! Bandes d’ingrats, bande de cosmopolites, de Sans frontières ! Tout ça parce qu’ils n’ont pas compris, à Kiev, à Marioupol, à Kharkov, que je venais les libérer d’eux-mêmes, de leur mauvaise part indépendantiste bidon. C’est fou, ça. Evidemment, devant tant d’aveuglement, de mauvaise foi, j’ai dû ici ou là employer la manière forte. Ça n’a pas plu partout. Flûte ! On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, alors qu’on ne me rebatte pas les oreilles avec ça. Je ne suis pas la Croix-Rouge, moi, ou Amnesty International, je ne suis pas à la tête d’une association Poutinisme et Dialogue, je suis l’Armée rouge. En d’autres temps, j’ai libéré Berlin. Alors si vous imaginez que je vais avoir des états d’âme devant Kiev ou Dnipro, vous vous mettez le doigt dans l’œil.

Dernière chose. Durant la seconde guerre de Tchétchénie, j’avais menacé d’aller buter les rebelles tchétchènes jusque dans les chiottes. Je l’ai fait.

(Je dis toujours ce que je fais). Cette fois, fini les chiottes. C’est trop confiné. On y passerait un temps fou. Le travail manuel, non. J’ai vu plus grand. Les hôpitaux, les maternités, les théâtres, les écoles, les bâtiments publics, les refuges pour les civils. Un missile, et tout est réglé d’un coup. Pratique. Terroriser, ça me va, du moment que cela économise mes soldats. Et pas de couloir humanitaire, je vous prie ! Femmes, enfants, vieillards, tous ces Ukrainiens de m… n’avaient qu’à se laisser libérer. Gentiment. Tant pis pour eux.

Quoi ? Ils résistent, m’apprend Abramovitch ? Qui ? Les Ukrainiens ? Sans blague ? Ils osent ?

« Bon, puisque c’est comme ça, ils l’auront voulu. JE VAIS LES DETRUIRE. »

2 Commentaires

  1. Très vulgaire votre récit
    Facile et sûrement très à la mode
    Décevant que vous preniez les lecteurs pour des veaux
    Cordialement
    de Abravanel
    DdeAM

  2. Ne pouvez-vous pas être un plus poli, en utilisant que des mots qui ne sonnent pas le vulgaire ?

    D’ailleurs il serait bon que les journalistes n’emploient plus des mots vulgaire, peut-être que notre jeunesse apprendra aussi à se contrôler.