Dans un entretien le 6 mai dernier à quatre grands journaux européens, dont Le Monde, Frank-Walter Steinmeier, ministre allemand des affaires étrangères, a prononcé un oxymore qui vaut son pesant d’absurdité et figurera dans les annales comme le symbole de la démission de l’Europe devant l’annexion de la Crimée et le démantèlement de l’Ukraine par la Russie : « Nous ne devons pas lui permettre (à Vladimir Poutine) de devenir un adversaire.»
Premier postulat : adversaire, Vladimir Poutine ne l’est donc pas déjà de facto. Merci pour le brevet. Second postulat : faute de notre permission, il ne pourra le devenir. Troisième postulat : l’état de non-adversaire qui est donc celui de Vladimir Poutine dépend de nous qu’il demeure tel. Il dépend de nous, Européens, que Vladimir Poutine ne se conduise pas tel qu’il pourrait se conduire, pour peu que nous conduisions avec lui de sorte qu’il reste ce qu’il est : un non-adversaire. La présente conduite poutinienne de non-adversité perdurera pour peu que nous lui refusions la permission qu’il s’inconduise en adversaire, ne lui en donnions nul motif, le plus mince serait-il. Pour l’heure, a contrario, la conduite poutinienne est donc (plus ou moins) permise ; l’homme reste donc (relativement) fréquentable ; et il convient de procéder (avec un fin doigté diplomatique) afin de n’en pas faire l’adversaire qu’il n’est, Dieu merci, toujours pas. Quatrième postulat : en bons Européens pacifiques et pacifistes par nature, nous sommes davantage encore son non-adversaire qu’il ne l’est de nous. Et ce léger déséquilibre, cette dérobade subtile, ce refus de la joute, jouent en notre faveur, déplacent le kriegsspiel et désorientent l’adversaire (pardon pour ce gros mot). Bref, pour peu que nous ne tenions pas Vladimir Poutine pour ce qu’il n’est pas à ce jour, nous sommes, à y bien réfléchir, les vrais maîtres du jeu en cours. CQFD. Il suffisait d’y penser. Et de raisonner juste.
En quoi consiste cependant cette fameuse non-permission européenne à Vladimir Poutine qu’il se conduise demain en adversaire, oubliée sa mainmise sur la Crimée et l’Ukraine de l’Est ? S’opposer à ses entreprises ? Ne pas s’y opposer ? A dire non, à dire stop ? Ou à composer ?
La réponse coule de source : s’opposer avec résolution à ses entreprises en ferait à coup sûr un adversaire. Or nous, Européens, ne le lui permettrons pas de devenir tel. D’où : laissons le faire de sorte qu’il ne devienne pas ce qu’il ne saurait devenir si nous le ménageons, et résiste, grâce à nous, à sa mauvaise pente. Car, il faut bien le reconnaître, il y a en lui, il est vrai, un germe d’adversaire. Permettons-lui d’autant plus, offrons-lui d’autant plus de ne pas devenir cet adversaire qui sommeille en lui, et pour ce faire, administrons quelques sanctions à ses proches suffisamment indolores pour que leur maître ne se dresse pas contre les non-adversaires que nous sommes, trop heureux qu’il sera en retour de s’afficher de même à notre égard. Agirait-il comme l’on sait sur le terrain.
De cette mauvaise farce, faut-il rire ou pleurer ?
Same old story. Qui l’emporte en bêtise, qui l’emporte en cynisme ? Qui l’emporte au palmarès européen de la démission urbi et orbi ? Du pâle Steinmeier aujourd’hui ou, jadis, de François Mitterrand déclarant, solennel, à l’aube du martyr bosniaque : « Nous n’ajouterons pas la guerre à la guerre », avec les résultats que l’on sait ? Cette rhétorique perverse qui fait passer l’abaissement et le renoncement pour une mâle attitude, ce véritable feu vert donné à l’adversaire, cet auto-liage des mains, voilà, de nouveau, où en est l’Europe, vingt ans après Sarajevo. La leçon, avant-hier de l’Espagne, hier de la Bosnie, de la Syrie aujourd’hui, une fois de plus, n’aura pas été entendue. Les quelques-uns qui tireront la sonnette d’alarme se feront, comme de coutume, traiter de Cassandre et de va-t-en-guerre.
