Premier invité de notre série de webminaires « Penser le Coronavirus », Mike Godwin, a été directeur juridique de la fondation Wikimédia, et a siégé au conseil d’administration de l’Open Source Initiative. Avocat et auteur, membre du conseil d’administration de l’Internet Society, il est actuellement directeur juridique de l’innovation et de la politique au R Street Institute et vient de publier un nouveau livre : The Splinters of Discontent : How to Fix Social Media and Democracy without Breaking Them [Échardes de mécontentement : Comment réparer les réseaux sociaux et la démocratie sans les briser].
Commençons par le sujet qui vous a rendu célèbre. Je fais ici référence à la « loi de Godwin » ou, comme on l’appelle en anglais, « GL » [Godwin Law], qui stipule que « plus une discussion en ligne dure, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Hitler s’approche de 1 ». Vous avez forgé cette formulation délibérément pseudo-scientifique en 1991. Le World Wide Web, que nous connaissons en tant qu’Internet, a été créé par Tim Berners-Lee en 1989. Alors comment êtes-vous arrivé à cette « loi » intemporelle à propos d’Internetquand le réseau n’avait que quelques mois ?
Avant l’invention de Tim Berners-Lee, il existait des environnements en ligne dès la fin des années soixante-dix et tout au long des années quatre-vingt ; et personnellement, j’avais déjà beaucoup d’expérience des dynamiques qui émergeaient des forums en ligne. Dans ma ville universitaire, Austin, dans le Texas, beaucoup d’informaticiens amateurs reliaient des lignes téléphoniques à leurs ordinateurs, et nous avions des conversations asynchrones, très similaires à celles que permettent les réseaux sociaux d’aujourd’hui. Ce qui continue de me surprendre, c’est qu’il y avait déjà, dans les balbutiements des années 1985-1990, beaucoup de similitudes avec les phénomènes dont nous sommes témoins en ligne en 2020. Et en ce qui me concerne, je suis très familier, depuis longtemps, avec les bonnes et les mauvaises expériences que les gens font en ligne.
Comment vous êtes-vous personnellement impliqué dans le monde en ligne dès son apparition ?
Je suivais deux programmes de Masters dans mon université, mais mes études ne me satisfaisaient pas et je n’étais pas très sûr de ce que je devais faire. Je savais déjà que j’aimais avoir accès à un ordinateur, puisque je suis écrivain et qu’avoir mon propre logiciel de traitement de texte à la maison était essentiel (je n’ai jamais vraiment maîtrisé la vieille machine à écrire – mais maintenant je tape très vite). Afin de pouvoir m’acheter un ordinateur personnel, j’ai trouvé un travail où je pouvais me former dans ce domaine. J’ai appris le fonctionnement de base des ordinateurs et comme, pendant ma licence, j’avais étudié la philosophie et la logique, j’étais en quelque sorte une des rares personnes à pouvoir mettre en application pratique des études de philosophie. Car lorsqu’on a étudié Wittgenstein, le langage de la programmation informatique et du système d’exploitation est plutôt simple.
Si votre loi s’appliquait déjà aux débuts d’Internet, quand il n’y avait que quelques utilisateurs connectés, et qu’elle s’applique encore aujourd’hui, avec un milliard d’utilisateurs, cela prouve qu’elle ne dépend donc pas de la quantité de personnes impliquées.
C’est que les gens qui utilisaient la télématique au milieu des années 1980 avaient une longueur d’avance. Dès les débuts, en effet, j’ai vu émerger certaines dynamiques ; et, parmi celles-ci, j’ai littéralement vu le nombre de fois où certaines personnes en venaient à comparer d’autres aux nazis ou à Hitler. Cela me troublait d’autant plus que j’étais en fac de droit et que j’étudiais les crimes de guerre et les lois internationales. Je prenais la Seconde Guerre mondiale et la montée du fascisme et de l’autoritarisme très au sérieux, et cela me perturbait qu’on puisse parler si légèrement d’un sujet si sérieux.
