ET AVEC LE LIVRE DE TARUSSA
La Rose de personne

Tous les poètes sont des youtres
Marina Tsvétaïeva

De la constellation du Chien, de
son étoile plus claire, et de la lampe
naine qui tisse avec elle
des chemins reflétés vers la terre,

de
bâtons de pèlerins, là aussi, du Sud, étranger
et proche par fibre de nuit
comme des mots sans sépulture,
rôdant
dans le cercle où agit le ban
des buts atteints, stèles et berceaux.

Du
dit-vrai, dit-par-avance, dit-passant-outre, -à-toi,
du
dit-vers-le-haut
qui reste prêt là, pareil
à l’une des propres pierres-coeur, qu’on a crachées
avec leurs indestructibles
rouages, dehors,
dans du non-pays et non-temps. D’un tel
tic-tac au milieu
des cubes de gravier avec
celle qu’on peut suivre sur une trace d’hyène
en reculant,
montant, l’ancestrale
lignée de Ceux-
du-Nom-et-de-Son
Gouffre-Rond.

D’un
arbre, d’un.
Oui, de lui aussi. De la forêt autour de lui. De la forêt
Inviolé, de la
pensée, dont il naquit : son,
mi-son, altéré, final, à la scythe
rimés ensemble,
au rythme
battant de la tempe des Échoués,
avec
le chaume respiré
des steppes écrit au coeur
de la césure des heures – dans le royaume,
dans le plus vaste
des royaumes, dans
la grande rime intérieure
au-delà de
la zone-des-peuples-muets, en toi
balance de la langue, de la parole, du lieu natal,
balance exil.
De cet arbre, cette forêt.

Traduction de Martine Broda — Éditions José Corti – juillet 2002

UND MIT DEM BUCH AUS TARUSSA

Vom Sternbild des Hundes, des, vom
Hellstern darin und der Zwergleuchte,
die mitwebt
an erdwârts gespiegelten Wegen,

von
Pilgerstâben, auch dort, von Südlichem, fremd
und nachtfasernah
wie unhestattete Worte,
streunend
im Bannkreis erreichter
Ziele und Stelen und Wiegen.

Von
Wahr- und Voraus- und Vorüber-zu-dir-,
von
Hinaufgesagtem,
das dort bereitliegt, einem
der eigenen Herzsteine gleich, die man ausspie
mitsamt ihrem unverwüstlichen
Uhr-werk, hinaus
in Unland und Unzeit. Von solchem
Ticken und Ticken inmitten
der Kies-Kuben mit
der auf Hyânenspur rückwârts,
auftvârts verfolgbaren.
Ahnenreihe
Derer
vom-Namen-und-Seiner
Rundschlucht.

Von
einem Baum, von einem.
Ja, auch von ihm. Und vom Wald um ihn her. Vom Wald
Unbetreten, vom
Gedanken, dem er entwuchs, als Laut
und Halblaut und Ablaut und Auslaut, skythisch
zusammengereimt :
im Takt
der Verschlagenen-Schlâfe,
mit
geatmeten Steppenhalmen
geschrieben ins Herz
der Stundenzâsur – in das Reich,
in der Reiche
weitestes, in
den Grossbinnenreim
jenseits
der Stummvôlker-Zone, in dich
Sprachwaage, Wortwaage, Heimatwaage
Exil.
Von diesem Baum, diesem Wald.

Jean-Paul Dollé était philosophe

Créateur de sa propre pensée, plutôt que commentateur de celles des autres.

Il fréquentait les antiques grecs, partageait avec eux le goût du gai savoir, appréciait leur
temps, quand les désirs humains étaient gravés dans l’esprit des dieux, quand le beau et le bien se confondaient.

Il aimait la poésie, cette « sauvage et belle déraison » qui délivre l’homme de l’utilité.

Poète, il se méfiait des dieux qui ne savent pas danser.

Danseur, il libérait l’esprit de ses pieds pesants pour lui permettre de planer sur les eaux.

Homme bel et bon, il savait que l’esprit doit être éduqué pour que le corps soit libre, et que le
corps, pour ne pas se muer en prison de l’âme, a besoin d’un lieu.

Ce lieu du corps, celui de la cité et du « vivre ensemble », Jean-Paul Dollé le plaça au coeur
de sa réflexion philosophique et politique.

Choix fondateur, qui infusa toute sa pensée, et déboucha par exemple sur la distinction entre
l’urbanité (pratique de la liberté) et l’urbanisme (dressage à la servitude volontaire), ou encore
sur la conception d’une citadinité-citoyenneté, c’est-à-dire du droit au vivre et à l’habiter ensemble,
dans l’espace public.

Choix fécond, qui lui permit de comprendre mieux que d’autres . il y consacra son dernier
livre . que la crise financière des subprimes signe, avant tout, l’échec de l’économie globalisée à
rendre le monde habitable.