Nous avons connu cette musique jusqu’à l’écoeurement. Le cauchemar munichois recommence. Sisyphe européen est de retour.
Le président Izetbegovic, pacifiste jusqu’au bout, qui refusait la guerre que s’apprêtaient en toute transparence à livrer à son peuple les nationalistes serbes, eut ce mot qui visait à désarmer politiquement les agresseurs, mot qui, sur l’heure, l’honorait, mais qu’il regretta tant : « Il faut être deux, pour faire la guerre. » Se refusant à se conduire en adversaire des Serbes, une guerre sans adversaire n’avait pas de sens, n’était pas une guerre et ne pourrait avoir lieu. Les Serbes n’eurent nul besoin, au contraire, d’avoir un adversaire comme tel, pour ravager impunément la Bosnie, avant que les Bosniaques, contraints et forcés sous peine de disparaître, ne résistent enfin à l’ennemi qu’ils s’étaient refusé jusqu’à la dernière heure à tenir pour tel. Laissons les Steinmeier de tous acabits méditer cela, s’ils le peuvent.
Nous qui connaissons cette histoire pour l’avoir vécu, et qui la voyons se répéter absurdement, disons à l’intention de tous les apprentis munichois version Steinmeier : « Clausewitz, reviens ! Ils sont devenus fous. »
Ukraine : L’Europe de Frank-Walter Steinmeier
par Gilles Hertzog
9 mai 2014
Le cauchemar munichois recommence.
Je ne jette pas la pierre au ministre allemand. Si l’EST de l’ukraine (Donetsk et Luhansk) n’est pas annexée par la Russie (en fait par Poutine) à la fin de ce mois de mai, ce qui risque d’être le cas, alors il faudra que le gouvernement Ukrainien joue très fin et pendant assez longtemps pour renverser la situation. Ce qui peut jouer dans cette région c’est la transformation des esprits de la part des nostalgiques de l’URSS, ce qui est très lent ou impossible pour certains.
Il faut effectivement éviter l’affrontement au niveau diplomatique et à haut niveau et travailler sur le terrain. La problématique est de maîtriser les voyous infiltrés et pilotés par Poutine du reste de la population dont une partie n’est pas insensible à l’autoritarisme et à l’impérialisme de Moscou. Ceux qui se sont toujours sentis russes.
Évidemment les arguments de Gilles Hertzog sont bons mais la Russie est un autre morceau que la Serbie.
P.-S. : Comprenons-nous bien. Je ne remettrai pas les pieds à Oslo. Ni avant Utøya 2011. Ni avant Washington 1993. Si les pervers narcissiques encombrent l’existence des actrices nombrilistes, leur puissance hypnotique ne commence à capter mon attention que parvenue à un certain degré de rayonnement positif. Au jeu d’échecs géostratégique, je veux bien miser sur le coup d’après. Je ne veux et ne fais que cela. Aussi, je soutiens la perpétuelle remise en route du processus de paix israélo-palestinien contre le processus de guerre israélo-panarabe.
«Il ne faut pas désespérer Maïdan.»
