Il y a, chez Gabriel Otero, la croyance que le cinéma est voué à continuer la littérature par d’autres moyens que la littérature ; une croyance qui ne va plus de soi aujourd’hui.
Cinéaste argentin, primé dans plusieurs festivals de films expérimentaux, Otero a conçu Les Sept Vices, son premier long métrage, comme on conçoit une œuvre mystique, mais pas moins moderne.
Aucun dialogue. Même si, parfois, les acteurs parlent, nous n’entendons pas ce qu’ils disent, ce dont ils parlent relève de l’évidence, nous n’avons pas besoin d’en connaître le détail.
Le film est tiré de la Summa theologica de saint Thomas d’Aquin, la seule voix à se faire entendre dans ce film.
Mais pas de paroles inutiles ! Thomas d’Aquin ne fait pas un sermon. Il se contente de livrer une espèce de fable à une petite fille qui, en l’occurrence, incarne le public idéal ; une fable qu’il s’agit de contempler (au sens où l’entendent les mystiques) et de méditer.
Otero ne produit pas pour autant un cinéma « religieux ». Il n’est pas question pour lui de s’adresser exclusivement à des « croyants ». Ce qui lui importe, c’est de réaliser quelque chose de beau.
Le thème des sept péchés capitaux s’est inscrit dans l’histoire de l’art aussitôt après la parution de l’ouvrage de saint Thomas d’Aquin. Giotto fut le premier à s’en inspirer, suivi par un grand nombre de peintres, mais également de cinéastes.
Ainsi, en 1962, un producteur italien, Goffredo Lombardo, eut l’idée d’un film en sept sketchs, qu’il confia à sept réalisateurs (Godard, Chabrol, Demy, Vadim, etc.), en prenant pour arguments les sept vices mortels dénoncés par l’auteur de la Summa theologica.
Otero a repris la même idée, à ceci près qu’il s’est chargé de réaliser les sept épisodes consacrés chacun à un péché capital, c’est-à-dire par ordre d’entrée en scène, la gourmandise, la colère, l’orgueil, l’envie, la paresse, la luxure, l’avarice.
Pourquoi la gourmandise ? Hein ? Il s’agit d’un péché trop courant, et trop véniel, pour qu’on puisse le qualifier de « capital », à moins d’envisager la gourmandise comme le désir enfantin par excellence et, à ce titre, comme la racine du mal.
La gourmandise, dans le film d’Otero, nous transporte au Japon à une époque indéterminée, probablement à la fin du XIXe ou au début du XXe siècle. Nous sommes dans une maison de plaisir vouée à l’art de la prostitution comme l’art du jardin ou à celui de la cuisine, un lieu merveilleux incarné par une geisha et ses suivantes.
Otero a réussi à retrouver le scintillement en noir et blanc du cinéma de Mizoguchi. Même sorte de délicatesse, même sorte de subtilité, même sorte de charme, ce qui est d’autant plus étonnant que le film a été réalisé en France. On songe à India Song de Marguerite Duras, chargé de la moiteur de Calcutta et de sa morbidesse, et pourtant tourné au bois de Boulogne.
Un festin va avoir lieu dans cette maison de plaisir ; un festin servi sur le corps de la geisha, mais qui n’inclut pas la geisha, une femme donnée à contempler, mais non à posséder. Seulement, voilà, l’un des convives ne résistera pas à la tentation de la caresser. Résultat : on coupera le doigt du coupable avec un coupe-cigares en métal d’un tranchant redoutable ; le doigt, pour ne pas dire le sexe.
Le deuxième épisode du film traite de la colère en nous transportant dans un cercle de jeu fréquenté par la pègre. D’un vice à l’autre, Otero véhicule la même lumière en noir et blanc, éloignée à présent de Mizoguchi, mais qui ne conserve pas moins son charme.
C’est cette lumière qui constitue le véritable fil conducteur de ce film. On la retrouvera réinventée dans chaque sketch, notamment dans celui consacrée à la luxure, où Otero réussit à recréer l’atmosphère de la factory d’Andy Warhol, ou encore l’univers d’un écrivain comme Bukowski dans la séquence consacrée à la paresse.
Il y a, chez Otero, un art de la photographie qui fait, à soi seul, l’intrigue de son film. Il place inévitablement son spectateur dans la position d’un lecteur. C’est en cela, précisément, qu’il réalise quelque chose de beau.