L’Histoire, hélas, se répète. Et, n’en déplaise à Marx, pas toujours en farce.
Face au coup de force russe en Crimée, protestations officielles mises à part, rien, ou si peu, ne se passe. Sinon, à l’inverse, que les Norpois, ces diplomates distingués sans état d’âme devant le malheur des peuples, ces manants, ces vils emmerdeurs, et que Proust brossa dans La Recherche du temps perdu, sont déjà à l’œuvre dans la Presse et ailleurs pour que rien, en effet, ne se passe.
La Crimée est tombée sans coup férir dans l’escarcelle russe, où, de facto, elle était déjà. Et Poutine, en gage de propriété en bonne et due forme, devrait pousser son avantage dans les régions russophones de l’Est ukrainien, où la population, majoritairement, semble bel et bien se tourner vers Moscou, des milliers de personnes manifestant devant les bâtiments officiels des grandes villes industrielles, des groupes de costauds masqués les occupant et le drapeau russe flottant seul désormais ou, pire, à côté du drapeau ukrainien, au sommet des édifices publics, à Karkhov et ailleurs. Ce qui laisse augurer que, la Crimée dûment annexée, la Russie, pour prix de l’intégrité résiduelle de son infortuné voisin, entendra imposer, au nom de la protection de ces populations russophones, la fédéralisation du pays, en clair une partition déguisée de l’Ukraine. Kiev libre, l’Ukraine en marche vers l’Europe ; mais l‘Est ukrainien restant dans le giron russe. Match nul en perspective ? Europe-Russie, liberté contre servitude : 1 partout ?
Nous étions, Bernard-Henri Lévy, l’équipe de La Règle du Jeu, de retour à Kiev. Lévy parla devant les centaines de milliers de gens assemblés sur le Maïdan. Le désarroi y était total. Nul n’avait anticipé la réponse russe à la victoire du Maïdan et de l’Ukraine sur la dictature, par le coup de force en Crimée. Les Ukrainiens qui, à leur corps défendant, pratiquent les Russes depuis des siècles, se targuent de les connaître mieux que quiconque. Nul, pourtant, n’a « pensé Poutine », ne s’est mis dans sa tête furieuse, après la fuite de Ianoukovitch. La mainmise au grand jour sur la Crimée fut à Kiev une surprise complète. Il ne fallait pourtant pas être grand clerc pour prévoir que Poutine ne laisserait pas cette « humiliation » impunie. C’est ainsi que notre Kégébiste nomme les tentatives d’émancipation des pays vassaux contre le joug russe, « humiliation » que nos éternels Norpois, les medias occidentaux et les « spécialistes » de la Russie reprennent bille en tête à leur compte. Le maître « humilié » par celui qu’il domine puis agresse, il fallait l’inventer ! Seule consolation : cela aurait-il changé quelque chose ? Les Ukrainiens, sans vrai pouvoir à leur tête, avec des institutions en lambeaux, non épurées, et dont les leaders, déjà, se regardent en chien de faïence en vue de l’élection présidentielle de mai, n’étaient hier, et encore moins aujourd’hui, en mesure de résister.
Montés en ligne sans perdre un instant, les Norpois nous représentent doctoralement que la Crimée est russe depuis Catherine II, que sa population est ultra-majoritairement russe, ukrainienne que de façade, à la suite d’un geste régalien, il y a soixante ans, de Kroutchev. Bref la Russie, en bonne justice, récupèrerait une part d’elle-même. Il n’y aurait pas lieu de s’offusquer, encore moins de geler nos relations avec la Russie, pis, de la mettre au ban de la communauté internationale, au risque d’une nouvelle Guerre froide. Les mêmes capitulards, faut-il le rappeler, tenaient, à la lettre, ces mêmes propos d’« apaisement » quand Hitler fit main basse sur les Sudètes peuplés d’Allemands, avant de dépecer la Tchécoslovaquie. La chose fut actée à Munich par Daladier et Chamberlain. On connaît la suite. Bref, allons-y gaiement pour la sudètisation de l’Europe, avec ses minorités adossées à un grand frère « protecteur », hongroises en Transylvanie, serbes en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo, albanaises en Macédoine, turques en Bulgarie, russes dans les Pays baltes ! Demain, des Crimée partout ? Bravo, les Norpois !
Les mêmes, oubliant la réussite polonaise dans le même triste état au sortir du communisme, il y a vingt ans, que l’Ukraine aujourd’hui, ajoutent que l’Ukraine, vu sa situation politique dans les limbes, ses finances à l’agonie, son industrie obsolète, serait un fardeau insupportable pour une Europe elle-même mal en point, et, pour faire bonne mesure, rajoutent, entre autres tares sans appel, oubliant à dessein le désir d’Europe de millions d’Ukrainiens, que le nationalisme ukrainien est plus qu’entaché de relents antisémites, voire carrément fascistes. Comme si, quand le couvercle d’une dictature sur la société vole en éclat, seule remontait la boue et non tout le reste, l’humanité et la multitude des gens biens, cette foule d’apprentis démocrates avides de liberté que nous vîmes deux mois durant camper, manifester, mourir sur le Maïdan.
