Évidemment autour de moi se produisent sans cesse des événements qui montrent, et qui même parfois démontrent, le systématique et quotidien tohu-bohu après le Big-Bang et la Genèse. Je ne dirai pas qu’ils poussent à célébrer la cérémonie d’une confusion qui apparaît déjà comme trop brutale et détestable d’un point de vue «culturel». Particulièrement après la déclaration du prix Nobel 1934, Pirandello, à Agrigente: «il vaut mieux employer le terme Chaos». «Et, avec encore plus d’élégance, Kaos». Dali, martyr païen!

Évidemment je me dis parfois (absurdement) que si j’avais vécu avec les végétariens Ève et Adam, je les aurais surpris faisant une grimace de dégoût pour ne pas manger de serpents.

Évidemment dans la Ville Lumière qui trop embrasse éteint pis encore. Depuis presque quarante ans j’habite dans la rue Jouffroy d’Abbans, «la plus large de Paris: pour une question de centimètres ce n’est pas une avenue!». Précisément j’ai assisté au «lendemain» de la messe papale au Bois de Boulogne proche de chez moi (plus exactement dans un hippodrome connu pour ses paris). J’ai été frappé par la multitude de tracts jonchant de telles allées, la quantité et les débordements des sanitaires improvisés, et surpris par l’abondance des préservatifs abandonnés. Pour Mandelbroot tout paraît-il si relatif que si nous vivions 90 millions d’années Mathusalem serait mort en culottes courtes?

Évidemment les hauts faits sportifs ont lieu eux aussi à quelques minutes de chez moi et j’ai pour habitude de leur rendre visite… après l’«événement». Particulièrement aux footballistiques. Étant donné la houle due à la foule trop compacte des manifestants, je me demande s’il n’est pas probable qu’on ne puisse surmonter le mal de mer lors d’un grand «événement» qu’en nageant dans une piscine cinq étoiles?

Évidemment j’ai l’habitude de rendre visite au plus pacifique «événement annuel» très tôt dans la matinée de juillet. Précisément un dimanche (portable à portée de main; déjà). C’est le jour de l’arrivée du «Tour de France». Dès potron minet les plus fervents sont déjà installés, qui se divisent en deux clans nullement antagonistes: les fans de la nation gagnante et les enthousiastes du cyclisme en général. Tous portent différentes tenues: gilets, blazers, casaques, parements, casquettes à la gloire du pays ou de l’équipe qui devrait gagner. Comme si cette célèbre cérémonie avait tout laissé ficelé et bien ficelé par sa rigueur mathématique?

Évidemment au moins dès 8 heures du matin jusqu’à 5 heures du soir on attend stoïquement l’apparition des premiers cyclistes. Il y a aussi une foule de gens qui s’emploient à vendre toutes sortes de babioles plus ou moins en rapport avec le cyclisme. Et même des paroissiens qui prêchent pour un monde meilleur ou une cause finale qui mènera à la paix universelle entre riches et pauvres. J’aime beaucoup voir aussi certains amateurs de ceci ou cela économiser comme des rockfellers pour parvenir à disposer de leur propre trésor.

Évidemment le dimanche 2 décembre de trois à cinq heures du soir j’ai parcouru les avenues de la Grande armée et Kléber, les Champs Elysées et la place de l’Étoile. Il semblait impossible (et inouï) que cent mille personnes dans toute la France (selon les calculs les plus respectable) aient créé un tel «cimetière des voitures» dans «mon» quartier. Mais aucun, par exemple, aux Puces de Saint-Ouen, où, comme tous les dimanches j’avais rendu visite, avec grand plaisir, quelques heures auparavant, à mes amis africains. Comment est-ce possible que, ni de près ni de loin, dans les quartiers les plus torrides de la zone, nous n’ayons vu, ni mes amis ni moi, aucun manifestant? À moins que, y avait-il des manifestants au double langage et invisibles comme les trous noir de l’espace?

Évidemment ma fille («ma» photographe) et moi avons dû nous excuser auprès de nombreux curieux qui se demandaient, scandalisés, si nous n’étions pas en train de nous moquer des commerçants mêmes, dommagés (voire brûlés). «Ou avec l’éblouissante inefficacité des étoiles» prétendit un fakir qui n’était capable d’intéresser que son lit à clous.

Évidemment ce 2 décembre les télévisions nationales à ces heures-là avaient déjà fait leur travail. Et les journalistes aussi. Mais la plupart des télévisions étrangères étaient sur place et disposaient de journalistes qui parlaient français et qui, semblait-il, n’avaient jamais entendu parler (à juste titre) du théâtre panique. Par exemple, la télévision danoise m’a demandé ce que je pensais de la déclaration de l’un des manifestants qui avait proclamé souhaiter «un militaire, un général à la tête du gouvernement». Supposant que le journaliste avait mal compris je l’ai fait répéter et alors il m’a précisé que le «leader manifestant» aspirait à ce que «la solution soit une junte militaire qui exerce le pouvoir». Une des télévisions italiennes avait une journaliste qui avec adresse surprise et altruisme m’a questionné à propos de ma lettre au général Franco. Même le plus politique et ponctuel des serial killers, peut-il tuer le temps?

Évidemment le plus particulier s’est produit, ce jour-là, avec la TVE dont le cameraman français, lui, voulait à tout prix connaître mon opinion, mais la journaliste espagnole le lui a refusé à plusieurs reprises (et je crois avec la meilleure raison du monde). Contrairement, pour «ne pas me distraire», à certains de ses généreux et accueillants collègues. Ou à Buenafuente qui continue à menacer mes compatriotes de réaliser une émission sur ma modeste personne. L’avenir radieux de la luciole est-il plus splendide que son brillant passé?

Évidemment le dimanche 9 décembre nous nous préparons, ma «photographe» et moi à lire des manchettes; «La France retient son souffle», «Jusqu’où?», «Haute tension», «Y’a le feu», «Samedi noir». Dans la rue Jouffroy d’Abbans précisément ce même samedi à 19 heures 14′ un petit groupe de jeunes armés d’une vingtaine de pavés a parcouru les cent quatorze numéros de la rue en quelques minutes, brisé les vitrines des banques et celles de quelques boutiques (entre autres une miroiterie-vitrerie). Dimanche ni dans cette rue ni en aucune autre visitée je n’ai vu une seule voiture ou moto incendiée. Quelques-uns par téléphone, très peu, ont souhaité savoir jusqu’à quel point ma pièce «Le cimetière des voitures» (et même mon film avec Bashung) a ou a eu un rapport avec l’actualité. Pièce que j’ai écrite au sanatorium de Bouffémont il y a 63 ans. À vrai dire Pan dans son infinie omniscience m’a doté de nombreux et altruistes privilèges comme au reste de mes compatriotes et collègues. Mais malheureusement il ne m’a pas accordé le don de pouvoir prévoir l’avenir de ce que, humblement, j’écris. L’éléphant est-il plus apte que la puce à constater son insignifiance?

 

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