L’urbs était sa cité : cosmopolite, ouverte aux étrangers, accueillante aux exilés. Rien de ce qui
est humain ne lui était étranger. « Être à la rue, c’est déjà être dans l’antichambre de la mort »,
proclamait-il.

Il aimait la ville de Baudelaire et de Benjamin, dont il nous dévoilait sans cesse de nouveaux
passages, entre fiction et diction, littérature et architecture, philosophie et psychanalyse.

Lecteur subtil de Lacan, il considérait la psychanalyse comme une herméneutique, un antidote
à la mégalomanie de la conscience cartésienne.

La révolution du désir précéda, chez lui, le désir de révolution.

« Mon origine, c’est le manque », disait-il.

Le désir qui symbolise ce manque, véritable puissance de la pure perte, fut, en effet, le moteur

d’une pensée créatrice, toujours en mouvement. Notre école en fut le fruit.

La capacité de Jean-Paul Dollé à inscrire sa philosophie dans le lieu, à lui donner un topos,
le garda de l’aveuglement des zélateurs de grands récits et, tout autant, du ressentiment des

repentis.

« Le désert croît », affirmait-il avec Nietzsche. La vie psychique s’atrophie, l’âme se meurt.

Face à l’expansion planétaire de la pulsion de mort, de ce « territoire du rien » qui envahit

tout, il avait compris que le désir de révolution répond à la nécessité, vitale pour l’homme, de
réenchanter un monde devenu littéralement inhabitable.

La Révolution de Jean-Paul Dollé n’était pas mélancolique.

Elle s’appuyait sur une critique rigoureuse ; elle opposait au triomphe de la marchandise, la
puissance de la raison.

« Vaut-il mieux habiter à rien que rien habiter du tout ? », se demandait-il dans le livre qu’il
intitula Métropolitique, pour nous dire combien la politique doit être reconsidérée à l’aune
de l’avènement de ces métropoles, où les foules sont solitaires, le temps expulsé, la mémoire
neutralisée et le texte originaire effacé.

Il avait abordé la politique en sartrien.

Être en situation, à l’époque, cela signifiait combattre la guerre d’Algérie, lire le capital avec
Althusser, faire souffler le vent de la révolte.

Puis vint le temps des aventures éditoriales.

Le premier numéro de L’Idiot international disait ceci : « Ce journal existe aujourd’hui pour

tous ceux qui se taisent ou qui doutent. Ils ont tort. La parole se reprend de force ».

L’idiot, étymologiquement, est celui qui est unique, qui ne ressemble à aucun autre.

Il est le contraire de l’imbécile, qui, hélas, a tendance à proliférer.

Dostoïevski, dans son roman éponyme, faisait dire à son Idiot, le prince Mychkine : « la

beauté sauvera le monde ».

Jean-Paul Dollé avait en lui cette beauté.

J’ai vu, pour la dernière fois, son regard clair quelques jours à peine avant sa mort.

Il m’avait parlé des livres qu’il désirait encore écrire.

Nous aurions aimé les publier.

Le temps nous a manqué.

Guy Amsellem
directeur de l’ENSAPLV le, 25 mars 2011

Je me souviens…

Je me souviens d’avoir vu Jean-Paul, pour la première fois, au sixième congrès de l’Union des
étudiants communistes, en 1965, à Palaiseau. Il avait pris le relais de son ami du cercle de philo,
Bruno Queysanne, pour s’opposer au « .révisionnisme. » de Krouchtchev et défendre les
positions de Mao. J’avais été surpris. Par le propos comme par la diction de Jean-Paul qui devait
avoir forcé sur le vin au repas de midi.

Je me souviens d’avoir déjeuné avec Jean-Paul, à mon retour de Chine, en septembre 1967, au
« .Vieux Bistrot. » près de Notre-Dame. À la fin du repas, après m’avoir écouté lui rapporter les
thèses que Robert Linhart, Jacques Broyelle, Christian Riss et moi avions élaborées à la suite de
ce voyage, concernant la nécessité de s’établir en usine, il m’avait dit en allumant une Gauloise. :
« .Alors Althusser et tout ça, c’est fini. ».

Je me souviens d’avoir croisé Jean-Paul à la Sorbonne au début de juin 196 . Il m’avait confié le
numéro des Cahiers de mai qui venait de sortir et moi, en retour, je lui avais fait lire le premier
numéro de La Cause du peuple alors publiée sous la direction de Roland Castro. Les titres de
deux publications, pour une fois, étaient accordés. : « .Résistance ouvrière. ! », clamait le
premier. « .Résistance prolétarienne.!. », le second.

Je me souviens de Jean-Paul, dans l’amphi de l’École des Beaux Arts qui abritait alors UP6,
commenter sa position dans le triangle lacanien « .Réel, Imaginaire, Symbolique. » qui avait
servi de référence au « .groupe des sept. » rassemblant Buffi, Castro, Grumbach, Naizot,
Olive, Portzamparc et lui-même — . Ça m’avait semblé fumeux, mais grandiose.

