En 2016, Adalbert Khan part pour un long « voyage missionnaire au nom de l’art contemporain français ».
Sans permis de conduire, dans une vieille golf achetée pour l’occasion et qu’il ne sait pas faire démarrer, avec sa compagne de l’époque et leurs deux enfants, il quitte Paris pour aller jusqu’en Inde.
Tout au long des 20 000 km de cette improbable odyssée, il fait parler, mais surtout poser, les passants de rencontre.
Et naissent de là des images très proches de la réalité en même temps que totalement artificielles et qui assument, en toute clarté, l’exubérance et la précision de leur mise en scène.
Toujours à la limite de la parodie et de l’hommage, parfois à la limite de l’illustratif, parfois au bord du conceptuel, elles touchent à des sujets forts : la vie… la mort… les larmes de verre de Milosevic flanqué de ses chiens de guerre… un homme se cachant le visage dans un geste pris à Sophie Calle… ou Erdogan promettant de transformer le Kurdistan en paysage d’apocalypse à la Kiefer…
Mais elles prennent aussi le risque de sujets plus poétiques, ou carrément baroques : des moines tibétains soignant au sel de Parreno… un mort dont le linceul est orné du logo du centre Pompidou… une rupture sentimentale… pas mal de dérision… beaucoup d’autodérision…
Cette aventure peut se regarder, et se revivre, comme une méditation sur l’art contemporain occidental.
C’est un manifeste baudelairien pour un art du goût dont on pense trop se souvenir et pour une esthétisation poussée à l’extrême et dont l’époque a souvent peur.
Adalbert Khan est, ainsi, comme un Pierre et Gilles qui feraient du documentaire.
Ou un David Lachapelle qui aurait rencontré, mais vraiment rencontré, Depardon.
Ou un Jeff Koons oubliant ses ateliers, se ressouvenant de son immense métier et remettant les mains à la pâte dans le secret sacré d’un temple en Inde.
Bourrée de références, croulant sous les double-sens, teintée d’un humour à la Maurizio Cattelan, souvent très personnelle mais prétendant s’adresser à tous et, dans certains cas, vous verrez, y parvenant, cette série est pleine de critique et d’espoir, d’admiration et de sarcasme, elle est exubérante et absurde, drôle et provocatrice, c’est le paradoxe d’Adalbert Khan cet esthète mal habillé, ce bougon généreux, ce taiseux qui entend tout – mais qui l’entend en images.
« L’art contemporain traversant les Alpes » est une œuvre majeure qui réussit l’exploit de pousser cette forme d’art, que l’on pouvait croire fatiguée, ou saturée, vers des curiosités nouvelles inédites.
Pour consulter le site de l’artiste.
L’exposition «Beaubourg-Delhi : La Mission» de AdAlbErT KhAn à L’Alfalibra Gallery (324 rue Saint-Martin, 75003 Paris) est ouverte du mercredi au samedi, de 15 à 19h, jusqu’au 20 septembre, ou sur rendez-vous en dehors de ces horaires.