Hantés par ce qui demeure et ce qui disparaît, du souvenir de l’enfance à la violence de la guerre, les vers libres du recueil, que ponctuent le battement du rythme et la douceur des images, s’offrent à la découverte de paysages insolites, présents à notre monde ou enfouis dans le passé : « Je suis reparti sur les traces de mon enfance / Ces lieux en ruines abandonnés / Qui portent encore les blessures / Et les souffrances de la guerre », écrit Salah Oudahar, en ouverture du poème « Mémoire ». Poète du souffle et de la pierre, photographe du silence des ruines et de la beauté du vent, Salah Oudahar invite à traverser le temps, dans ce volume à valeur mémorielle, qui réunit ses poèmes et ses photographies.

A travers la solitude et le rêve, l’amour et la famille, l’espoir et l’exil, l’errance et le détour, le chant et la danse, la poésie du directeur du Festival Strasbourg-Méditerranée offre une déambulation intime et sensible. « Fleur d’enfance / Parfum d’oubli », nous dit le poème « Cette inconnue ». Le bonheur, à l’horizon du tragique, est revisité par les lieux poétiques : le cap Tédlès, Tizi-Ouzou, Tipaza, Tigzirt, village en Kabylie maritime, mais aussi la Piazza Venezia à Rome, Florence, les ponts de l’Arno, le Ponté Vecchio ou le Santa Trinita. Ici, s’enchevêtrent les empreintes de l’histoire, là, se redécouvrent les émotions personnelles, plus loin encore s’offrent des perceptions singulières.

Des Antilles à l’Algérie, de Fanon à Kateb Yacine, en passant par René Char, Camus ou Rimbaud, Les témoins du temps & Autres traces est un ensemble poétique qui ouvre à la démesure de la houle, qui suit le mouvement incessant du flux et du ressac. Poète, Salah Oudahar n’accorde son privilège qu’aux liens de la langue et au partage des histoires, des récits qui s’entêtent en nous, comme résistance à l’oppression. « Mon pays, c’est la langue », écrit-il.

Sa poétique des ruines et du temps est également celle des hommes et de leur destin. Les souvenirs historiques sont aussi des événements personnels. L’émotion à fleur de mots : Salah Oudahar rend hommage à son frère et aussi à son fils, Rabah, qui porte le même nom que son oncle : « Mon frère, Rabah », écrit le poète, « Qui a pris le chemin de la liberté, le maquis, à 17 ans. / Puis, capturé, torturé, exécuté. En décembre 1961. » Les tourments intérieurs du poète sont aussi les nôtres. Nous partageons avec lui les identités lointaines et récentes : « Phéniciens Romains Vandales Byzantins Arabes Turcs Français ».

Instants du voyage, explorations soudaines. Imprégnations du monde, dans sa beauté et ses délices, dans ses tourments et ses noirceurs. C’est que la complexité sensible attend d’être interprétée, déchiffrée par le poème, comme dans « La colombe », « Vagues » ou « Ce qui demeure ». Et la vérité peut se dissimuler dans l’intensité d’un désert blanc de soleil, dans une minime sensation de fraîcheur, ou dans ces vers : « La lanterne du poète / Les traces de pas / L’ivresse du chemin »

A chaque fois, la nouveauté d’une présence, malgré le passé douloureux. Sensible aux bruissements, chuchotements et entrelacements des empreintes de l’histoire, le poète écrit pour les survivants des guerres, les naufragés du temps. Parce qu’il sait aussi écouter « le rire du vent » ou l’agitation d’un oiseau sur le port, Salah Oudahar nous offre une poésie qui relie les noms et les langues, les paysages et les mémoires, les pays perdus et les pays rêvés.

Salah Oudahar, Les témoins du temps & Autres traces, Les cahiers de poésie, Editions A plus d’un titre, 110 p., 15 euros