Je me souviens de Jean-Paul lors d’une des innombrables Assemblées générales où, peu
après le déménagement de l’École rue de Flandre (qui n’était pas encore devenue avenue
comme aujourd’hui), s’opposaient les divers courants d’UP6. Cette fois, il s’en était pris au
« .sociologisme. » alors dominant pour lui opposer l’enseignement de la philosophie associé
à celui du projet.

Je me souviens de Jean-Paul se lançant, pendant un cours à deux voix que nous dispensions à
la fin des années 0, dans un commentaire de l’essai de Heidegger L’Origine de l’oeuvre d’art.
Pliant et repliant sa parole, il était parvenu à faire saisir aux étudiants la différence entre une
chose, un produit et une oeuvre. Mais lorsque j’avais rappelé que Meyer Shapiro avait démontré
la fausseté de l’argumentation de Heidegger en faisant valoir que les « .chaussures boueuses de
la paysanne. » qui soutiennent son raisonnement sont en réalité celles de Van Gogh, Jean-Paul
avait balayé mon objection d’un. : « .Ne confondons pas philosophie et histoire de l’art. ».

Je me souviens de Jean-Paul, assis au soleil en compagnie de Dominique Spinetta et moi,
devant la Kfête qui venait d’ouvrir grâce à Rémi Dalla Valle. Membre de la CPR, Dominique
nous faisait part de son intention de réformer l’enseignement du projet en première année.
Jean-Paul et moi, qui dirigions à l’époque le CA, avions promis d’apporter notre soutien à cette
heureuse initiative.

Je me souviens du rire de Jean-Paul, au cours d’une des réunions hebdomadaires où Roland
Castro, Alain Arvois, Gus Massiah, Paul Virilio et moi définissions avec lui les contours d’une
École des hautes études urbaines qui se serait appelée « .Fernand Braudel. » si son projet
n’avait pas été enterré par François Fillon après la première élection de Chirac. Je me souviens
de son rire lorsque Roland avait proposé, comme exercice destiné aux énarques et autres
« .décideurs. » de l’État, le parcours pédestre d’une portion de bretelle d’autoroute menant
vers une zone commerciale.

Je me souviens de Jean-Paul chantant Le petit vin blanc avec Bernard Kouchner et Mariane
Merleau-Ponty un soir d’anniversaire, dans la maison de ses parents à Vincennes.

Je me souviens de Jean-Paul fustigeant le projet de « Grand huit » concocté par Christian
Blanc en lieu et place de celui du « Grand Paris ». « Encore une ineptie de technocrate si accro
à l’économie qu’il pense à ses pareils plutôt qu’à ses semblables », avait-il martelé.

Je me souviens de Jean-Paul, au cours d’une réunion avec la direction de l’université de
Chongking, pourfendre l’idée soutenue par l’un des jeunes enseignants de La Villette selon
laquelle la différence des milieux culturels appellerait, dans certains pays, des organisations
politiques différentes de la démocratie. « Jamais de la vie, s’était-il écrié. Les droits de l’homme
sont universels ».

Je me souviens de l’homme juste et bon que fut mon ami Jean-Paul.

Jean-Pierre Le Dantec
mars 2011

Hommage à Jean-Paul Dollé

11h. À Beaugency, à cette heure, le corps de Jean Paul Dollé rejoint la terre. Jean Paul, si plein
de révolution et autant de douceur, telle celle de son regard de “myope” qui lui avait fait endosser,
le temps d’un roman, la stature hésitante du personnage central (ne pas dire le héros) dans son
apprentissage de la politique et de l’amour. Sous les verrières du Grand Palais, abritant alors je ne
sais quelle école d’architecture, un jour de rassemblement dont les raisons m’ont échappé depuis
(ces jours de mobilisation en ces années 70 étaient encore si fréquentes), un homme, des cheveux
ondulés encadrant son visage rond derrière de grosses lunettes, le corps d’une bonne pesanteur
dressé debout sur une table harangue, éructe, incante… Devant lui, les gens passent… Certains
s’arrêtent, prennent quelques mots au passage puis s’éloignent, fatigués. Des mots il en était tant
dit en ces années là. Mais le tribun continuait inlassable, et peu semblait lui importer qu’il soit
écouté ou pas. Il parlait avec une conviction qu’il paraissait d’abord adresser à lui-même, non
pour jouir de s’écouter, mais habité plutôt de cette espérance que la chose énoncée, ( qu’elle soit
balbutiée ou criée ) va peut-être enfin éclore. Je ne compris pas vraiment ce dont il était question
comme je ne compris pas grand chose quand je lus “ Le désir de révolution”, quelques temps plus
tard, après avoir appris que le tribun sous la verrière en était l’auteur.

Repensant à ces moments je suis troublé par le sentiment d’attachement ( je dirais presque de
confiance humaine ) que je respirais déjà dans l’image et la présence de cet homme dont je ne
comprenais pourtant guère le propos.