Je ne vois qu’une façon de ne pas laisser le complice d’Assad devenir notre adversaire, Herr Steinmeier. Se faire son complice. Se rendre coupables d’un pacte de non-agression que nul droit de veto entouré de deux branches d’olivier ne saurait justifier à ce stade de violation du droit international. Derrière ces graviers muraux du Berlin vendu aux touristes, autant de nostalgies que de nostalgiques de la Guerre congelée. Et puis, un antimilitarisme posthitlérien, ou peut-être néo-. Un pacifisme des fourbes qui loin de rechercher la paix, n’entend que contourner le trou du champ d’honneur, celui où l’on trouve la petite mort, la grande mort des petits sacrifices concomitants et diamétralement opposites d’un radiographe slovaque du 2e régiment étranger de parachutistes, — remember Prague Spring! — et d’un millénariste pressé d’apposer sur chaque recoin de terre contaminée son totalitarisme religieux, — remember Arab Spring! — Le décalage n’est pas seulement horaire entre la victoire sur le nazisme dans sa version Front de l’Ouest et sa version Front de l’Est. Le kégébiste nous parle d’une victoire de la Russie sur l’Allemagne. C’est oublier que la guerre contre l’Allemagne nazie dépassait le cadre d’une guerre traditionnelle entre nations. Il s’agissait d’une guerre universaliste contre l’idéologie nazie. Une idéologie où l’inhumanité faisait office de loi et dont la défaite marquera la victoire de l’humanité sur le processus d’élaboration d’une race faussement pure et affamée de FIN. Une victoire de tous les peuples, et non d’un seul, aussi brave qu’il fût dès l’instant que son petit père, criminellement atteint de procrastination, s’était vu dans l’obligation de mobiliser sa population mâle contre le grand rival, mais forcément trop tard pour que sa confrontation avec une armée allemande riche de ses multiples annexions ne lui coûtât une hécatombe. Staline ne fut jamais à proprement parler l’ennemi du totalitarisme brun. Il en fut le concurrent rouge. Son plan était tout aussi éloigné de l’idolâtrie aryenne qu’il l’était de la vision socialement libérale du monde pour laquelle se sont jetés dans notre Manche les magiciens anglo-américains. Les Russes ne le lui pardonneront que sous une chape de plomb.
«Il ne faut pas désespérer Bruxelles.»
Le spectateur de l’impuissance politique est le Poupou du n°2 (Dominique Strauss-Kahn) du n°2 (Lionel Jospin) du n°2 (Jacques Chirac) du n°2 (François Mitterrand) du n°2 (Henri Frenay) du n°2 (Charles de Gaulle) du n°2 (Winston Churchill) du n°2 (George VI) du n°2 (Edward VIII) du n°2 (Adolf Hitler) du petit Juif de Gottisttotstrasse. Or je n’affirmerais pas que l’ex-président du Fonds eût été moins à même d’infliger une correction nationale à Nick le Niqueur que ne le serait, après lui, son ex-Premier secrétaire, celui-là même que les experts du gotha de l’époque avaient oublié de compter parmi les challengers d’une face de John Gotti qu’ils ne mettraient pas plus d’une nuit à évacuer des chroniques politiques. Il m’arrive de ressentir quelque chose comme de la jalousie chez certains éditorialistes envers l’exécutif. Un petit côté énarque raté, si vous voyez ce que je veux dire… Ce défaut de CV a tendance à biaiser leur jugement. À la compétition inhérente aux arènes, ils rajoutent leur grain de poivre quand on ne leur demande que d’être le sel de la vie publique, de relever le goût qui se dérobe dans ce qu’il a de plus authentique, de plus personnel. Remets-t’en au verdict des urnes! —hypocrite lecteur, — mon semblable, — mon frère! Remets-toi donc du fait que tu n’aies jamais réussi à être ce nabot tel que tu l’aurais pu si tu l’avais voulu tant il ne ressemblait pas à un dieu dans le contexte privilégié où tu le côtoyais jadis. Romy passait inaperçue dans les rues de Paris. Était-elle plus grande ou moins grande que les colleuses à images qui la toisaient? Ni plus ni moins. Elle était à sa place. Et contrairement à ce que l’on pense, l’ordre n’est pas forcément hiérarchique. Par exemple, la statue n’est pas supérieure à son socle, il suffit de le lui retirer pour que démonstration en soit faite. Est-ce à dire que le socle domine ce qu’il soutient? Rien ne l’infirme ni le confirme. Rien ne nous assure davantage de ce que François Hollande soit notre socle ou que nous soyons le sien. Ce que nous attendons de lui, c’est ce que nous attendons les uns des autres. Qu’il se dépasse. Qu’il prenne à rebrousse-poil sa peur de vaincre, et tel Zeus métamorphosé aux abords de la belle fugueuse, qu’il éveille chez l’UE le désir de prendre enfin son destin par les cornes. La politologie ne doit pas être une branche du politique et la rivalité n’a pas lieu d’être entre l’acteur et le commentateur. L’acte du commentaire, qu’il émane des Pères ou du Fils, ne s’attaque pas à la contemporanéité des temps qui le dimensionnent. Son pouvoir n’est pas nul dès lors qu’il sait agir sur ce qui agit sur lui, autrement dit, donner de la hauteur à la sommité. Savoir enfin faire quelque chose de la cause dont il cause. Savoir : boxer avec elle dans une autre catégorie.
