«Lula brisé, Lula outragé, mais Lula libéré !», voilà ce qu’auraient pu chanter les milliers de partisans réunis dimanche dernier à Recife, dans le Pernambouc, la terre natale de Lula, alors que l’ancien président brésilien, libéré huit jours plus tôt à la surprise générale, venait saluer les nombreux Brésiliens restés fidèles à l’homme politique. Après 580 jours de prison, Lula avait vu sa rétention jugée inconstitutionnelle – ce qui d’une part ne l’absout d’aucun des six processus judiciaires qui suivent leur cours, ni, d’autre part, ne lui retire son inéligibilité. Mais il n’empêche. Lorsque Lula est sorti de prison, avec des airs de Mandela, en plus facétieux, plus «rock star», avec une sorte d’électricité dans l’air qui parfumait l’atmosphère de vapeurs des Cent Jours de Napoléon, l’ancien leader syndicaliste, icône de la gauche sud-américaine, a entamé l’air du «Je suis de retour». Bien entendu, toute l’affaire reste à être jugée. Mais voilà sans doute les trois choses dont on peut se réjouir, pour le Brésil.
D’abord, le Brésil reste une démocratie, avec ses contre-pouvoirs, fussent-ils terriblement mis à mal par les «miliciens de Brasilia» comme Lula appelle Bolsonaro et sa clique. Certes les fondamentaux du débat public sont devenus d’une violence inouïe ; certes des députés ou des opposants sont assassinés ; certes la société civile souffre terriblement, mais il reste que le «Trump des tropiques» comme la presse aime à surnommer Bolsonaro risque de périr par là où Trump menace de succomber : une Cour suprême malgré tout indépendante. C’est la première leçon de cette version brésilienne du Comte de Monte-Cristo (sauf que, contrairement à Dantès, Lula ne s’est pas évadé…). Et c’est d’autant plus important que de graves soupçons pèsent sur l’impartialité du système judiciaire brésilien. L’Opération Lava Jato, cette tentaculaire affaire de corruption, pour laquelle Lula reste inculpé, et dont l’enquête a été menée par un obscur juge de province devenu chevalier blanc et Cicéron triomphateur, Sergio Moro, est de plus en plus critiquée. Des écoutes publiées par le site Intercept montrent la collusion des juges et des procureurs, et leurs ressorts politiques. Par ailleurs le même juge Moro est devenu ministre de la Justice de Bolsonaro, ce qui fait se demander chaque Brésilien si, plutôt que la passion de la vérité, le juge n’était pas mû, en premier lieu, par l’idée d’occuper finalement sa charge actuelle, ou de finir nommé… à la Cour suprême.
Deuxièmement, avec des élections municipales l’année prochaine et les présidentielles en 2022, le Brésil retrouve un peu de respiration politique. Lula est aussi adoré que détesté. Et il fait figure d’épouvantail commode pour Bolsonaro, qui s’est aussitôt remis à insulter son adversaire, supposément, un ogre communiste. Sauf que Lula apparaît comme le seul personnage d’envergure pour se frotter à ce Président authentiquement fou, qui embarrasse par son mauvais goût, son népotisme, sa bêtise, et pour tout dire, son fascisme, jusqu’à ses propres alliés politiques. Peut-être que Lula a encore plus de détracteurs que d’adorateurs. Mais son simple retour en Némesis de Bolsonaro aère singulièrement l’air vicié de la politique brésilienne. Une alternance est possible. Tout un pan terrorisé du Brésil peut se réveiller. Ce n’est pas le début d’une victoire. Mais c’est l’aube d’un espoir.
Troisièmement, dans ce continent jusque là d’une certaine stabilité, Venezuela mis à part, tout a changé en quelques semaines. La droite libérale au pouvoir en Argentine a perdu ; elle s’est discréditée au Chili ; l’extrême droite autoritaire se ridiculise et s’avilit au Brésil. «La plus limpide région» dont parlait Fuentes est devenue plus embrouillée ; mais peut-être, ces dernières semaines, a-t-elle gagné en démocratie ce qu’elle a perdu en simplicité d’analyse. Ce n’est peut-être pas si mal.