Et puis j’ai lu ses romans qui eux aussi “m’attachèrent” malgré que je constatais, comme ce
sera souvent le cas pour les ouvrages de fiction d’écrivains-penseurs, qu’ils n’étaient pas de grands
romans du fait de sembler trop se tenir à l’illustration littérale d’un propos. Puis dans les années
0-90, nous approcherons plus Jean-Paul, sa force de pensée et ses faiblesses d’enfant à perpétuer
des bêtises : boire d’abord, pour fuir sans doute bien des choses de ce monde qu’il ne pouvait
accepter.…

Les longues avenues de Budapest. La nuit.Interminables retours vers l’hôtel après des dîners
bien trop arrosés pour un homme venant de vivre un infarctus. “la lumière, là-bas Jean-Paul, c’est
le carrefour”. enfin , c’est ce qu’il fallait lui faire croire à cet homme essoufflé, pour continuer à
avancer, et ne pas finir la nuit sur ce trottoir. Et puis Rome, l’année suivante. Sa colère envers le
tenancier suspicieux de l’hôtel qui l’avait “regardé”, entraînant bien des remous. Et cette autre

moutarde lui étant montée aux narines tandis qu’on traversait un morceau de l’Autriche. N’y
avait-il pas senti dans le comportement d’un serveur du wagon restaurant quelque relent fasciste ?

Jean-Paul était un doux, un lucide et plus le temps passait, plus il savait qu’il n’y avait guère
d’illusion à se faire sur le comportement humain, y compris chez ceux que l’on peut aimer. Malgré
les images “presque vociférantes” que je garde des premiers moments où je le rencontrai, je
dirais que bien peu d’hommes, parmi tous ceux que me fit croiser ma vie, m’ont apporté un tel
sentiment de savoir donner une juste mesure aux choses. Jean-Paul semblait ajuster la pensée à la
perception, et c’est sans doute là que je pus trouver le moyen de le rejoindre. Car il n’avait d’autre
projet que d’être planté, là, à considérer le mouvement des choses, qu’elles soient sources d’injustice
ou d’espoir, d’absurdité ou de beauté. Pas d’autre projet que d’être là, à la bonne distance.
Et tenter de le dire. Le statut de philosophe ne créait pas autour de lui , comme chez d’autres,
cette muraille effrayante d’un savoir inaccessible pour celui qui se trouve au dehors de l’enceinte.
Jean-Paul n’était pas homme à s’égarer dans cette incessante projection de soi comme beaucoup
de ceux qui l’entouraient. Chacun pouvait goûter près de lui une impression de sagesse que lui
seul portait mais qu’il semblait bien vouloir accorder en partage. C’est un peu comme s’il était
devenu le penseur de ceux qui ne pouvaient plus penser. Une sorte de caution d’intelligence dont
l’enseignement d’architecture, et toutes les trahisons dont il était l’objet, jouait à garder comme
le fantôme aimé d’une bonne conscience…

Jean-Paul est mort dans son sommeil. C’est du moins ce que nous aimons croire et s’il s’avérait
que cela soit exact, il ne me restera plus qu’à dire, alors, que ce sommeil a bien fait.

Promis, Jean-Paul. Nous irons très bientôt te voir à Beaugency.

Jean Desmier
Extrait de journal , le 5 février 2011

Jean-Paul Dollé

J’ai connu Jean Paul à l’époque du militantisme dans les jeunesses marxiste-léninistes (UJCML),
vers 1966, et j’ai pu admirer alors son courage et sa passion de l’expression publique entièrement
libre.

À la fin des années quatre-vingt-dix, c’est à lui que j’ai été proposer une alliance, afin de
rapprocher l’architecture et la philosophie, et d’en faire une arme de lutte contre une adversité
redoutable dans mon poste de Doyen de la faculté de philosophie, dans une université
entièrement fondée sur le déni de soixante-huit, mais qui m’avait quand même recruté il a accepté
généreusement et amicalement d’entrer dans cette arène.

Nous avons alors fondé ensemble un cursus de philosophie pour étudiants en architecture et
en philosophie, cursus qu’il a intitulé « Architecture et Urbanité », et qu’il a étoffé en obtenant
que nous rejoignent deux personnalités de l’enseignement de l’architecture, Bruno Queysanne,
militant ML lui aussi et avec qui nous avions monté à Lyon deux colloques: Mort du paysage, et
l’Idée de la ville, et Chris Younès que l’expérience passionnait.

Ce cursus fonctionne encore après plus de dix ans, et sans sa disparition, Jean Paul l’animerait
encore. De nos relations dans cette alliance amicale se dégagent des traits qui éclairent l’homme
qu’il était, et que j’estime remarquable.

