En réponse aux déclarations de John Simenon, second fils et ayant droit du romancier, parues dans le supplément littéraire du Figaro du 24 septembre, qui traite mon roman d’élucubrations grotesques, je rappelle simplement ceci.
La société de production Continental avec laquelle Georges Simenon traite le contrat de cinq de ses films a été fondée par Goebbels et est dirigée à Paris par Alfred Greven que le biographe de l’écrivain, Pierre Assouline, traite de «nazi bon teint». Simenon cède en 1942 l’exclusivité des droits du personnage de Maigret pour une durée de trois ans contre la somme considérable de 500.000 francs. Ce qui lui vaut à la Libération de sérieux ennuis que le romancier, qui se targue de ne pas faire de politique, se garde bien d’évoquer dans ses mémoires.
A propos de Pedigree, où le cadet passe à la trappe et disparaît de l’œuvre de son aîné comme de sa vie, Pierre Assouline dit lui-même qu’elle est une «fiction romanesque sous le masque de l’autobiographie»[1]. Et, deux pages plus loin, il s’interroge: «Mais où s’arrête la reconstruction autobiographique et où commence la fiction?». Voilà qui devrait rassurer ceux qui avec une criante mauvaise foi s’inquiètent de la liberté de création du romancier.
Pour poursuivre sa carrière qui seule compte à ses yeux et publier dans des revues collaborationnistes contrôlées par l’occupant, Georges Simenon n’hésite pas à se déclarer «d’origine aryenne» et il précise que sa mère, Henriette, était elle-même «Aryenne» (Allemande de naissance) alors qu’elle était simplement flamande.
Par ailleurs, John Simenon m’accuse d’effectuer de ridicules amalgames et d’écrire «n’importe quoi». À cela, je réplique en citant Julien Green: «Le secret, c’est d’écrire n’importe quoi parce que lorsqu’on écrit n’importe quoi, on commence à dire les choses importantes.» Sans doute est-ce le cas de mon livre à juger le tollé d’indignation feinte qu’il provoque dans le cercle fermé des « simenoniens » et de ceux qui hurlent avec les loups.
Revenons à Christian. Il vient passer une dizaine de jours à Saint-Mesmin-le-vieux, en juin 1943, chez Georges qui n’ignore rien de la dérive de son cadet. Comme le dit le biographe, page 516: «Les deux frères n’ont jamais perdu le contact, tâchant de s’écrire le plus régulièrement possible.» Michel Carly, auquel on doit un instructif recueil sur le séjour de Simenon en Vendée[2] révèle qu’il existe deux lettres inédites de Georget (le fils de Christian), évoquant ce souvenir. Elles dorment dans les archives de John Simenon, à Lausanne, indique la note 85. Pourquoi ne pas les montrer? Il en est de même de la correspondance de Christian que le biographe se désole de n’avoir pu consulter. Et de même l’académicien belge Jacques Charles Lemaire, auteur d’une communication édifiante titrée D’une guerre à l’autre: l’opportunisme de Georges Simenon[3] explique: «Nous avons en vain tenté de vérifier cette hypothèse dans la correspondance que se sont échangés les deux frères, à laquelle nous n’avons pu obtenir accès (suivant le témoignage de sa Conservatrice, le fond Simenon ne conserve pas les échanges entre Georges et Christian.)»
Dommage, vraiment ! Quand l’Histoire est réduite au silence, la fiction prend la parole. Enfin, John Simenon achève le premier paragraphe de sa Tribune en estimant que je noircis la vie de son père et celle de son oncle,«avec un mépris écœurant pour les descendants de ce dernier.» Tiens, justement. Que sont-ils devenus? Même le biographe, si prompt à s’enflammer, ne souffle mot de Blanche Binet, épousée en 1928, ni de Georget, son fils, né le 29 septembre 1932. Pas une image, pas une ligne. Absence coupable.
L’histoire pourtant n’est pas finie. Elle s’achève devant les tribunaux. En 2002, Geneviève Simenon, 42 ans, rhumatologue, est accusée du meurtre de son compagnon. C’est la fille de Georget, la petite-fille de Christian. Au mois de mai, elle paraît devant la cour d’assises de Bruxelles. Pour justifier son enfance malheureuse, elle évoque un «lourd secret de famille» et déclare devant la cour: «Mon grand-père paternel, Christian Simenon, était actif dans le mouvement rexiste. De 8 à 13 ans, mon père était membre des Jeunesses hitlériennes. C’est mon grand-oncle, Georges Simenon, qui les a influencés depuis la France où il résidait. Il était d’ailleurs resté dans la collaboration. J’ai des documents familiaux qui le prouvent et je peux vous les remettre!»[4]
Quand sortira-t-on les secrets du placard pour qu’enfin affleure la vérité?
[1] Pierre Assouline, Simenon, Folio, 1996, p 419.
[2] Michel Carly, Simenon, les années secrètes. Vendée 1940-1945, éd. d’Orbestier, 2005, p.66.
[3] Jacques Charles Lemaire, D’une guerre à l’autre: l’opportunisme de Georges Simenon, séance publique du 23.XI. 2002, Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. Disponible en ligne.
[4] Pierre Guelff, Ciné-Télé Revue, juin 2002. Repris dans Les plus grands procès, éd. Jourdan, 2013. Ainsi que sur les sites de La Libre du 29/5/2002 et L’Obs Monde du 28/5/2002.
Georges Simenon fait depuis longtemps partie des grands écrivains soupçonnés d’avoir succombé au nazisme. Ses affinités nazies n’ayant aucune place dans ses livres, pourquoi ne plus les lire ? Il faudrait alors arrêter de lire Céline et Heidegger ?
Pourquoi avoir fait un livre de fiction et non pas une véritable enquête historique ? Les accusations auraient peut-être été moins remises en doute.
Les propos de Geneviève Simenon sont plus qu’explicites. Il n’y a plus de doute possible quant aux inclinaisons de Simenon !