Le film «Mientras dure la guerra» du cinéaste oscarisé Alejandro Amenabar sort en salles cette semaine. Le réalisateur est confirmé, le sujet, la révolte tardive mais louable d’Unamuno en 1936, à l’université de Salamanque, contre Franco, est prometteur, et le titre, espagnol, tout ce qu’il y a de plus alléchant, et, lors de sa sortie en Espagne, l’œuvre a été saluée et récompensée. On s’en tiendrait alors à une critique cinéphile et enthousiaste.
Seulement voilà.
Le distributeur français a choisi d’intituler le film «Lettre à Franco», ce qui constitue un double mauvais coup. Or, «Lettre à Franco», c’est le titre de l’épître adressée par Fernando Arrabal au général cacochyme et dictatorial, toujours au pouvoir, et qui valut à son auteur les foudres du régime, comme le soutien de tout ce que la littérature mondiale compte de génies engagés, d’Arthur Miller, Mauriac ou Beckett.
C’est, d’une première manière, un très mauvais coup joué à Arrabal : on ne vole pas un titre à son auteur. On peut faire des variations, on peut être Mozart empruntant à Beaumarchais, mais il s’agit d’un hommage ; on peut faire comme Giraudoux et numéroter son «Amphitryon», mais c’est une variation ; on peut inventer une nouvelle «Electre», mais l’œuvre est tombée dans le patrimoine commun, et le créateur original ne souffre pas de débat ; on peut reprendre «Faust», mais on y injecte son génie de Boulgakov ; bref : entre salutations, reprise pleine de reconnaissance, coup de chapeau amical, fraternel et distingué, la courtoisie littéraire a ses codes. Mais il ne viendrait à l’idée de personne, aucun jeune auteur français, de sortir un premier roman intitulé «Voyage au bout de la nuit» ou «Les Particules élémentaires», ce serait grotesque et inconvenant.
D’autant que, absurdité supplémentaire, les films d’Amenabar sont régulièrement distribués sous leur titre espagnol, comme ceux d’Almodovar d’ailleurs, ce qui constitue une préciosité charmante, et rajoute à leur charme exotique.
Mais c’est aussi un mauvais coup indécent porté contre Arrabal, puisque, en empruntant le titre d’une œuvre de rébellion absolue contre Franco, le geste semble placer sur le même plan l’acte héroïque d’un poète et la tergiversation complexe d’un vieux sage de la nation espagnole.
Ce que firent Arrabal et Unamuno sont, de toute évidence, différents, et il est permis de penser qu’il y a une distinction à opérer entre l’insulte étincelante faite à Franco, et l’indignation d’un lettré contre l’archevêque de Salamanque et le général Villan-Astray ; on peut trouver l’un plus admirable que l’autre, peu importe, ce n’est juste pas la même chose. Là encore, on ne ferait pas un film sur Zola en l’intitulant «Les Châtiments» ou «Méditations à Guernesey».
Mais, ce qui est peut-être pire, c’est ce que cela traduit, en creux, de la pensée du distributeur, qui a l’air de considérer que le public français ne peut se figurer un film sur l’année 1936 se déroulant en Espagne, que si on lui met explicitement le mot «Franco» dessus.
Et c’est d’autant plus bête que le titre espagnol «Pendant la guerre» dit, pour le coup, parfaitement, le voyage intérieur d’Unamuno dans un contexte d’orage et de cendres, sa durée et son paysage.
Il ne faut, dans la vie, jamais croire au pire, et à trancher, il est plus probable que cette mauvaise manière soit guidée par l’ignorance et l’inculture plutôt que par la perversité.
Mais c’est, enfin, d’autant plus stupide que le «message» du film – par ailleurs sans doute très beau – d’Amenabar prend comme décor l’université de Salamanque, où les franquistes poussèrent pour la première fois leur atroce cri de «Mort à l’intelligence», et qu’ainsi, il illustre ce moment même où deviennent redoutables l’ignorance et l’inculture, comme ferments de la destruction de la civilisation, de l’Europe, et de la culture.