Sa passion de l’urbanité : choisir ce titre éclaire un aspect fondamental de son engagement.
« La ville rend libre, l’air de la ville rend libre », c’était ce qu’il répétait et martelait. En disant
La Ville, il fallait entendre un espace public, un espace de libre expression de soi-même, où on incite
également les autres à faire de même. Un forum… Hannah Arendt a exposé dans La condition de
l’homme moderne III : l’action, ce qu’est cette agora, cet espace pour l’expression de son démon,
par chacun, devant les autres. Dans l’action, elle met la parole, le « vaste fleuve du parler » que
Jean Paul aimait à citer d’après Dante. La passion de la ville et de l’urbanité, c’était chez lui cette
option démocratique par excellence, et en même temps une réminiscence de Mai 6 , de l’atelier
des Beaux Arts, de la parole libérée, réminiscence et prophétie d’un avenir de liberté pour les
peuples. Dans cet amour de l’expression publique et des lieux qui y incitent, la rue, le trottoir,
la place, le café, les spectacles, il y a avait un choix d’architecture ouverte, ainsi qu’un refus des
règlements et des programmes d’urbanisme qui sont selon lui des dénégations de la ville, des recouvrements de sa portée de civilisation.

La seconde passion à souligner, c’est celle de la transmission. Jean Paul estimait qu’une
génération qui s’est fait voler sa chance de donner un ton à l’époque (la réaction contre soixante-
huit et son vent de liberté se confond avec la séquence des présidences et des partis au pouvoir
depuis lors) a tout de même sa victoire devant elle dans sa capacité à transmettre, à confier le
flambeau à la jeunesse étudiante, et c’est pourquoi il était un professeur en quête de son public,
c’est-à-dire un initiateur. Il suivait la jeunesse, s’en inspirait, gardait le contact, et lui confiait
“les clés du royaume” de l’avenir démocratique à édifier. Notre alliance donnait un espace
supplémentaire à cette quête, ouvrait une Faculté de philosophie à cette utopie féconde qu’il
avait développée à l’UP 6.

La troisième passion est celle de la pensée. Jean Paul est l’auteur de Haine de la pensée, ce
manifeste pour une résistance aux forces régnantes qui l’oppriment. Penser, est-ce parler ? C’est
davantage, et il était comme fasciné par le mot d’Hannah Arendt dans sa Vie de l’esprit : «où est-
on quand on pense ?» Il le répétait, il cherchait à reconstituer de mémoire la séquence de pensée
qui était contenue dans cette question insolite. Quand on pense, et aussi quand on rêve, on n’est
pas « là » dans l’espace-temps et avec les autres, on habite un espace irréel, virtuel, éternel dans
son genre, qui transcende le monde partagé. Il y avait chez Jean Paul une passion pour cette
évasion hors du monde des corps, lui qui pratiquait la lecture en solitaire dans son refuge de
Beaugency, au milieu du chantier de sa chambre-bureau aux mille livres entr’ouverts. S’évader
de la prison du corps était également un projet de livre, qu’il nous a confié un jour devant des
étudiants de La Villette : il pensait traiter un jour de sa vie d’homme dont le physique est comme
une trahison, une déformation de sa légèreté intérieure, lui qui dansait comme un dieu grec, un
Dionysos.

On retrouve dans cette troisième passion le lien des deux autres, car pour communiquer il faut
avoir quelque chose d’essentiel à partager, et ce trésor s’amasse dans la solitude de la pensée, haïe
parce que non comprise, et dangereuse pour les butors qui gouvernent.

Je suis heureux d’une chose dans cette mort si soudaine et inattendue qui laisse déconcerté,
c’est qu’il ait juste eu le temps d’apprendre qu’en Tunisie, la chape de plomb de la dictature cédait
sous la poussée heureuse du peuple enfin libre de sa parole, de son expression, de son aspiration à
la civilisation. Un accomplissement de son espérance lui a été donné à la dernière de ses heures.

François Guery
le 25 mars 2011

Hommage à Jean-Pau Dollé

On ne croisera plus sa carcasse lourde et nonchalante, dans sa veste et son pantalon de velours,
cheveux longs de soixante-huitard… pas attardé ! Car Jean-Paul DOLLÉ était hors du temps,
fidèle aux valeurs de liberté, de solidarité, de bonheur de vivre et de partager ensemble.

Jean-Paul DOLLÉ appartient à cette génération des penseurs-philosophes, romanciers,
essayiste-initiateur de l’esprit de mai 6 , dont il gardera une forme de « .spleen d’un temps sans
but et sans fin. ».

Il aura renouvelé sa pensée philosophique, s’éloignant du « .métaphysique pessimiste. », parce
qu’il mettra finalement la ville, la qualité de la vie urbaine au centre de ses préoccupations.

Professeur émérite à l’école nationale supérieure d’architecture de Paris, il s’attachera à retrouver
« .la joie de penser un monde habitable. ».

Jean-Paul DOLLÉ était Parisien ; il avait choisi Beaugency, une belle maison de la Place
Saint-Firmin, pour y vivre le bonheur de respirer sainement et de profiter des petits plaisirs, des
émotions qui nous approchent du bonheur…

Jean-Paul était notre Ami. Il ne manquait pas de souligner l’exceptionnelle qualité de
l’urbanisme de la cité Balgentienne ; mais aussi « l’urbanité » de ses habitants. : il aimait se
poser, bavarder et boire un verre entre amis. Chez nous, il trouvait les gens plus humains et plus
chaleureux.