Non, ne laissons pas les Norpois l’emporter.
Tant il est vrai que le problème de la Russie expansionniste, au-delà du cas Poutine, digne héritier du tropisme grand’russe des Tsars puis du communisme, de vassaliser les peuples voisins, c’est la réponse que lui opposent ou pas l’Europe, première concernée, et, au-delà, l’Occident et la communauté des nations. Quelle politique adopter pour contenir un impérialisme atavique que, de l’intérieur, aucune force démocratique suffisante ne contient à ce jour ? L’occidentalisation de la Russie, avec la fin du communisme, n’est que de surface. Les Mercèdès à gyrophares et aux vitres fumées qui peuplent les rues de Moscou, les parfums Dior, les produits Cartier et autres bling bling occidentaux, ces purs trophées exhibitionnistes, ne civilisent pas, que l’on sache, leurs propriétaires arrogants. Le capitalisme moderne, basé sur l‘échange, la libre circulation des marchandises, des hommes et des idées, ce capitalisme mondialisé facteur de paix n’a pas cours au pays du capitalisme mafieux. Les mêmes oligarques prédateurs qui, s’européanisant dans une dolce vita délirante de parvenus, colonisent l’été la Côte d’Azur et Courchevel l’hiver, sont, de retour en Russie, les piliers schizophrènes du Poutinisme grand’russe et, en rien, les messagers de l’internationalisme moderne.
Reste donc l’Europe politique, en première ligne aujourd’hui en Ukraine, face à un pouvoir de type impérial, sans autre moteur et principe que celui de la puissance et de la force, faute d’aucun frein intérieur. Face au communisme, la réponse fut jadis la politique churchillienne puis américaine du containment, avec pour conséquence la Guerre froide. Les Norpois nous resservent aujourd’hui cet épouvantail à satiété. « On ne va pas recommencer ! » Accordons à l’ogre russe de récupérer les miettes périphériques de son défunt empire, et continuons les affaires. La Crimée, comme jadis Dantzig, ne mérite pas une guerre. Mourir pour Sébastopol, non ! Et qui serait assez inconséquent pour mettre en balance le sort des Tchétchènes, de l’Abkhazie, de l’Ossétie, de la Transnitrie, au regard du gaz et du pétrole russes dont nous avons tant besoin et que se disputent, pour leur plus grand profit, nos Majors occidentales ? Nous ne pourrions plus vendre nos Mistral à la marine russe, à cause de la Crimée ? Allons donc ! Business as usual. Eternelle tentation de temporiser, de concéder, d’apaiser à bon compte, de baisser la garde. Reculer pour mieux ne pas sauter.
Face à ce vent de démission, l’Europe va-t-elle se reprendre ? Va-t-elle enfin dire non à Vladimir Poutine ? La politique de bon voisinage et des échanges a échoué, du fait du maître du Kremlin, de ses appareils d’Etat et de ses obligés. L’Europe est au pied du mur. Oui, la confrontation aura un coût. Oui, la Russie répliquera, en Syrie et ailleurs, par un égal durcissement. L’Occident, les dissidents soviétiques, Gorbatchev, sont venus à bout du communisme brejnévien, alors aux portes-mêmes de l’Europe de l’ouest. Poutine n’est, de loin pas, un nouveau Brejnev. Economie en panne, industries obsolètes, finances défaillantes, démographie déclinante, la Russie, plus que jamais, est un colosse aux pieds d’argile. A défaut de reculer en Crimée et en Ukraine de l’est, ce grand petit pays a bien plus à perdre que nous dans un bras de fer avec la communauté internationale, dont il serait l’entier responsable.
L’Ukraine n’est pas la Tchétchénie. Il faut stopper le soldat Poutine. Maintenant. A défaut, le coût, demain, sera plus lourd.
Il faut stopper le soldat Poutine
par Gilles Hertzog
7 mars 2014
Non, ne laissons pas les Norpois l’emporter.
C’est amusant de constater que vous passez votre temps à dénoncer les candidats du FN pour les municipales, alors que votre maître à (ne pas) penser, le sanglant BHL, s’affiche à Kiev avec les fascistes antisémites et russophobes de «Svoboda» (vous savez, le «Parti National-Socialiste d’Ukraine» qui a changé de nom sur les conseils des U$A) et de «Praviï Sektor». Ce serait vraiment à hurler de rire si cela n’induisait pas en erreur le citoyen moyen, trompé par la notoriété (faiblissante) du triste BHL.