Alors, pendant un ou deux ans, j’ai essayé de réfléchir à ce qu’il était possible de faire pour influencer le discours dans un environnement en ligne. C’est ainsi que je suis tombé sur une discussion sur les mèmes, une notion inventée par Richard Dawkins, et je me suis dit : au lieu d’investir beaucoup d’énergie et de capital pour modifier la culture ambiante, pourquoi ne pas essayer de fabriquer un mème, c’est-à-dire une idée suffisamment attirante pour qu’elle se propage toute seule, sans mon aide ? À l’heure où nous nous trouvons encore confinés à cause d’un virus (ou, pour certains pays, en déconfinement progressif), moi je parle d’un virus mimétique que j’ai essayé de créer il y a des années.
Moins célèbre, moins connue, bien que mise en exergue sur votre profil Twitter, vous avez formulé une seconde loi. Celle-ci stipule que « la surveillance est le crack (la cocaïne) des gouvernements ». N’est-ce pas effrayant ? De quoi s’agit-il et quel rapport existe-t-il entre cette seconde loi et la première ?
Il fallait bien que j’invente autre chose – c’est un défi auquel je dois faire face de temps en temps –, car les gens me disaient : « Alors maintenant que vous avez inventé la loi de Godwin, qu’est-ce qui vient après ? »
Dans mes activités professionnelles, en tant qu’avocat, je m’occupe de questions de sécurité, de surveillance informatique et de limitation de l’action du gouvernement. Lorsqu’on se penche sur ce qui tourne autour des écoutes téléphoniques et de l’interception des télécommunications, lorsqu’on observe l’inquiétude de tous les gouvernements de par le monde, y compris le vôtre et le mien, au sujet du cryptage, on constate le chaos qui en découle. Dans la grande majorité de l’histoire humaine, les gouvernements n’ont jamais eu la capacité de surveiller les gens de manière efficace ou massive. Certes, l’Allemagne de l’Est l’a fait, mais ce n’était pas très efficace – et elle a fini par s’écrouler. Maintenant, bien sûr, la technologie digitale rend la surveillance plus facile ; et nous avons absolument besoin que des instances gouvernementales, que ce soit la police ou les renseignements, exercent une surveillance. Nous n’oserions pas vivre dans un monde où nous ne pouvons pas garantir notre capacité de surveiller, d’espionner les criminels potentiels et autres acteurs malfaisants. Et les termes dans lesquels il est fait état de ce besoin sont totalement similaires aux expressions des toxicomanes lorsqu’ils parlent de leurs drogues. C’est ainsi que je suis arrivé à ma seconde loi.
Alors cela veut-il dire que tout le pistage des portables pour combattre le COVID-19, les drones qui patrouillent dans les rues pour s’assurer que les gens ne sortent pas, tous ces systèmes vont s’accroître, à votre avis ?
Assurément. Regardez ce qui se passe en République populaire de Chine, où une surveillance généralisée combinée au système chinois de crédit social constitue une base de données sponsorisée par le gouvernement ; et si l’on devient une personne indésirable, le gouvernement utilise sa base de données contre vous. C’est horrifiant. Et comme la Chine est un gouvernement autoritaire… Il est plus facile de mettre en place ce genre de contraintes dans un régime qui accorde beaucoup moins d’importance à la vie privée et à la liberté ; mais dans les démocraties occidentales aussi, et dans d’autres démocraties du monde, il y a des forces gouvernementales qui sont en faveur de la surveillance, de l’augmentation de la capacité de surveiller, et qui formulent leurs besoins de surveillance en termes de menaces, ces menaces étant essentiellement des crimes potentiels ou des agissements de leurs ennemis. Elles jouent ainsi sur une peur mal définie de l’inconnu et de l’autre.
Alors, l’histoire se répète, mais avec de nouveaux moyens technologiques ?
Exactement.
Beaucoup d’encre a coulé au sujet de la neutralité du Net lorsque Trump a accédé au pouvoir. En France, le débat sur la neutralité du Net continue, comme dans beaucoup d’autres pays, mais je pense que les gens ont déjà oublié que la neutralité du Net n’est plus un principe aux États-Unis. La neutralité du Net, c’est l’idée qu’un fournisseur doit traiter tout le monde à égalité, chaque client, chaque compagnie, chaque individu, au regard du débit et du flux d’Internet. On dit que la neutralité du Net, les fake news, la surveillance en ligne, sont des enjeux susceptibles de rapprocher les gens. Lequel, selon vous, est l’enjeu le plus important actuellement, dans cette période de confinement, et pour les semaines à venir ?