«Il ne faut pas désespérer Saint-Germain-des-Prés.»
Le début de la déclaration par laquelle Abbas conclut à la première place du podium pour la Shoah sur la liste des crimes, soigneusement non qualifiés, de ladite ère moderne, — la modernité a-t-elle commencé pour l’ami de Mechaal? — était donc, roulement de tambour : «Le peuple palestinien, qui souffre de l’injustice, de l’oppression et de l’absence de liberté et de paix, est le premier à demander de lever l’injustice et le racisme qui s’est abattu sur les autres peuples soumis à de tels crimes.» Abbas n’a donc jamais reconnu que la Shoah était la Shoah. Dont acte. Le CRAN a tout gâché. La renaissance d’un réfugié, destitué par lui-même d’une nationalité qui le faisait dénaître parmi les siens, est suffisamment encombrée de ses propres tics traumatiques pour que nous allions lui compliquer la tâche en polluant un cauchemar que nous devons interpréter avec lui avec autant de soin que nous en mettons à démêler nos propres nœuds borroméens, un cauchemar qu’il ne tient qu’à nous de convertir en volume de conscience, un cauchemar qu’il est de notre responsabilité de chasser du périmètre de sa nouvelle vie partant que, si nous avons bien été séparés dès l’aube de notre humanité, ce n’est que pour mieux nous retrouver un jour ou l’autre, — le plus tôt sera le mieux! — Nonobstant, la menace qu’exerce sur les Juifs de France l’acolyte de l’homme-sandwich d’Alain Soral n’est pas à minorer. Son piètre plagiat de La Guerre des mondes, s’il ne fait pas l’objet d’une condamnation sans appel, risque de nous plonger dans ce que serait une Europe bubonique placée sous l’influence de la secte de la Main d’or. La montée des extrêmes est chose bien trop préoccupante pour que nous laissions s’en occuper un esprit paranoïaque noyé dans un marécage de permutation. Ne donnons pas le sentiment au citoyen français que le fascisme multiethnique et multiethnocide qui s’exprimait cette année même dans nos rues en soutien à son SS-Guru M’bala M’bala, serait de nature multiculturelle. Le multiculturalisme est le seul rempart dont nous disposions pour combattre le communautarisme, à condition que nous ne confondions pas l’un avec l’autre. Le communautarisme c’est le Front national. Le multiculturalisme c’est l’Albanais John Belushi et le Canadien Dan Aycroyd entrant en transe vaudou-hassidique sous le charme du prédicateur James Brown. On ne communie pas sans être a priori entré en communication. On ne forme pas une communauté nationale en cédant à la pression des séparatistes issus de la majorité ou des minorités ethniques.
«Il ne faut pas désespérer Soma.»