Parce qu’il mesurait le fossé qui sépare cette vie de celle des plus démunis, des exclus de la
société, et de ceux qui subissent la vie trépidante des banlieues démesurées.

Jean-Paul DOLLÉ a choisi de reposer au « Clos Jeannette », ce vignoble hier fécond, le balcon
de notre beau et paisible Val de Loire à Beaugency.

Claude Bourdin, Conseiller général, Maire de Beaugency
Le 16 février 2011

Hommage

Mon premier souvenir et le plus précis, remontent à 1973. Dans un amphithéâtre bondé
d’étudiants de l’École d’architecture UP 6, rue Bonaparte à Paris, trois enseignants font cours
en commun : Jean-Paul Dollé, Antoine Grumbach et Guy Naizot. Certains jours, Roland
Castro se joint à eux. Un cours-fleuve qui semaine après semaine, captive, passionne et nous
cultive. Ce jour-là, Jean-Paul parle de Klee et du visible. Un autre jour, il présente le poème
de Hölderlin « L’homme habite en poète » et son commentaire par Heidegger. Antoine
Grumbach, après un cours époustouflant sur le Campo de Sienne et le Temple de Salomon,
nous relate l’actualité des séminaires à la Maison des Sciences de l’homme …Guy Naizot
démystifie la technique et nous apprend comment poser une construction légère sur des plots
isolés. En fin de cours, Jean-Paul commente l’actualité politique. On a raison de se rebeller !
Il nous enchante et nous encourage.

1980. UP6 et l’Université chinoise ont des liens au travers de l’ingénieur-architecte Léon
Hoa. Je passe avec succès un examen pour une bourse et me voilà en automne à Pékin.
Immunisé contre toutes les formes de stalinisme au contact de l’univers de Boris Vian, je
m’installe à Pékin pour deux ans. Le chinois que je parle couramment me permet de pénétrer
dans ce qui a été pendant 10 ans l’épicentre de la Révolution culturelle : l’Université Qinghua.
Immense et prestigieuse. Je vais appliquer là ce que j’ai appris à Paris : poser des questions,
raisonner, monter à la vigie pour comprendre de quoi sera fait demain, en redescendre,
dessiner. Rencontrer ceux qui vivent le plus fort et le plus vite. Lorsque j’écris le portrait de
ville sur Pékin, je me sens infiniment redevable aux enseignants de l’UP6.

De retour en France, je rejoins Antoine Vitez au Théâtre de Chaillot où je suis chargé par
le créateur de « l’élite pour tous » de construire décors et scénographies. Et quelques années
plus tard, je vole de mes propres ailes, qui toujours me ramènent vers l’architecture et vers la
Chine.

2002. Par le plus grand des hasards, je retrouve le Professeur J-P Dollé à une fête du
Nouvel An. Lui le philosophe, et moi l’architecte parlons de l’espoir et de la liberté. Un déclic
se produit. Nous n’allons plus nous quitter. Quelques mois plus tard, nous partons ensemble

à Pékin et à notre retour organisons au Pavillon de l’Arsenal une soirée « Pékin, phénomène
urbain » qui révèle des transformations en cours dans la capitale chinoise.

Mai 2005 à Shanghai, un cameraman nous suit et enregistre nos conversations. Un livre
sera publié en 2007 par les éditions de l’Aube sous le titre « Conversation sur la Chine entre
un philosophe et un architecte ».

2008, à Aix-en-Provence où je me suis replié avec Lien Pfeufer, Jean-Paul nous rejoint pour
une nouvelle édition de « Pékin, phénomène urbain » 5 jours au travers des images du cinéma
cette fois-ci. Y participe les cinéastes Jia Zhangke, Wu Wenguang. et plusieurs architectes.

Été 2009 : Jean-Paul vient habiter quelques jours dans la caverne de Bonnieux. Nous
parlons sur la beauté. Nous écrivons un texte court « conversation sur la nature » à partir des
propos du peintre taoïste Shitao.

Juillet 2010 : Jean-Paul est fatigué et annule sa venue à l.’Académie de pataphysique de
Bonnieux où nous nous interrogeons sur le « ne-pas tout dire ». Il viendra en fin d.’année
pour trois jours de dialogue avec Stéphane Hessel — l.’invité des Écritures croisées d.’Aix —
qui « danse avec le siècle ». Tous les deux s.’entendent si bien qu.’ils finissent par s.’écrier :

« engagez-vous » « dégagez-les ».

« engagez-vous » « dégagez-les ».

« engagez-vous » « dégagez-les ».

Philippe Jonathan
12 mars 2011

Jean-Paul,

Tu es mort, mais tu ne mourras pas, car tu étais un oracle, un orateur, un arpenteur, un
promeneur, un flâneur, un professeur, un troubadour de la pensée.

Tu passais de château en château, de maison en maison, de café en café avec ta maïeutique, tu
interrogeais les enfants comme Socrate et tu caressais les chats.