Pour ce qui est de la neutralité du Net, j’aimerais donner une perspective un peu plus subtile, car il existe des contraintes d’ingénierie et de capacité qui influent sur la manière de traiter l’information. Nous savons que dans la plupart des pays, les infrastructures d’Internet opèrent une discrimination dans le traitement des différents contenus. Ainsi, si l’on regarde une vidéo au travers d’un service de streaming, il est tout à fait possible que ce service ait payé pour fournir une plus grande capacité de contenu ; et la plupart d’entre nous n’estimeront pas que cela soit vraiment abusif. Ce qui, pensons-nous, relève par contre de l’oppression, c’est la possibilité que les compagnies qui gèrent l’infrastructure sous-jacente se servent de leur pouvoir pour privilégier leurs intérêts plutôt que ceux d’une compagnie concurrente. Je trouve que c’est là une inquiétude légitime et, par conséquent, je pense que certaines formes de régulation de la concurrence des compagnies d’infrastructure sont nécessaires. Mais la question se pose aussi de savoir si cette régulation devrait être simple ou nuancée.
Sur ce sujet, j’ajouterai que dans les démocraties développées, nous avons beaucoup de pipelines d’Internet de grande capacité, alors que dans les pays en voie de développement, où il n’y a pas d’anciens réseaux de lignes téléphoniques avec des fils électriques préexistants, les gens ne peuvent accéder à Internet que depuis des appareils portables, qui ont leurs propres contraintes. C’est le cas en Afrique, mais aussi dans la plupart des pays d’Asie et également d’Amérique du Sud. Comment, alors, promouvoir la demande de ces populations défavorisées ? Si elles n’y ont jamais eu accès, pourquoi seraient-elles intéressées par Internet à haut débit ? Si elles se suffisent de la téléphonie vocale et des SMS, pourquoi se sentiraient-elles concernées ? Pourtant, si elles pouvaient avoir accès à des sites web qui chargent plus rapidement, cela ferait une énorme différence. Nombre de communications, aujourd’hui, requièrent un haut débit, notamment les visioconférences auxquelles nous avons tant recours dans cette période de confinement. Je prendrai un exemple qui m’est proche : au Cambodge, le pays natal de mon épouse, on peut avoir du haut débit dans les villes (mais pas vraiment dans les provinces). Ainsi, elle a la possibilité de s’entretenir par appels vidéo avec sa famille, ce qui rend leur éloignement plus facile à supporter.
Voilà ce qu’il en est concernant la neutralité du Net. Vous vouliez également que nous parlions de la surveillance en ligne, ce qu’on appelle le monitoring. En ce moment, pour être vigilant, je prends ma température tous les jours ; et il s’avère que le service que j’utilise, Kinsa Thermomètre, qui regroupe beaucoup de données normalement anonymes, communique en fait les hautes températures, pour que l’on puisse voir émerger des tendances. Nous pourrons probablement attribuer à cela quelques bénéfices sociaux, et avancer l’argument du bénéfice social pour imposer toujours plus de monitoring. Mais, même si je pense qu’une certaine quantité de contrôle de l’information est requise, je crois aussi que les implications pour notre vie privée sont effrayantes.
Entre la neutralité du Net et la surveillance en ligne, je mentionnais également les fake news, et bien qu’il s’agisse de sujets distincts, ils sont tout de même reliés par le biais d’Internet et du monde digital. Lequel, dans votre opinion, est celui qui pose actuellement le plus grand défi pour la population et lequel devrait nous alerter le plus ? Est-ce plutôt la neutralité du net, les fake news qui s’intensifient quand les gens sont confinés, ou bien la surveillance en ligne ? Car c’est comme si nous devions renoncer à l’un pour laisser émerger l’autre.
Par ordre croissant d’inquiétude, je dirais que la neutralité du Net, qui est assurément un vrai sujet, est toutefois le moins inquiétant. Ensuite viendrait la capacité des gouvernements à mettre en place une surveillance plus poussée et systématique. Le problème de ce que, faute d’une meilleure terminologie, on nomme les « fake news », lui, est très difficile à résoudre. Internet nous donne accès à une immense richesse d’informations, mais beaucoup des sources de ces informations ne sont pas fiables et des opérations de désinformation peuvent avoir lieu. Ce que j’entends par « désinformation », c’est la volonté d’induire le public en erreur ou de le manipuler délibérément (on le voit notamment dans l’actualité la plus récente, par exemple dans les débats autour de l’Ibuprofène et de son hypothétique nocivité pour les malades du COVID-19).