Jouer la carte Erdogan contre Poutine, c’est faire du Yalta à l’envers, prêter uchroniquement main forte aux Forces de l’Axe en vue de renverser Staline. En insultant un indigné turc de «sperme d’Israël», l’Ottoman s’est trahi. Il s’est identifié lui-même en tant que porteur du virus essentialiste indo-europhile inoculé chez lui par les amis de Gobineau. Il a choisi son camp entre les lecteurs de Kavgam et les autres. Il a livré son plan secret d’annexion des anciens sandjaks d’Acre, de Naplouse et de Jérusalem. En outre, il s’est fait l’associé d’un multinationalisme industrieusement inhumain et calculateur. Nous autres, ébénistes d’un multiculturalisme encore à l’état brut, lui opposons notre idéal. L’homme qui est aux responsabilités partage au vu de tous son intolérance pour la misère que le capitalisme froid est à même de causer à ses concitoyens du monde. Il prête le flanc, avec philosophie, à ceux qui ne manqueront pas de lui faire remarquer qu’en culpabilisant les pauvres français qu’il met devant plus malheureux qu’eux-mêmes, il pourrait bien ne chercher dans tout cela qu’à détourner l’attention de sur lui-même, en d’autres termes, à culpabiliser ceux qui le rendent coupable des injustices qui les frappent. En héritier de l’artisan des bois précieux, il se sculpte une image de plus petit des siens fidèle à une identité correspondant à la nature de ses engagements. Dans cette panoptique qui lui est chère, il n’hésite pas à produire de l’acte de conscience, à ouvrir l’œil du bout du monde sur le coin de la rue, à faire contre mauvaise fortune, bon cœur mais de manière insoupçonnable, en imposant au comité de direction du groupe humain prototypique non plus seulement un Grenelle soixante-huitard qui perpétuerait, pour l’Ennui du poème, la sempiternelle chanson de la lutte des classes, mais un panel de décideurs pauvres et riches, ruraux, urbains et banlieusards, émergents et submergents, visant à combattre l’injustice sociale à l’échelle planétaire sans qu’il ait été nécessaire pour cela d’inverser l’équilibre des forces a priori du contrebalancement escompté. En matière de stabilisation et d’harmonisation, le là-bas équivaut à l’ici, qui est un autre là-bas. Par là, je n’entends guère basculer dans l’écueil de l’autogestion radicale qui reproduirait à l’échelle internationale le nivellement par le bas d’un défaussement réciproque des responsabilités respectives dans l’échec global. Non, c’est bien le mot «décideurs» que j’ai employé. Mais un autre modèle de ligne directrice. Où l’autodidactie ne serait plus disqualificatrice. Où la bonne nouvelle serait en mesure d’être évaluée par ceux dont elle n’émane pas. Essayer d’engendrer une Internationale universaliste éthiquement bio, si vous voulez. Favoriser la réalisation d’un authentique libéralisme social, j’allais dire, socialiste. À cet égard, prenons soin d’éviter le casting caricatural, le real TV-Trust, et donc, remettons au centre de la scène économique mondiale la notion de prospérité sans laquelle il ne peut y avoir de commerce équitable. Le temps est donc venu d’épicentrer une sentence qui ne nous a jamais dépassés, nous le peuple, somme d’individus irréductible à une masse holistique, ce que Lévy a commencé de faire dans les décombres du Rana Plaza. C’est au tour du géant patronat d’aller mettre les pieds dans ses pas, ou pour mieux dire, le nez dans le caca. Kouchner avait exaspéré les mauvais lecteurs d’images qui avaient vu en sa geste héroïque une manifestation de leurs propres vanités. Or le héros d’une telle chanson est fait pour que l’on s’identifie avec lui. Son élan salvateur ne l’est qu’à partir du moment où il suscite des vocations. Il n’eut jamais d’autre motif que d’entraîner les membres de son espèce, qui ont en leur possession les merveilleux outils conçus pour empêcher les catastrophes ou réparer les dégâts qu’elles ont infligés, à balayer le monde du regard et, instamment, se retrousser les manches. La globalisation des marchés fit du monde un village. Il n’est pas question d’y foutre une bombe dans l’espoir de soutirer un ancien monde au nouveau sous le vaseux prétexte que ce dernier aurait commencé de tomber en morceaux. L’objectif consiste à repousser ce sentiment de rétrécissement, de décréer cette sensation d’étouffement qu’il n’est pas judicieux de ranger dans la catégorie des hallucinations. En deux mots, il faut donner de l’espace à l’espace.