Tu arrivais et tout le monde, n’importe qui devenait intelligent, avec ton esprit en boucle et
arabesque, ton amour des mots.

Ce que la doxa appelle philosophe tu l’étais certes, et même diplômé. Mais ce que tout un
chacun, le peuple, appelle philosophe ça tu l’étais.

Tu étais un danseur, tu fréquentais la musique qui te parlait autant que les mots.

Tu étais ce qu’on appelait au XVIIIe siècle un homme d’esprit.

C’est pour ça que tu ne mourras pas.

Depuis la terrible nouvelle de ta mort ; nous sommes convaincus et pas seulement par lâcheté
convenue devant la fin, le mot fin sur ta carcasse, que tu ne mourras pas.

Mitterrand disait « je crois aux forces de l’esprit » : tu étais un esprit, de tes anecdotes
innombrables surgissait de l’essentiel.

Comme ton ami Pierre Goldman auquel je ne peux m’empêcher de penser aujourd’hui,
tu étais un braqueur, tu avais ta loi et en même temps tu savais mieux que personne parler de la
LOI COMMUNE.

Tout petit, très malade, tu es devenu immortel, tu ne pouvais, tout petit, que penser.

Et tu as passé ta vie à questionner l’un et le commun parce que chez toi il y avait de l’un, de

l’unique, de l’inéluctablement unique.

Ce que les gens disent : il est unique celui-là.

Tu étais d’une langue et d’une terre et cela a donné l’Odeur de la France, l’un de tes plus grands

livres car, au fait, tu laisses une oeuvre. Entre Marx et Freud.

Commencé par le meilleur livre, Le Désir de Révolution, Une oeuvre qui se balade entre deux espaces qui sont le grand écart de ce que tu étais
Un appartement balzacien haussmannien plein de tous les petits tracas de l’être et le bon havre du misérable tas de petits secrets qui est chacun de nous et en face : le Château de Vincennes : le
lieu hugolien où le général de Gaulle espérait installer la France de même à Beaugency dans le plus petit territoire du Royaume de France ta maison collée au donjon.

Tu circulais entre la pure idée absolue : la France
Et le plus misérable de ce pays idée, ce pays concept : les Français
Je pense qu’au-delà de ton oeuvre tu as laissé d’immortels slogans, comme Desnos, comme un poète comme ce qu’on appelait au XIXe un publiciste.

Que tu résumas : chassez le Flic de votre tête et récemment avant la présidentielle de
2007 : au Mouvement de l’Utopie Concrète ; nous sommes de millions à être seul, en passant par le
changer la vie de Vive la Révolution.
Juste pour mémoire tu resteras aussi le premier d’une longue série d’intellectuels qui sont là
aujourd’hui à répondre au désir de tes amis architectes que les intellos s’intéressent à la question centrale de notre monde : habiter ensemble, question où de Sartre il n’y eut que le silence.

De cela aussi il reste une oeuvre, dont ton dernier livre prophétique : l’Inhabitable capital.
Jean Paul fait moi une prophétie ? Combien de fois t’ai-je posé cette question ?
Notre dernière conversation sur l’état de notre pays malheureux : il y a 15 jours.
Tu m’as dit, il est aboulique, résumons : le désir de rien.
Car tu avais la liberté de prophétiser, de dire l’avenir.
Tu étais voyant, comme Rimbaud et c’est pourquoi tu ne mourras pas.
Maintenant il y a la douleur, j’ai bavardé, tourné autour, avant de l’évoquer.
Nous souffrons Jean Paul de ton départ physique sans prévenir, comme ça, apaisé dans ton lit.
Bien sûr tes frères, ton fils, sa femme, ton petit fils, ta petite fille qui t’aiment tant, et Claudie

et Françoise.
Bien sur tous tes amis, rien de factice ou de convenu dans tout ce que nous ressentons, car

nous t’aimons sans réserve Jean Paul.
Le plus dur pour moi ce fut de l’annoncer à mes cinq enfants, car tous t’aiment Jean Paul.
Et nous deux vers 1972, l’aveugle et le paralytique, au bord du gouffre, dans un soutien mutuel invraisemblable de deux funambules détraqués, Paulo, Jean Paul, Paulette, tu détestais que je
t’appelle Paulette, tu ne feras plus de salades de tomates coupées n’importe comment avec un
oeuf dur explosé comme une grenade

Tu ne joueras plus à la belote, nous n’entendrons plus parler de « blé engrangé » ne craint
pas l’hiver dont longtemps Samuel, mon fils, a pensé que c’était un mec qui ne craignait pas le
froid.

Tu ne pisseras plus dans la travée du cinéma comme à Hyères car tu l’as fait, un des plus
beaux souvenirs de transgression de ma vie.

Jean Paul,

Aujourd’hui nous pleurons, mais tu n’as pas fini de nous faire rire

Tu n’as pas fini de nous faire penser

Tu n’as pas fini de nous faire rêver

Il faut admettre que tu es mort

Mais un conteur comme toi s’est inscrit au patrimoine immortel de l’humanité.