La difficulté liée à la désinformation est d’ordre philosophique. Dans les nations développées, nous reposons sur la fausse assurance d’un rationalisme critique également partagé, on n’a pas évalué ce problème à sa juste mesure. Ce que j’entends par rationalisme critique, c’est précisément la capacité de s’interroger sur la fiabilité d’une source d’information. Comment sais-je que quelque chose est vrai ? Que se passe-t-il si c’est faux ? Comment puis-je « tester » si ce que je pense est vrai ? Dans notre rapport à l’information, nous avons une tendance naturelle, et renforcée par l’habitude, à nous fier à nos préjugés, les faits venant confirmer ce que nous voulons voir. Mais dans un monde rempli de sources d’informations de toutes sortes, mus par cette tendance naturelle, nos pires peurs seront aisément confirmées, pour peu que nous y soyons prédisposés. Il devient facile, par une brève recherche sur Internet, de trouver quelque chose qui semble justifier nos théories du complot, nos croyances irrationnelles, et autres attitudes antisociales et autodestructrices. C’est un problème réellement ardu et l’obligation nous incombe, envers nos semblables et l’espèce humaine tout entière, d’enseigner à tout le monde ce que j’ai appelé le rationalisme critique, une sorte d’épistémologie de base, faute de quoi nous sommes, par nature, exceptionnellement vulnérables à la désinformation, aux idées fausses et aux préjugés. Pour surmonter cela, un choix moral individuel ne suffit pas ; je crois très profondément qu’il faut considérer ce problème comme un problème social à part entière et nous donner les moyens, par une politique éducative concertée, d’y apporter une réponse pragmatique.
Pourquoi, dans une crise globale, le monde semble-t-il à la fois plus et moins global ? Jamais le monde n’a été aussi humain, et l’humanité confrontée si également à une même difficulté. Chacun est enfermé chez soi, tout le monde fait face aux mêmes problèmes, tout le monde doit répondre à la pandémie. Nous attrapons tous le virus, sans considération de religion, d’origine, d’ethnie – et en même temps, nous fermons les frontières et quelques pays disent que cela ne les touche pas. Alors pourquoi, lors d’une crise globale, le monde semble moins global ?
Quand il y a un chamboulement global, social ou économique, en général les gens peuvent descendre dans la rue pour manifester, obtenir un progrès social, influencer le résultat d’élections ou faire la révolution. Mais une des difficultés que nous rencontrons face à la pandémie, c’est que maintenant, en ce moment historique précis, si nous sortions tous dans la rue, ou si nous protestions tous place Tahrir, nous nous contaminerions tous, ce qui ne serait pas optimal. Mais nous vivons ce moment étrange où l’on se rend compte que nous pouvons communiquer, partager une expérience, coordonner nos actes, et je pense qu’à la fin ce sera plutôt positif. En même temps, dans la diversité de mes réseaux sociaux, je suis en contact avec des gens qui sont presque sûrs que les Chinois ont inventé le COVID-19 ; il y a encore des théories du complot qui circulent et, étant tous confinés, ce n’est pas programmatique.
En France, on entend encore bien pire : on a vu par exemple, en ligne, beaucoup de faux documents qui établissent un lien entre le COVID-19 et le mari de l’ancienne ministre de la santé – il s’appelle Lévy, au cas où vous vous demandiez… Ces fake news prétendent qu’ils auraient eu un conflit d’intérêts et que ce sont eux qui, avec la Chine seraient à l’origine du virus mondial. Alors, ce ne sont pas uniquement les Chinois, ce sont aussi les Juifs…
Oui, l’antisémitisme français a une longue vie – mais vous savez, nous avons nos propres variétés aux États-Unis. J’ai moi-même vu des idées antisémites mises en avant dans les médias anglophones, ça circule, et je ne suis pas surpris de voir l’antisémitisme revenir. Encore une fois, je pense que cela relève de l’impulsion de chercher une théorie simple qui explique tout et redonne de l’ordre à un monde en désordre. Les gens aiment avoir un principe ordonnateur qui, à travers l’identification d’un ennemi, canalise les énergies dans la calomnie. Au moins, si l’on sait qui est l’ennemi, alors la mission est claire : il faut le vaincre. Mais nous vivons dans un monde fragmenté, extraordinairement complexe, et nous ne devons pas céder à notre désir instinctif de vouloir à tout prix une théorie simple comme explication. Si l’on pouvait tout rapporter à une théorie simple, nos relations de couple et nos relations familiales seraient parfaitement heureuses, car nous comprendrions tout. Nous saurions également tous pour qui voter, puisqu’une seule personne ferait l’unanimité de tous les électeurs. Mais non, les humains sont complexes, et nous devons apprendre à résister à notre tendance à la sur-simplification de nos systèmes politiques.