Cher Gilles,
Nous aussi connaissons cet horizon pour l’avoir vécu, il y a plus de vingt ans à Vukovar. Là, au bord du Danube les milliers de tombes de nos proches semblent témoigner de l’absence d’une volonté humaine et d’un savoir politique des dirigeants européen. Comme si Camus parlait encore qu’à nous : « La guerre n’a servi à rien ni à personne. Il n’y a que ceux que la mort a touchés en eux ou dans leurs proches qui sont instruits. Mais la vérité qu’ils ont ainsi conquise ne concerne qu’eux-mêmes. Elle est sans avenir. » Et en effet quoi dire et à qui? Que c’est la « guerre qui ne s’ajoute pas à la guerre » qui a été sanglante ? Qu’on se trompe depuis plus de vingt ans en analyse sur les phénomènes dangereux, et désormais répandus en toute Europe post-communiste, de la Hongrie jusqu’à la Russie ? Qu’’il ne s’agit pas de conflits ethnico-religieux anciens, mais d’une mimesis des mythes fondateurs nouveaux crée sur le vide de l’anhistoricisme marxiste ? L’Occident a cru pouvoir meubler ce vide avec le marché Kantien libre et pacifiant. Erreur. Le nationalisme (croate ou ukrainien) est bien une mimesis du mythe fondateur d’un état national et, disons-le comme même, démocratique. Mais il y a un mais : le caractère mimétique et national. La marche totalitaire et meurtrière du peuple majeur en temps communiste (serbe ou russe) est une mimesis, elle cette fois de la continuité historique nationale, opposé au mythe de fondement nouveau. Mais ici encore: le caractère national et mimétique. Tout est bon dans le vide, l’uniforme tchetnik ou épique médiévale, révisionnisme de la seconde guerre mondiale ou nouvel antisémitisme, religion sans foi, tout vaut dans cette simultanéité des temps historiques qui touche à l’enfer. D’où le caractère nihiliste, construction superficielle et disposition des faits, d’où le déferlement et la violence extrême qui s’épuise qu’en elle-même. Si on ne comprend pas la nouveauté du rien il risque d’emporter l’Europe vers un futur terrifiant. Donner à l’Europe l’intégrité de sens, veut dire ne pas nous laisser mourir – pour rien.
Curieuse façon de considérer Vladimir Poutine. On voit bien qui sont les fouteurs de merde dans cette histoire…
Monsieur Herzog ne mélangeons pas tout ! Traiter l’attitude de l’Europe de munichoise est une contre vérité. Mettre son intelligence et son énergie au service de la paix n’est pas munichois. Votre attitude subjective et « va-t-en guerre » n’est pas anti munichoise, elle est totalement irresponsable et injuste.
Mon but n’est pas de faire de Poutine un modèle de pacifiste démocrate, mais ne noircissons pas le tableau à l’excès ; ce n’est pas non plus un dictateur sanguinaire. La situation de la Russie est compliquée tant sur le plan politique qu’économique. La transition du communisme au libéralisme n’a pas été une mince affaire, et force est de reconnaître que le relèvement de la Russie est à porter au crédit de Poutine ; ce dont une grande majorité des russes ont parfaitement conscience. Bien sur l’opposition a du mal à s’exprimer librement, mais elle existe, et tous les leaders ne sont pas en prison.
Quant à aux problèmes que vit actuellement l’Ukraine, votre simplification à l’extrême de la situation ne peut certainement pas aider à trouver des solutions acceptables pour toutes les parties en présence.
Vous dites « devant l’annexion de la Crimée…par la Russie», c’est oublier un peu vite que cette province est russe depuis Catherine II, et qu’elle n’est devenue ukrainienne que par la fantaisie autocratique de Nikita Kroutchev.
Ensuite vous parlez de démantèlement de l’Ukraine par la Russie ; c’est une contre vérité : les principales causes des difficultés ukrainiennes sont à rechercher dans les maladresses à répétition du gouvernement provisoire ukrainien (suppression du russe comme deuxième langue officielle, refus d’envisager le fédéralisme, absence de réel dialogue avec les russophones).
Les choses ne sont donc pas aussi manichéennes que vous le prétendez ; si l’Europe conserve une position nuancée au regard des événements, et tente de tout faire pour que l’Ukraine ne sombre pas dans une meurtrière guerre civile, elle a raison.