Il est des films dont le succès est imprévu.
Cela peut être à un niveau faramineux d’entrées, comme l’an passé pour Mais qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu ?, ou à un niveau moindre – mais tout aussi étonnant – comme c’est le cas actuellement pour L’Antiquaire de François Margolin.
Le moins que l’on puisse dire est que le film n’était pas attendu : un sujet grave mais qui dérange, un tournage quasi «pirate» faute de financements importants, le refus de beaucoup de distributeurs et de la plupart des grands circuits de salles, etc.
Or, le film «marche», comme on dit.
Des dizaines d’avant-premières à travers la France toujours pleines à craquer, un enthousiasme rarement vu de la part des spectateurs et puis le public au rendez-vous. Malgré le petit nombre de salles dans lesquelles le film est diffusé – six ou sept à Paris –, L’Antiquaire était numéro 6 des sorties de la semaine sur Paris, juste derrière les blockbusters américains et un film français très «grand public». Ce n’est pas rien !
Cette réussite, le film la doit sans aucun doute à l’excellent bouche-à-oreille qu’il suscite chez toutes sortes de gens : jeunes et vieux, juifs et non-juifs, intellectuels ou pas, cinéphiles et non-cinéphiles…
Il la doit aussi à ce qu’il révèle de la France: une France qui ne veut pas assumer son passé collaborationniste, une France où la puissance administrative est plus forte que la morale et où soixante-dix ans après la Guerre, les Musées se permettent de retenir des tableaux qui ne leur appartiennent pas : des oeuvres qui ont été volées à des familles juives pendant les années d’occupation.
Un véritable scandale que met en lumière ce film et qui en gêne plus d’un : une projection dans un Musée bien connu a ainsi été annulée à la dernière minute, le directeur ne trouvant pas à son goût les critiques du film à l’égard de l’administration !
On est donc bien loin d’un soutien sans faille au film.
Et même si des antiquaires parmi les plus célèbres de la place, comme les frères Olivier et Laurent Kraemer, même si des spécialistes des recherches de tableaux comme Elisabeth Royer, même si des élus, auteurs d’un rapport sur le sujet, comme la député Isabelle Attard et la sénatrice Corinne Bouchoux soutiennent avec ferveur le film et son propos, il n’était pas évident que le film trouve son public.
Quelques attaques infamantes : ce «Pourquoi avez-vous choisi de ne parler que des collections volées à des Juifs ?» entendu dans une projection dans la ville dirigée par le Front National de Villers-Cotterêts – alors que tout le monde sait que l’essentiel des spoliations durant la Guerre a concerné les Juifs. Ou bien des attaques plus sournoises qui essayent de remettre en cause le fond – les spoliations par les Nazis et la non-restitution des oeuvres par les Musées français – sans le dire, bien sûr, en mettant en avant le seul fait qu’il y avait un traître dans la famille, juive, dont s’inspire le film, et qu’il ne faudrait pas le dire.
Tout cela n’a pas empêché les gens de venir, d’applaudir le film, son réalisateur et ses acteurs : l’excellente Anna Sigalevitch – qui a tout d’une future très grande –, les deux monstres sacrés que sont Michel Bouquet et Robert Hirsch, François Berléand et Louis-Do de Lencquesaing, que l’on avait rarement vus aussi bien, et ces «nouveaux visages» du cinéma français que sont Niels Schneider, Benjamin Siksou et Alice de Lencquesaing.
Comme quoi, un succès peut avoir lieu contre vents et marées, contre la bien-pensance régnante, contre le dogme qui voudrait que des films qui parlent des scandales de la France d’aujourd’hui – et qui le font avec élégance, en reprenant les codes du cinéma de Hitchcock, en s’inspirant du Conformiste de Bertolucci et du Monsieur Klein de Joseph Losey –, ne puissent rencontrer leur public.
C’est rassurant et cela nous confirme que les spectateurs sont sans doute plus intelligents que l’on ne le dit, qu’ils sont prêts à entendre – et à voir – des histoires complexes.
Si L’Antiquaire de François Margolin est bel et bien un succès, nous, qui aimons ici ce film,  lui souhaitons longue vie.

2 Commentaires

  1. L’antisémitisme jésuite. Une page de circonvolutions, pour finalement envoyer en synthèse la justification des spoliateurs de juifs. Pétain autoproclamé chef de l’état ? C’ est nouveau. J’en étais resté aux 569 sénateurs et députés qui lui avaient donné plein pouvoirs. Les représentants de le IIIe République en fuite ou arréttés ? A part Marcel Deat, Pierre Laval, Georges Bonnet, Gaston Bergery, Lucien Lamoureux.. et combien d’autres..

  2. Bonjour,

    Pétain s’est autoproclamé chef de l’Etat pendant que des représentants de l’ex-troisième république étaient arrêtés ou en fuite (le procès de ceux qui avaient été arrêtés eut lieu cependant bien plus tard, en 1944).
    Donc on ne peut dire que la République Française a collaboré, puisqu’à cet instant précis, la IIIème avait cessé d’exister (et seul système légal vis à vis des citoyens), mais ce qui restait de ses institutions a été avalé par Vichy pour en faire un Etat collaborateur.
    Mais si vous vous penchez sur l’avant guerre , puisqu’on parle collaboration, l’Angleterre (et surtout le capitalisme anglais) a joué un grand rôle dans le renforcement de l’Allemagne et la défaite française.
    Les archives peuvent encore dire la vérité. Quand tout sera numérisé, tout sera également sélectionné pour qu’on oublie certaines choses.

    Quant aux tableaux, si l’absence de papier d’acquisition ou le décès des acquéreurs sont entérinés, je ne vois pas pourquoi ils retourneraient à des héritiers qui n’ont rien fait pour en être propriétaires (les pires sont les ayants droits, véritables vautours picorant un parent artiste).
    Et qu’en ai-je bien à faire, après mon décès, que l’Etat hérite de tout (avec contrôle citoyen)?
    D’ailleurs, la propriété est-elle un concept légal alors qu’au niveau local comme planétaire, ce qui appauvrit les gens et les rend esclaves, c’est la privatisation des sols, du vivant, des moyens de production et la systématisation des brevets?
    Quelques familles aujourd’hui se partagent une bonne partie de la planète. C’est tellement vrai que toute personne se garde bien d’en parler pour son avenir professionnel dans la politique, les médias ou le show biz, et ces familles rendent la démocratie inopérante. Et ça, c’est à cause de cet aspect illimité de l’héritage et de la propriété.

    Enfin, nous savons tous très bien que l’art est une niche fiscale plus qu’intéressante et que la spéculation entourant le marché de l’art rend ignoble la propriété, acquéreurs et vendeurs faisant le prix d’un tableau.

    Cela dit, ma critique sur l’article n’enlève rien à la qualité du film, objet de l’article.
    Tout n’est que spoliations dans l’Histoire, mais arrêtons de nous flageller pour des possédants, eûssent-ils un goût artistique pour les tableaux, et aux dépens de ceux qui ont le « mauvais goût » de ne rien posséder dans une société capitaliste. Allez donc dire à un prolo qu’il est plus urgent de rendre un tableau, non pas à son acquéreur, mais à de plus ou moins lointains héritiers, que de lui améliorer son quotidien, d’autant plus qu’un tableau est fait pour être vu et qu’un musée est plus adéquat.