Cela me rappelle Hannah Arendt. Dans Qu’est-ce que la politique ?, elle explique que la politique débute dès qu’il y plus qu’une personne ; car si, pour une personne seule, il est simple d’organiser sa vie, l’organisation systémique implique en elle-même de la complexité.
C’est très juste. Vous savez, je n’ai pas de réel optimisme au sujet de la démocratie, mais j’en ai tout de même un, bien mesuré. Nous avons, à notre époque, à faire face à de nombreux problèmes, dont le COVID-19 et le récent chaos économique ne sont que le début d’une série. Nous en aurons encore, et cela va inclure des choses comme le réchauffement planétaire et la migration de masse qui sera elle-même le résultat du changement climatique. Il va y avoir davantage de maladies, davantage de tensions internationales entre les gouvernements qui se divisent sous la menace de ces facteurs environnementaux. Face à tout cela, ma croyance, forte, c’est qu’Internet fournit une nouvelle variété de moyens de communication pour que les hommes et les femmes puissent partager leur sagesse, leurs observations et leurs connaissances, aussi bien que leur mécontentement, leurs commérages et leurs théories du complot. J’espère ainsi que nous deviendrons plus mûrs en tant que société collective, et que nous laisserons derrière nous tous ces abus pour tirer le meilleur parti des technologies de communication et en inventer encore d’autres. J’espère que l’idée que certains comportements sont antisociaux va se répandre de manière mimétique parmi tous les internautes.
C’est peut-être une question piège. Sur ce même sujet, beaucoup de gens, parfois des intellectuels, comme Yann Moix, disent que les choses ne reviendront jamais à la normale. D’autres disent qu’il ne s’agit que d’une anomalie qui durera quelques semaines, quelques mois, puis que les choses reviendront à ce qu’elles étaient, comme si rien ne s’était passé. Quel est votre point de vue sur ce sujet ? Pensez-vous que ce que nous sommes en train de vivre va créer une sorte d’éveil ou de renaissance ?
Je crois que les deux prédictions sont justes : les humains se comporteront toujours comme des humains, et nous mettrons aussi en place des changements de longue durée en conséquence de cette crise particulière, mais aussi en prévision d’autres crises à venir. D’un point de vue biologique, la nature humaine, malheureusement, ne change pas rapidement. Par contre, d’un point de vue sociologique, elle change heureusement vite.
Un des changements qui résultera de cette crise, c’est que nous réaliserons à quel point nous sommes connectés, et combien il est important pour nous de coordonner nos efforts en réponse à des événements comme des pandémies.
Vous nous donnez de l’espoir pour l’avenir… Dans une interview pour le Times Magazine, vous avez dit que, culturellement, nous sommes au milieu de notre adolescence et qu’à l’adolescence, on n’est pas encore complètement socialisé. Alors, ma question – en tant que grand fan de Star Trek –, c’est : quand l’humanité aura-t-elle atteint l’âge d’adulte ?
Quand parviendrons-nous à l’âge adulte ? C’est une question difficile. Quand je parle de l’état d’adolescence de notre espèce – en un sens métaphorique, comme dans Star Trek –, je veux dire que nous avons encore à grandir, et beaucoup à apprendre. Nous avons un très grand potentiel, mais nous devons d’abord apprendre à être civilisés, et ensuite, lorsque nous serons devenus un peu civilisés, nous devrons apprendre à être plus sages. Il nous faut tirer des leçons de nos erreurs et de nos échecs, et j’espère que nous parviendrons à ce que nos erreurs soient les moins nocives possible. Si nous y arrivons, j’ai de l’espoir pour nous.
Croisons les doigts. Vous avez dit aussi que nos sociétés ouvertes doivent tolérer que les gens utilisent parfois leur liberté à mauvais escient, même s’il y a une énorme différence légale sur ce sujet entre les États-Unis et l’Europe – et surtout la France, où l’Histoire a beaucoup pesé. Alors, à votre avis, jusqu’à quel point peut-on aller avec la liberté d’expression ?
