Six mois après son arrivée à la Maison blanche, Joe Biden qui, à marche forcée, nous guérissait si bellement de Trump, est entré, d’un coup d’un seul, dans l’Histoire. La pire. Une longue, très longue histoire : celle de Munich et des Munich contemporains des démocraties à la dérive. Une Histoire promise à de nouveaux développements, tel hier en Syrie puis au Kurdistan irakien, aujourd’hui à Kaboul, et demain à Taïwan, en Corée du sud, que sais-je encore. Une Histoire des reculons, des retirements. Joe Biden y est entré, dans cette histoire à répétition du lâche soulagement, du renoncement et de la honte, par la porte de derrière et l’escalier de service réservés aux soutiers du défaitisme, aux hérauts du déshonneur, aux soldeurs pour tous comptes des engagements trahis, aux déserteurs de l’Histoire. Joe Biden est un déserteur.
Le déserteur Joe Biden est suivi, hélas, par les Européens, tels des supplétifs apeurés qui auraient perdu leur protecteur et son parapluie troué. N’y aura-t-il personne pour sauver, en Afghanistan et, demain, ailleurs, l’honneur de l’Occident et des démocraties, ce pire régime après tous les autres, disait un certain Churchill, qui doit se retourner comme jamais dans sa tombe ? L’Europe ? Vous plaisantez, je présume. Madame la France ? Peut-être ?
Le déserteur Joe Biden, en retirant les quelques milliers de soldats américains qui sanctuarisaient Kaboul, l’a livrée sans coup férir aux talibans. Sans parler de tous les démocrates au quotidien, des passantes et des passantes de Kaboul désormais terrorisés, il a livré les lois, les Droits, la liberté de penser et d’agir, les femmes afghanes de plein visage, les élites occidentalisées, et, last but not least, les musées et les trésors artistiques de l’histoire millénaire de l’Afghanistan, les cinémas et la Cinémathèque afghane, les universités et jusqu’à la musique, les chansons, les cerfs-volants, aux éradicateurs de la liberté, des arts et du reste. Une société entière est livrée aux bourreaux hirsutes du Califat.
Le déserteur Joe Biden se défend, rejette la faute sur les dirigeants afghans corrompus, l’armée afghane minée de toutes parts, l’absence générale d’esprit de résistance. Haro sur les vaincus ! Il reprend hypocritement cette tromperie trumpienne : les forces alliées seraient intervenues en Afghanistan après le 11 septembre pour éradiquer ce foyer du terrorisme international et non pour y construire une société ouverte — ce que, l’un n’allant pas sans l’autre, les Occidentaux ont fait non sans succès vingt ans durant et qui restera leur minuscule honneur. Un honneur aujourd’hui bradé et passé sous silence.
Rentre tes troupes à la maison, Joe Biden. Termine le travail de renoncement de l’Amérique à elle-même, entamé par tes prédécesseurs. Il te reste encore du travail, mais tu es bien parti.
Dis-nous, Joe le croque-mort : quel sera ton prochain haut fait, ta prochaine désertion, que nous préparions nos paquets et qu’on prévoie les cercueils.
Ce dernier message des talibans, dans lequel ils préviennent les Américains qu’un prolongement de leur présence en Afghanistan au-delà de la ligne rouge du 31 août ne serait pas sans conséquences, est un couvercle prémonitoire qui sera lourd à porter au-dessus de Ground Zero lorsque, dans quelques jours, durant la lecture du nom des martyrs des attentats-suicide du 11-Septembre, le monde presque dans son entier célébrera le vingtième anniversaire, de sinistre mémoire, de l’entrée en guerre simultanée des États de droit ou de non-droit cocomposant ladéjàdite communauté internationale, alors même que celle-ci se découvrait un dénominateur commun dans le viseur giratoire d’un millénarisme djihadique teinté de stalino-hitlérisme d’autant moins déracinable qu’il n’a jamais possédé la moindre source fiable ou potable ici-bas.
Aurons-nous l’arrogance de profiter que nos sœurs et nos frères, il y a tout juste vingt ans, se soient vu retirer à tout jamais, en une fraction de seconde, la liberté de nous faire volte-face, pour leur cacher une réalité qui les ferait, aujourd’hui, se retourner unanimement dans leurs tombes si leurs bourreaux nous avaient laissé la possibilité de les inhumer dignement ?
Ce n’est pas un droit-de-l’hommiste revanchard qui vous hèle. Car nous ne sommes pas allés en Afghanistan pour nous venger. Mais pour neutraliser une menace chouchoutée de sa base à son propre sommet, face à laquelle l’éclatement des ballons de baudruche nazi et soviétique n’aura jamais cessé de faire diversion.
