Aujourd’hui, 2 avril, c’est la Journée mondiale de la sensibilisation à l’autisme. A cette occasion, le président de la République, Emmanuel Macron, a adressé un message vidéo directement aux personnes atteintes de ce trouble afin d’annoncer qu’une autorisation de sortie spécifique leur serait accordée.
Le sujet risque malgré tout d’être délaissé en ces temps de crise. Et pourtant… Alors que nous entrons dans la troisième semaine de confinement, les autistes ainsi que leurs parents et aidants, sont, plus que jamais, mis à l’épreuve.
Le manque de repères pour ceux qui nécessitent une routine particulière, la perte de la prise en charge et de l’aide habituelle ainsi que la difficulté de comprendre le besoin des gestes barrières sont autant d’épreuves supplémentaires à gérer. Entretien avec Christine Revol.
Votre frère est atteint d’autisme. Pouvez-vous nous décrire les caractéristiques de ce trouble ?
Il existe différentes formes d’autisme et les atteintes peuvent être plus ou moins importantes. Chez mon frère, par exemple, il s’agit d’un trouble neuro-développemental avec un retard dans toutes les acquisitions : marche, langage, perception. Cela a entraîné des troubles du comportement et a altéré sa communication avec le monde extérieur. Il ne peut vivre seul et a des conduites dangereuses pour lui-même. Ses centres d’intérêt sont restreints.
Comment prend-t-on en charge, au quotidien, une personne atteinte d’autisme ?
La prise en charge est constante, pour les moindres gestes de la vie quotidienne. Il a besoin d’un environnement sécurisé et sécurisant. Être seul est source d’angoisse et le fait crier comme un enfant.
En France, aujourd’hui, le principe fondamental est l’inclusion… C’est, bien sûr, une bonne chose mais difficile à mettre en œuvre, surtout pour les personnes moins autonomes. La dite «éducation structurée», la structuration du temps et de l’espace, est appliquée dans tous les établissements. Comme la plupart des résidents ne parle pas, la communication se fait à travers les images : des pictogrammes représentant objets, actions ou lieux dédiés. La journée est découpée en séquences rythmées par un «timer» et quand une tâche (toilette, repas, sport etc.) est terminée, le résident pose son pictogramme sur son emploi du temps.
Pensez-vous qu’il soit encore nécessaire de «sensibiliser à l’autisme» ?
On a avancé dans la connaissance de l’autisme et les diagnostics précoces permettent une meilleure prise en charge. Mais les besoins sont encore criants car nombreuses familles restent sans solution pour leur enfant devenu adulte. D’après la loi, depuis 2005, les écoles en «milieu ordinaire» doivent accepter tous les enfants porteurs d’un handicap – y compris l’autisme – mais l’aide à leur intégration est très insuffisante et, plus tard, à l’adolescence, l’inclusion en collège puis en lycée reste laborieuse par méconnaissance de ce trouble. Il est donc, plus que jamais, nécessaire de sensibiliser le plus largement possible à l’autisme.
Alors que la France est tenue de respecter un confinement généralisé, comment les familles et les centres accueillant les autistes font-ils face ?
Pour mon frère, qui se trouve dans une maison d’accueil spécialisée (MAS), le confinement a été organisé dès le début, avec beaucoup de sérieux, en limitant les interventions extérieures aux besoins vitaux. Les rendez-vous médicaux ont été annulés, sauf pour les urgences. Le personnel malade a été systématiquement remplacé. Certaines familles, quand c’était possible et si elles le souhaitaient, ont gardé leur enfant à la maison (ce qui n’est jamais simple).
Comment respecter les fameux « gestes barrières » quand on doit gérer des personnes atteintes d’autisme ? Comment, quand on a un membre de sa famille qui séjourne dans une maison d’accueil spécialisée, vit-on cette distance de longue durée ?
Des protocoles d’hygiène renforcée ont été mis en place. Les professionnels portent un masque chirurgical et utilisent du gel hydro-alcoolique.
C’est astreignant pour le personnel, mais nous (les familles) avons tellement l’habitude de travailler en concertation avec l’équipe des MAS, que nous savons qu’elle sait gérer les situations de crise.
Dans notre famille, nous tentons de garder le contact. Tandis que l’un de mes frères maintient des rendez-vous téléphoniques, des visio-conférences via Skype, j’envoie des photos. Mais on s’interroge : a-t-il réellement conscience du temps qui passe ? Je sais qu’il me réclame beaucoup ; on essaie de lui expliquer le virus et ses dangers.
Le film «Hors normes», sorti en salles en 2019, raconte les difficultés rencontrées par enfants et adolescents autistes mais aussi celles vécues par les personnes les encadrant. Vous êtes-vous sentie représentée par les problématiques que y sont abordées ?
Le film «Hors normes» que notre association SESAME AUTISME a présenté dans de nombreuses salles dans la région Rhône-Alpes, avec discussion après les séances, a soulevé une vive émotion dans les familles touchées par ce trouble et beaucoup d’intérêt chez les personnes connaissant peu ou mal l’autisme. C’est un excellent film, sans pathos, ancré dans la réalité, qui montre bien les difficultés d’accueil des cas complexes et le manque de structures adaptées. Personnellement, je m’y suis reconnue.
À la disparition de ma mère, je me suis occupée de mon frère seule. L’épuisement m’a gagnée et j’ai compris que l’on ne peut pas y arriver seul et que ces établissements sont indispensables pour que les familles ne s’épuisent pas.
Les éducateurs et les soignants sont des personnes extraordinaires, avec une vocation qui leur donne des ressources, des idées et une recherche constante pour faire progresser les personnes avec autisme.
Quelles mesures gouvernementales pourraient être prises afin d’améliorer la situation des autistes (ainsi que des familles et centres) ?
Les listes d’attente sont longues pour la prise en charge dans les MAS (maison d’accueil spécialisée) ou les FAM (foyer d’accueil médicalisé). Il faudrait autoriser l’ouverture de plus d’établissements pour les autistes moins autonomes.
Le personnel spécialisé est surchargé et épuisé. Afin de permettre un meilleur encadrement, il est impératif d’octroyer plus de moyens et, notamment, de multiplier le nombre d’Auxiliaires de Vie Scolaire dans les écoles tout en leur accordant un meilleur statut.