Il existe en effet des différences en termes de légalité relative à la liberté d’expression entre les régimes de droit civil en Europe, et les régimes de Common Law, comme aux États-Unis, au Royaume-Uni, au Canada et en Australie. Mais, dans l’ensemble, ces deux types de régimes ont beaucoup plus de principes en commun que de différences dans le domaine de la protection de la liberté d’expression. Lorsque, parmi les pays développés, on essaie d’harmoniser nos approches différentes – pas uniquement en termes de liberté d’expression, mais aussi en termes de vie privée –, cela génère toujours un peu de tensions, car pour pouvoir les harmoniser, il faudrait avoir la maîtrise des deux paradigmes ; or nous n’avons pas encore, aujourd’hui, atteint un quota suffisant de législateurs et de philosophes politiques capables d’embrasser une perspective critique aussi large. Mais je ne crois pas que ce soit impossible, même si nous vivons une époque d’intensification des nationalismes ainsi que de scepticisme et de réactions de rejet des organisations multilatérales, telles l’Union Européenne et les Nations Unies. Pour ma part, je continue de considérer ces projets comme de remarquables succès, même si ce ne sont pas des réussites parfaites.
En ce qui concerne la liberté d’expression en particulier, malgré les réelles différences entre le système constitutionnel de la Common Law des États-Unis et de quelques autres pays anglophones, et le modèle de la loi civile de l’Union Européenne et de plusieurs autres pays, je pense que l’histoire nous suggère qu’encourager le plus de tolérance possible, même à l’égard des discours de haine, donne de meilleurs résultats pour la culture. Certes, les dessins de Charlie Hebdo, par exemple, ont terriblement offensé un certain groupe de personnes ; mais la solution n’est pas d’opérer une distinction entre les sujets à l’égard desquels on peut user de la liberté d’expression et ceux à l’égard desquels on ne le devrait pas. Et je suis Charlie aussi. La solution, d’après moi, est de reconnaître que les formes d’expression qui ont pour but de causer des dommages physiques dépassent le seuil de tolérance dans l’un comme dans l’autre des deux cadres de la liberté d’expression.
Ma dernière question pourrait synthétiser toute notre conversation : selon vous, la crise actuelle est-elle une sorte de nouvelle naissance pour Internet ?
Je pense que oui. Nous avons tendance à dire que Facebook, Twitter ou plus largement Internet sont quelque part à l’origine de mauvais comportements sociaux (nous en avons été témoins autour des mouvements populistes à travers le monde, pas seulement aux États-Unis et au Royaume-Uni, mais aussi au sein de l’Union Européenne, aux Philippines, au Cambodge, au Myanmar et ailleurs). Mais si l’on regarde honnêtement l’histoire humaine, le fait est que nous avons été et sommes parfaitement capables de mauvais comportements massifs, destructeurs, guerriers, meurtriers, en l’absence d’ordinateurs. Ce que je veux dire, c’est que nous avons toujours eu ce potentiel en nous ; et lorsque nous nous sommes mis à nous organiser en États-nations, nous avons décuplé notre capacité à faire ce genre de choses. Alors je ne crois pas qu’il faille faire porter la faute des difficultés que nous connaissons aujourd’hui à Internet. Je pense, au contraire, que, particulièrement pendant cette période, nous voyons que les gens se souviennent de la valeur d’Internet et de notre capacité, à travers Internet, à partager des idées – même s’il y a, et qu’il y aura toujours, cela va sans dire, de mauvaises manières de se servir d’Internet. Plus généralement, c’est en commençant à tirer profit de ce qui est bon au lieu de se contenter de dénoncer ce qui est mauvais, que nous effectuerons notre croissance de l’adolescence vers notre maturité.
Mike Godwin est l’auteur notamment de:
Cyber Rights: Defending Free speech in the Digital Age (The MIT Press, 2003).
The Splinters of our Discontent: How to Fix Social Media and Democracy Without Breaking Them(Zenger Press, 2019).