Nous avons une dette envers nos martyrs : identifier l’ennemi, a fortiori quand ce dernier envoie la limacerie pour atteindre ses objectifs.
Le camp des Lumières ne saurait permettre qu’on le traite comme une monumentale enseigne au néon toute grillée.
La plus grande puissance militaire de la planète ne peut pas donner l’impression aux islamistes d’Orient et d’Occident que la guerre à l’usure est, avec elle, une stratégie payante.
Les ultimatums, c’est le Juste qui les donne.
Où est-il ? Allez savoir. En tout cas, il y a un endroit au monde où il sera toujours inconcevable qu’il se glisse. Dans la couche du mal dominant.
C’est à croire qu’à force de nous focaliser sur les seules populations contraintes à fuir les dernières zones de guerre de notre planète en voie de pacification, nous avons fini par nous identifier à elles.
Mais si l’ultime sauveur se met soudain à se conduire comme les bénéficiaires de sa main secourable, qui reste-t-il au large pour lui jeter par-dessus bord la mystérique planche de salut ?
Question d’honneur : Et si, vingt-ans après Mu-mu-nich-mu-nich-nich, le Commandant Massoud décrochait enfin son invite du Palais ?
La faillite en Afghanistan fut certes politique.
Elle fut bien celle d’un État afghan qui ne sera jamais parvenu à éradiquer l’islamisme dans le creuset démocratique de l’après-guerre, et pour cause ; plus les années passent, moins les démocraties occidentales ont confiance dans leurs propres capacités à chasser de leur avenir brumeux le spectre du salafisme ou du frérisme protéiforme, à tel point qu’une bonne partie des élites a décidé qu’il était vain de se creuser la tête pour débusquer une solution là où seuls les islamophobes identifiaient un problème.
Or si l’État afghan s’est montré impuissant à débarrasser le pays des Afghans d’une situation sociétale que mine, depuis le premier jour de la riposte aux attaques du 11 septembre 2001, une guerre jusqu’au-boutiste menée de main de maître par les partisans de l’islam le plus radical de la planète, on ne peut pas, Monsieur le président Biden, le reprocher aux seuls acteurs politiques et sociaux d’une démocratie balbutiante que l’on aurait tant souhaité voir poindre à l’horizon de la République islamique d’Afghanistan. Au risque de vous surprendre, je ne place pas cette dernière assertion sous le signe de l’ironie. Sauf que l’État de droit, en France ou en Angleterre, avait déjà commencé à se structurer sous l’ère féodale, et avec quelle violence légitimiste !
Ah ! c’est comme ça. Dans la vie, on n’a rien sans rien. Ça vaut pour les civils comme pour les civilisations. L’effort de guerre des Occidentaux aurait dû s’accompagner d’un effort politique non moins occidental, mais surtout d’une tout autre ampleur que ce dans quoi les Américains et leurs Alliés s’étaient embarqués en ce début de millénaire chrétien. Un programme de vaste réforme civilisationnelle ne donnant pas d’autre choix aux Afghans que d’y collaborer, au risque de passer pour d’horribles traîtres hérétiques auprès de qui, déjà… des djihadistes ? Ça pose un problème à quelqu’un ?
Nous ne savourerons pas la non-application, d’aucuns diront l’inapplicabilité, nous les en laisserons juges, des mesures proposées dans le rapport Lévy pour l’établissement d’une démocratie en Afghanistan, à l’exception de tout ce qui, relativement aux avancées notables réalisées durant les deux dernières décades, allait incontestablement dans le sens d’une idée plus que jamais neuve, porteuse d’immenses espérances, une idée noble et honorable qui, à notre grand dam, n’aura jamais été qu’à moitié enceinte.
Nous savons le sort que le Livre de nos pères a réservé au malheureux, que dis-je, à l’innocent, qui eut l’inconséquence de rapporter tout ce qu’il avait cru voir s’agiter sous son nez depuis la tente de Noah. Cela étant, nous ne serions pas en paix avec nous-même si nous nous contentions de partager le sentiment d’une nation ivre d’hyperpuissance qui n’aurait vraiment pas de quoi pavoiser au seul motif qu’elle aurait survécu à un déluge de feu.
Si le monde libre a une mission, c’est celle de libérer le monde. Mission impossible ? Eh bien, dès l’instant qu’impossible n’est pas nôtre, faisons en sorte que la France prenne la tête de ce monde, à savoir qu’elle se dote d’une puissance militaire à la hauteur de ses ambitions.
Tout ça pour ça
Nous sommes le 5 juin 1944. Soudain les bateaux virent de bord. Je ne suis pas là ou je parle l’allemand sans accent.