«L’art semble compromis», remarquait Roland Barthes. Pourquoi ? Parce que l’art, historiquement, socialement, s’est associé au pouvoir, quel que soit le pouvoir. Si bien que l’artiste n’a plus d’autre choix que de «détruire l’art», s’il veut cesser de se compromettre.
Barthes faisait cette remarque en 1973 à la fin de sa période marxiste. Aujourd’hui l’art n’a plus mauvaise réputation. C’est le moins qu’on puisse dire. L’art, mais pas la peinture. Elle souffre beaucoup, témoin d’un temps décidément révolu au regard de notre actualité.
Le suicide de la peinture, comme d’ailleurs celui de la poésie, ne suscite guère de commentaires. Cela semble aller de soi que les peintres comme les poètes se soient autodétruits, en tant qu’artistes, au cours du XXe siècle, alors que d’autres arts ont émergé – la haute-couture, le design, les jeux vidéo, etc. Je n’en reviens pas. C’est tout de même un phénomène considérable.
Comment peut-on encore peindre ? Je me pose la question chaque fois que je rencontre Rafael Cidoncha. Qu’est-ce qu’éprouve un peintre aujourd’hui ? Que peut-il faire, maintenant, sinon tikkuniser la peinture ?
La destruction n’est jamais absolue. Il subsiste encore quelque chose de la peinture, au moins l’envie de peindre, l’envie de rendre vie à la peinture, l’envie de réparer ce qui a été détruit. Pour autant, on ne fera plus la même peinture. On n’oubliera pas son anéantissement presque total comme après un tremblement de terre ou l’explosion d’une bombe.
Cidoncha ne peut pas peindre un jeune homme en maillot de bain sur une plage comme si de rien n’était. Ce tableau revient de loin.
Il y avait quelque chose d’étourdissant, de vertigineux, de sublime dans la désintégration de la peinture ou de la poésie, quelque chose qui défonçait (à la lettre ou en image) et dont on a évidemment du mal à se passer.
Le plaisir de la peinture, le plaisir même que je ressens devant un tableau comme celui-là, ce plaisir, je ne le ressens qu’avec une certaine forme de culpabilité, liée à mon regret du XXe siècle, car ce siècle – si défonçant – c’est tout de même le mien, il me colle encore à la peau.
Disons le mot : cette peinture, je la trouve belle. Mais, précisément, c’est parce que je la trouve belle, que je m’en sens coupable.
Ce sentiment, je ne suis pas le seul à l’éprouver. La plupart de ceux qui aiment la peinture de Cidoncha se sentent probablement coupables d’aimer sa peinture. Et qui sait si Cidoncha, lui-même, n’éprouve pas cette culpabilité ? D’une manière ou d’une autre, il doit forcément la ressentir, ne serait-ce qu’en portant un regard extérieur sur elle.
Tikkuniser, c’est quoi ? Sinon surmonter les tentations suicidaires liées à cette sorte de culpabilité qui fait qu’on n’ose plus même dire «poésie».
Ce tableau, aussi, je l’aime beaucoup. Il a été peint d’après une gravure du XVIIIe siècle qui représente la chambre de Voltaire. A gauche, dans une niche, se trouvait le cœur de Voltaire, conservé dans une espèce de petit monument, auquel Cidoncha a substitué le cœur de la peinture.
Dans «voltaire», on entend «révolte». Cidoncha y a sûrement songé, inconsciemment au moins.
Sur les murs, à la place des amis de Voltaire, le peintre a représenté ses propres amis : Velasquez, Chardin, Cézanne, Picasso, Lucian Freud, David Hockney, etc.
Le cœur de la peinture est là. Est-il mort ? Est-il vivant ? Le tableau pose précisément la question. C’est ce qu’il y a de plus troublant en lui. Il en émane quelque chose de funèbre. Et, en même temps, dans sa lumière, dans sa manière même d’être de la peinture, quelque chose reprend vie. Une vie toujours précaire, d’une précarité qui lui donne paradoxalement sa grâce.
Une exposition des œuvres de Rafael Cidoncha a lieu à Berlin, Galerie Albrecht, du 25 janvier au 9 mars 2019.
Le réseau informatique mondial accessible au bas peuple n’est pas mon écran blanc. L’écho de mes réflexions le traverse tel un pari pascalien ; il pourrait tout aussi bien l’enjamber. Si vous traquez un profil de rôdeur, de harceleur, de manipulateur, passez votre chemin. Non, mais franchement ! occuperais-je mes journées à mettre au point un sérum paralysant destiné à des cerveaux dont je me désole trop souvent qu’ils pèchent par leur manque d’autonomie ? Je vais là où j’apprends. J’apprends là où je vais. Sans me polariser sur le premier cacheton venu comme le ferait un fauché du sens figuré, en se jetant à plat ventre sur un mégot crotté. Pas carriériste pour un sou, je vogue sur un vieux bouclier que j’avais extrait d’une valise en peau de porc entreposée au-dessus de la penderie de mes grands-parents juifs, près d’un sceptre poussiéreux qui me sert aujourd’hui d’aviron. Chacun se démène avec les moyens du bord.
Merci de nous signaler l’Expo de Cindocha.
Fréquentant, pour ne pas écrire hantant ! assidûment les galeries (IdF et autres régions), je n’ai pas l’impression que la peinture soit morte, ou dans une tentative de déculpabilisation.
Ça reste pour moi, certes une fois sur 5? sur 10? c’est affaire de goût, de grands moments de joie et d’enthousiasme ! Je vous en souhaite autant…