La loi de Mike Godwin est une règle à double tranchant. Alors qu’elle nous permet d’écraser la face d’un criminel narcissique en puissance contre un miroir dont il n’a jamais réussi à dépasser le stade pour le moins puéril, elle offre à ce rouage essentiel de la majorité silencieuse une occasion rêvée de s’enliser plus sévèrement dans son propre néant, lui octroyant une légitimité qu’il n’aurait jamais imaginé se voir conférer par sa cible au moment même où il s’apprête à porter le coup de grâce.
Nulle loi n’est fondée à délégitimer une vérité implacable dans la seule perspective de démonter un argument, fût-il fallacieux. Aussi, en veillant à ce que l’histoire de l’État islamique d’IRAN soit retracée dans l’axe d’un empire ARYEN dont la fascination que sa mythologie (païenne) exerça sur lui ne serait pas sans effet (hérétique) sur la reconstruction d’une image narcissique déjà sérieusement endommagée par les humiliations à répétition que lui avait fait subir la prodigieuse et confortable avance que continuaient à prendre sur son propre parcours civilisationnel les lointains héritiers d’Alexandre le Grand, je n’ai pas en tête de discréditer un adversaire que je n’aurais pas réussi à neutraliser si j’avais dû l’affronter à la loyale, mais à l’inverse, en réfutant ses arguments erronés pied à pied, quitte à écrabouiller sa sordide ineptie, l’obligation me presse de parer aux attaques répétées d’un ennemi dont on peut s’étonner qu’il ne soit pas davantage réputé pour sa sournoiserie chronique et l’énormité des contre-vérités qu’il prêche dans un désert bondé d’acclamateurs, quand le peu de ripostes qu’il génère laisse entrevoir l’impact qu’il produisit sur les cervelles ayant eu la mauvaise fortune de côtoyer sa vacuité.
À cet effet, je réaffirme que le raccordement d’un nazi au secteur d’activité approprié n’équivaut pas au délit de diffamation ultime que constitue l’assimilation de l’État juif au Troisième Reich, or c’est bien là l’obscénité qu’allait hélas permettre le poing godwinien dès lors qu’il se retournerait contre les évidences qu’il avait lancées dans les pieds de sa génération d’enfants gâtés avec l’assurance d’une boule de bowling, inconsciente de l’offense qu’elle répercuterait vers les martyrs de la Seconde Guerre mondiale en insinuant que, contrairement à ce que prétendaient les névropathes obsessionnels qui insistaient sur la nature spécifique, — roulement de Panzer : du nazisme, la génération de la Shoah avait traversé une zone de turbulences en tous points comparable au calvaire de ces hommes et de ces femmes qui, s’écriaient les uns, ploieraient sous la chape de plomb soviétique, ou subiraient, se récriaient les autres, le joug du nouvel ordre mondial.
Que cela nous plaise ou non, il nous faut accepter l’évidence que Hitler a fait des petits. Prétendre que le président d’une hyperpuissance économique et militaire soit issu de l’une de ces portées infâmes n’est pas une mince affaire. Je dirais même que, sous le poids d’une accusation qui reléguerait au second plan les urgences climatique et sanitaire, les États-Unis ne nous autoriseraient pas deux secondes de tergiversations sur le bien-fondé d’une riposte économique et militaire. Car face à la menace qu’un holocauste nucléaire ferait peser sur le monde, deux stratégies de survie s’offriraient à nous : 1) ignorer le caractère convaincant de la force de dissuasion et nous lancer dans les préparatifs d’un débarquement imminent ; 2) sceller un pacte de non-agression d’un cynisme sans nom, d’une lâcheté inouïe et d’une bêtise cuisante, — or nous considérons, en l’espèce, que la seconde option n’en serait pas une.
D’aucuns agiteront la troisième voie comme un épouvantail collaborationniste. Ils en auront probablement convaincu quelques-uns, qui se dépêcheront de rompre avec l’Incomparable Allié, celui-là même qu’ils auraient tellement aimé pouvoir appeler à la rescousse au moment où une catastrophe, venue de l’Est, leur tomberait dessus sans les prévenir après avoir profité d’une vacance de l’histoire prolongée.
Trop tard ? oh non… il n’est jamais trop tard lorsqu’on a, dans son sac, un Hassan Nasrallah pouvant plaider sa cause auprès d’un petit père des peuples molestés par ce Fucking Great Uncle Sam que les vestales de Saddam avait coutume d’appeler le Grand Satan à une maudite époque où les forces de l’Axe américano-sioniste commenceraient de douter de leur capacité de renverser la table.