Roland Castro
le 6 mars 2011

Mon Jean-Paul,

Tu es le dernier grand homme que j’ai connu, avec qui j’ai travaillé durant quatre mois
d’automne et d’hiver.

Tu es devenu mon pote, on riait ensemble tout en travaillant dans ce bar qui s’appelle le OK.

Je te parlais de l’anarchie, thème de mon prochain film, non pas le chaos, mais anar, et tu m’as
dit qu’il ne faut pas dissocier du combat la joie de vivre.

Tu partais et tu revenais quelques jours plus tard avec ceci « Nous ne séparons pas notre
combat de notre droit au plaisir, à la joie et à la jouissance, nous n’attendons pas un futur grand
soir, nous revendiquons notre droit au bonheur, plus on aime la résolution plus on aime l’amour,
plus on fait la révolution, plus on fait l’amour. »

Tu as écrit ça bien avant les évènements d’Afrique du Nord et tu parlais déjà du fait que la
société doit bouger sinon elle explose.

Tu es revenu un soir en me disant que tu as parlé du film qu’on était en train de penser à ta
petite fille, tu lui avais dit que c’est un film sur les nouveaux anarchistes et sur l’internationale de
l’illégalisme.

Je suis parti deux jours à Bruxelles… Quand je suis revenu, tu étais parti loin en me laissant un
peu de ta force, me laissant seul dans ce bar qui s’appelle le OK.

Tony Gatlif

Jean-Paul, toujours partant…

Pour une manifestation, un débat, une pièce de théâtre, un film, un concert, un voyage, une fête.

Chaque semaine, Jean-Paul était partant pour de nouvelles amitiés, il s’extasiait des ressources
de chacun, il s’émerveillait.

Il aimait les femmes, ses amies, avec lesquelles il flânait, penser avec elles, être passionné par ce
qu’elles pensaient, écrivaient, créaient.

C’est lui qui m’a fait découvrir Hölderlin : la poésie comme expérience, habiter le monde

« poétiquement ».

Il me poussait à accueillir la vie telle qu’elle apparaît dans sa vigueur, sa spontanéité.

Il ne vous décourageait pas : — « vas-y ! » disait-il.

Il ne se résignait pas, et il le transmettait.

Il aimait marcher dans les rues, s’asseoir à la terrasse d’un café, découvrir un quartier. Il

personnifiait dans son questionnement le singulier et le pluriel.

Il ne se plaignait pas.

Il savait se déprendre du spleen de la mélancolie, il pouvait repérer d’emblée un ton sceptique,

critiquer une volupté morose qui aurait pu faire partie de ce qu’il appelait « Le territoire du
rien », là où poussent la souffrance et le désarroi.

Son bon vieux coeur juvénile était attentif à toutes les révoltes : — « tu vas voir, ça va marcher,
quelque chose bouge ! »

Il était persuadé que l’idée de peuple ne peut exister que dans des longues marches fraternelles,
que la politique c’est le peuple rassemblé lorsqu’il se donne rendez-vous pour contester
ensemble.

C’était sa haute idée du politique, être ensemble dans la rue.

C’était sa définition du bonheur public. Son goût du bonheur public.

Ça l’enthousiasmait, d’années en années, l’émergence tout à coup d’un mouvement généreux.

Il repérait les nouvelles exigences, « celle de dignité » par exemple scandée dans les grèves, et
les cortèges.

Le dimanche qui a précédé son dernier départ, il était captivé par ce qui se passait en Tunisie
et en Égypte, lui qui avait tellement défendu la ville citoyenne avec ses rues, ses places, ses jardins,
tout à coup de l’autre côté de la Méditerranée, Tunis et Le Caire vibraient.

Il ne supportait pas ce soupçon auquel on se heurte ici, cette méfiance devant la rue, et
comment cette suspicion va tenter d’amoindrir les élans démocratiques.

Il avait été sidéré par le mouvement dans les Antilles, en février 2009, avec « Le manifeste
pour les produits de haute nécessité » écrit par des écrivains antillais qu’il citait : « Vivre la vie,
et sa propre vie, dans l’élévation constante vers le plus noble et le plus exigeant, et donc vers le
plus épanouissant. Ce qui revient à vivre sa vie, et la vie, dans toute l’ampleur du poétique. ».

Jean-Paul aimait se fondre dans le mouvement, il réfléchissait tout le temps en invitant à la
réflexion, il était heureux de penser à voix haute, c’était sa séduction personnelle, son charme
bien à lui, presque un amour charnel des idées, il était sûr que la pensée est un bien commun, une
matière en combustion que l’on peut à chaque instant partager et en éprouver de la joie.

Jean-Paul s’en est allé, il est parti trop vite, son départ s’associe à l’imprévu qu’il savait si bien
capter dans ce qui arrive.

Hélène Bleskine
le 25 mars 2011

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