A votre avis qu’est-ce qu’il faudrait faire concrètement pour casser l’impasse actuelle sur la crise en Syrie, vu que l’opposition est moins unie qu’en Libye en 2011?
L’opposition est moins unie, c’est vrai. Mais elle est plus puissante. Mieux aguerrie. Et en position, donc, de l’emporter. Ce qu’il faudrait concrètement faire pour l’y aider ? Une réunion d’urgence, déjà, des pays non plus seulement « amis du peuple syrien », mais « partisans du départ d’Assad et de la transition ». Autrement dit, les Européens, les Américains, mais aussi les Arabes et les Turcs. Avec, à la clef, la menace d’une opération politico-militaire commençant par l’imposition d’une no fly zone.
Êtes-vous en contact avec Abdulbaset Sieda ou d’autres personnes de l’opposition? Fréquemment?
Je suis en contact avec des responsables militaires de l’intérieur. Ceux, par exemple, qui sont sortis de Syrie en Mai dernier, au moment de la projection, à Cannes, du Serment de Tobrouk. Chez tous, c’est le même leitmotiv : « pourquoi ne faîtes-vous pas pour Alep ce que vous avez fait pour Benghazi ? pourquoi ce deux poids et deux mesures ? ».
Que faîtes-vous du veto russe?
L’argument du veto russe n’en est pas un. Sarkozy et Cameron, en mars 2011, au moment où les chars de Kadhafi fonçaient sur Bengazi, étaient, prêts, en cas de veto, à passer outre. J’en suis témoin. J’étais là, à l’Elysée, le jour de la première visite des émissaires du CNT libyen. Que se passerait-il, ont-ils demandé à Sarkozy, si l’ONU ne vous donnait pas son aval ? Sarkozy a réfléchi quelques instants. Et a répondu, grave : « ce serait fâcheux, très fâcheux, mais l’urgence humanitaire est telle qu’on serait bien obligé, hélas, de se passer de l’aval de l’Onu… »
Pensez-vous que Hollande et Cameron travaillent suffisamment de près sur cette crise?
Je crois surtout que les appareils diplomatiques des deux pays sont divisés sur cette question syrienne. Vous avez, en Angleterre comme en France, un très fort courant non interventionniste que le veto russe et chinois, au fond, arrange beaucoup. Ils feignent, ces gens-là, de se lamenter : « les Russes et les Chinois bloquent tout » – alors qu’en réalité ils en sont secrètement satisfaits, c’est une bonne excuse pour ne rien faire. Mais n’était-ce pas la même chose au moment de la Libye ? Sarkozy et Cameron n’ont-ils pas eu à vaincre le même type, exactement, d’obstacles ? On attend de Cameron, et de Hollande, aujourd’hui qu’ils forcent le destin, bousculent les prudences et les lâchetés, et empêchent le massacre annoncé. Ce qui se prépare à Alep sera une honte dont, si nous ne faisons rien, nous aurons à répondre, en conscience, pendant très très longtemps.
Êtes-vous en contact avec Nicolas Sarkozy sur la Syrie? Savez-vous pourquoi il s’est impliqué soudainement cette semaine avec sa conversation avec Sieda et son communiqué?
Il a l’expérience de ce type de situation. Il sait ce que c’est qu’une ville (hier Benghazi, aujourd’hui Alep) menacée d’être « noyée dans des rivières de sang ». Et il sait que ce n’est pas si difficile que cela d’appuyer sur le frein de l’Histoire et d’empêcher l’inévitable. Donc, il le dit. Je ne crois pas qu’il faille voir autre chose dans sa démarche. Je ne crois pas qu’elle ait le sens « politicien » que d’aucuns veulent lui donner.
Quoiqu’on fasse il y aura des rivières de sang. Les rivières de sang d’Assad seront médiatisés. Celles de ses opposants seront cachées