Le député Mélenchon, l’homme à qui on ne la fait pas, a encore frappé. Dans un long, et étrange, billet de blog à propos de l’Afghanistan, l’élu de Marseille reproche à Anne Hidalgo d’avoir tenu une conférence de presse commune avec Bernard-Henri Lévy suite à la chute de Kaboul.
Mélenchon commence par noter, à contrecœur, que la maire de Paris et le philosophe étaient entourés d’associations humanitaires, et de femmes afghanes, ce qu’il est contraint de trouver remarquable (« Étaient présentes (…) plusieurs autres personnalités qui ont pu donner des informations et des témoignages, pour certains poignants, sur la situation qui prévaut en Afghanistan). Mais aussitôt, se reprenant, il lâche ses coups : « En installant BHL comme référence et quasi ministre des Affaires étrangères, la maire PS de Paris expose le pays et son parti à un tournant belliciste particulièrement discutable. » Particulièrement discutable ? On ne lui connaissait pas ce sens de l’euphémisme, puisque dans son esprit devinant les rouages secrets du monde, BHL a été « un agent direct du désastre afghan ».
Tant d’outrances et de complotisme ne mériteraient sans doute qu’un long et silencieux mépris. On peut noter que le thème, et le fantasme, de « BHL ministre des affaires étrangères » a été inventé par Roland Dumas (dans son opus magnus, co-écrit avec Jacques Vergès, « Sarkozy sous BHL »). Mélenchon, mitterrandolâtre, a retenu de deux septennats et d’un paysage politique parfois admirable, non pas Badinter, les réformes sociales, mais le ministre le plus trouble des années Mitterrand et le défenseur de tous les salauds de la planète. Connaître par cœur le programme commun de 1977 pour ânonner du Roland Dumas, on avouera que c’est dommage.
On passe, ensuite, sur la mesquinerie qui consiste à se saisir d’un événement géopolitique majeur – la chute de Kaboul – pour essayer d’enfoncer une rivale politique. Dans le vacarme du monde, face à un séisme diplomatique, Jean-Luc Mélenchon continue à faire des motions de fin de congrès du Parti Socialiste. S’il avait eu un blog au moment de la chute de Saïgon, Jean-Luc Mélenchon en aurait profité pour souligner les impasses de la pensée d’Edgar Faure.
On ne peut que s’arrêter, à l’inverse, sur le ton incroyablement complotiste de la pensée du député, qui déclare tout de go, Al Qaïda a été créée par la CIA et les intellectuels « anti-communistes », en enrobant sa démonstration de citation tronquée d’orientalistes et de journalistes. Comme le Marius de Pagnol, le député marseillais soulève le jeu de tarot, et croit voir le dessous des cartes. Si la résistance des moudjahidines a été en effet inflitrée progressivement par les islamistes, il n’y a pas besoin de lire tout Gilles Kepel pour comprendre que, sans aucun doute, entre Massoud et les talibans, il y avait un gouffre, et que mêler l’un aux autres est une injure contre la mémoire, une erreur historique, et surtout, une réhabilitation en filigranes du régime taliban. Et si, parfois retenu par ses énormités, Mélenchon convient que le jeune Massoud est « un islamiste », « certes courageux », c’est que la démonstration mélenchonienne sournoise et presque effarée de son propos, reste au milieu du gué. Car soit Massoud est un islamiste, et l’épithète généreuse est absurde ; soit Mélenchon sent bien que Ahmad Massoud est courageux, et ce qualificatif d’« islamiste» est malvenu. Mais faisons confiance à Mélenchon pour trouver qui sont les vrais islamistes : en la matière, ne les apercevant pas parmi ses soutiens, en France, il doit avoir les yeux perçants pour les distinguer à Kaboul.
Au final, avec son ton d’expert pénétré (le fils du commandant Massoud « n’a aucun soutien dans la population afghane »), d’homme d’État résolu, chagriné par son propre pragmatisme (« Le pouvoir Taliban est un fait incontournable, aussi détestable soit cette idée »), de Metternich du dimanche soir (« Il faut partir de la réalité »), on a du mal à saisir ce que propose concrètement Mélenchon face au drame afghan. Ou plutôt : on le devine. Car c’est ce qui en ressort implicitement, Jean-Luc Mélenchon avait, depuis le début, une solution toute trouvée aux maux de ce pays : puisque les moudjahidines, BHL, la CIA (et pourquoi oublier le Mossad ? Les francs-maçons ?) se sont alliés pour renverser l’occupant soviétique, le plus simple, le plus sensé, le plus « humain », dans l’esprit du député Mélenchon, aurait été que le pays restât entre les mains de l’URSS. Tout son texte semble dicté par le ressentiment à l’idée d’une guerre perdue par le grand frère russe. Avec ses idées simplistes, sa montagne de clichés plus haute que les vallées du Panchir, Mélenchon réinvente le blockbuster de l’été. Comme le héros joué par Dujardin se meut dans un monde qui n’existe plus, gouverné par sa nostalgie et ses pensées absurdes, Jean-Luc Mélenchon incarne OSS 1917, le Français pro-soviétique, prêt, hélas, à tout croire et à tout dire, pour sauver l’honneur d’une cause perdue. Il est prêt au passage, au complotisme le plus crasse, à la veulerie la plus bête, pour étayer une démonstration, dénuée d’excès d’empathie, de chaleur et de solidarité, pour un peuple opprimé.