Voilà un roman écrit par l’un des scénaristes les plus remarquables du cinéma français, le scénariste de Maurice Pialat, de Claude Sautet, d’Olivier Assayas, de Xavier Giannoli, etc.

Il y a dans le style de Jacques Fieschi quelque chose qui rappelle Patrick Modiano : une retenue, une pudeur, une modestie indispensables à une certaine forme d’élégance romanesque, alliée à une construction nécessairement labyrinthique. Mais rien de commun pour le reste : Fieschi traite d’un thème que Modiano n’a jamais abordé.

L’intrigue de Souvenirs de ma vie d’hôtel est très attirante. On est pris dès son début par ce roman, et on ne le quitte plus jusqu’à sa fin, précisément comme dans une véritable salle de cinéma devant un véritable écran.

René, le narrateur de cette histoire, se reporte à l’époque où il avait vingt ans, au début des années 70. Il formait alors un trio avec une fille et un garçon. Elle s’appelait Catherine et lui, Jean-Michel.

Catherine vient de mourir. Et justement, à l’occasion de son enterrement, René retrouve Jean-Michel. Il ne l’a plus revu depuis cinquante ans. Et, en se laissant entraîner dans une nouvelle aventure avec lui, il revivra l’épisode le plus important de sa vie d’homme – un épisode dont René ne se doutait pas jadis, au début des années 70, qu’il déterminerait son destin.

Le narrateur de Souvenirs de ma vie d’hôtel ne cesse de passer d’une époque à une autre. Ça n’a rien d’extraordinaire d’enjamber un demi-siècle dans un roman. Seulement, voilà, cet enjambement, on ne peut pas le faire au cinéma. Le maquilleur le plus expérimenté n’arrivera jamais à transformer un jeune homme en vieil homme. Il le déguisera en vieillard, oui, mais il lui manquera l’essentiel.

Quel âge a René lorsque se déroulent ses souvenirs ? Vingt ans ? Ou soixante-dix ans ? Ni l’un ni l’autre. Ou l’un et l’autre. Ce qui se passe alors en lui, c’est une prise de conscience qui réclame à la fois la vieillesse et la jeunesse. Ce qui explique précisément pourquoi Fieschi nous livre un roman, plutôt qu’un film.

Un adolescent homosexuel n’aimera pas un garçon comme lui, en tout cas pas la première fois. Il aimera, au contraire, un véritable hétérosexuel. Du moins, cette espèce d’attirance définit un certain type d’homosexualité, celle dont dépend justement le thème principal de Souvenirs de ma vie d’hôtel.

Il va s’agir de rendre compte d’une éducation sentimentale tout à fait particulière, mais qui ne touche pas moins à l’universel.

Par la force des choses dans cette configuration, entre l’homosexuel et l’hétérosexuel, il ne pourra jamais se nouer qu’une amitié. L’ami homosexuel n’exercera pas moins une influence sur son milieu. Il rendra plus désirable l’ami hétérosexuel auprès d’une fille. Un trio se formera le plus souvent.

Une fille, si elle se laisse séduire par ce qui se passe entre eux, renverra à l’hétérosexuel, comme par un jeu de miroirs, le désir de l’homosexuel en changeant sa nature. Ce que l’ami homosexuel ne peut pas faire, la fille, elle, pourra le faire. Elle fera l’amour, le cas échéant, avec l’ami hétérosexuel.

« Je suis rentré plus tôt que prévu à l’hôtel. J’ai ouvert la porte de la chambre. J’ai vu les pieds minuscules de Catherine rivés aux reins de Jean-Mi. » Voilà… « J’ai fui dans le couloir, esseulé, trahi, misérable. »

Comment se fait-il qu’un homosexuel comme lui ne puisse désirer que des hétérosexuels qui, par définition, ne pourront jamais répondre à son désir ?

Sans doute savait-il déjà qu’il aimait les garçons avant d’ouvrir cette porte, mais pour autant jusque-là il ne comprenait pas comment fonctionnait son homosexualité.

Il ne pourra rien y faire. Il est voué à vivre seul. Il entrera en solitude comme d’autres entrent en religion.

Cependant Souvenirs de ma vie d’hôtel ne se réduit pas à cette sorte d’éducation sentimentale. On peut lire ce roman tout autrement, on peut le lire en portant attention à son intrigue plutôt qu’à la psychologie de ses personnages, on peut le lire comme une espèce de thriller dû à l’art tout à la fois cinématographique et littéraire de Jacques Fieschi.