Chaque fois qu’une comparaison avec le régime nazi s’impose à notre jugement, il est évident qu’elle souligne la petitesse insigne des monstres contemporains qui en font l’objet, aucun d’entre eux n’arrivant à la cheville de feu le Führer de l’Allemagne. Il n’empêche que l’influence des civilisations où l’on peut publier une édition non critique de Mein Kampf et la promouvoir de telle manière qu’elle s’y retrouve en tête des ventes d’une rentrée littéraire, ne peut se comparer avec le discernement d’une autre partie de la même planète où l’on choisit de préserver l’héritage du concile Vatican II, ce petit coin de paradis parfois pavé d’intentions dégueulasses, mais où il est encore possible de poser son regard sur le visage d’Anne Frank sans éprouver une furieuse envie de lui cracher dessus, plutôt que sur la tombe de ses bourreaux.
En revanche, vous n’aurez pas besoin de me convaincre que l’un des grands défi qu’auront à affronter notre génération et quelques autres, à savoir que le réchauffement climatique déclenchera un tsunami migratoire dont nous tenterons, peut-être en vain, d’empêcher qu’il ne submerge les écosystèmes tempérés avant que l’effondrement des grandes puissances économiques ne débouche sur la Première Guerre civile mondiale, n’est pas en corrélation directe avec le problème de l’entrisme nazi en terre d’islam. Je me permets tout de même de vous relancer, après vous avoir invité à réfléchir au fait qu’il n’y a pas mieux pour conforter les théoriciens du Grand Remplacement que le mépris considérable qu’affiche, face aux mafias djihadisantes, un anticolonialisme à géométrie variable qui, craignant d’exciter la Bête islamofasciste et ses plateformes antisionistes, occulte systématiquement le taux de croissance économique inédit dont jouit le continent africain grâce aux investissements massifs dont il bénéficia à partir de l’administration W — ceci explique cela — s’imposant, de surcroît, un total blackout sur les deux mamelles du Jihâd que représentent la panarabisation et la panislamisation des régions infidèles d’une planète ayant vocation à s’unifier sous le drapeau de l’islamisme rampant et galopant, un plan (anti)diabolique ne rencontrant que peu d’obstacles sur son passage lorsqu’il est mis à exécution au sein d’une nébuleuse intellicide attribuant aux prétendants à la succession mahométique une seconde mâchoire pour prendre le monde libre en étau, avec le soutien d’une communauté indigéniste qu’une élite traitresse pousse dans les bras du suprémaciste Farrakhan, aveuglée par son besoin de régler ses comptes avec la religion des manipulateurs d’un Livre de la Genèse dont les antiques récepteurs n’eurent jamais l’intention d’utiliser le chapitre 9 en vue de justifier la réduction en esclavage des nations africaines issues des trois frères de Kena‘ân, en rétribution perpétuelle pour la faute inexpiable de leur oncle mythique.
P(rocès)-S(ion) : Je ne cesserai pas pour autant de remonter le curseur de mon intolérance au gluten négationniste vers le point Godwin, du moins aussi longtemps que l’Acommunauté qui le brandira contre Israël persistera à revendiquer son crime contre l’humanité au carré.
P(ro hack)-S(ion) : La loi de Godwin est un bouclier s’avérant aussi redoutable pour les portraitistes défiguratifs de Lavalls et Sarkonazi que dans la neutralisation des plaidoyers contre la réhabilitation du Grossmufti von Palästina. Cette loi est utile à tous, donc à personne, sinon à démontrer qu’elle l’est, ce qui est déjà énorme.
P(riva)-S(ion) : Mais tu me pousses encore, illecteur égaré, à préciser le fond de ma pensée quand, dégainant les chefs d’essentialisme et de diffamation, tu déportes une accusation, que j’avais pris grand soin de diriger contre la seule communauté indigéniste, vers ta propre perception, pour le coup diffamante car artificiellement essentialiste, de la communauté des citoyens américains dont la généalogie comprend a minima une lignée issue d’une ou plusieurs victimes du commerce triangulaire. Je t’invite donc à t’interroger sur la relation que tu entretiens avec cette autre sphère concentrique englobant communauté nationale et citoyenneté, laquelle sphère civilisationnelle je ne voudrais pas voir un jour préemptée par les WASP avec ton malheureux concours.