Mon tour Paris, mon Tout Paris, mon Paris tout à moi est arrivé. Oui, Je suis le Tout Paris à moi seul et Paris seul est à moi, ce jour enfin. Serait-ce mon jour de gloire ? Mais le veux-je ?

Je ne vous avais rien laissé entendre. Vous pensiez tous les uns et les autres, tant vous vous considérez, que vous étaient destinés à vous, et à vous seul(e), pour votre première lecture du lendemain avant les compliments par SMS de vos proches, mes billets dans le Figaro de chaque jour, qui prennent pour prétexte et pour lice vos spectacles, vos diners en ville, vos rendez-vous, vos vernissages, vos mondanités, vos sorties, vos premières, vos cérémonies, vos anniversaires, vos entrées, vos sorties, vos saillies, vos Prix, vos courses, vos fêtes, vos défilés, vos Charités, vos Shows, vos nostalgies, vos réceptions, vos ventes, vos déceptions, hommes et femmes de Paris qui, de cette Ville-lumière dont vous faites sans relâche votre village réservé et votre Club privé, vous croyez le Sel, l’écume, le Fouet, les locomotives, les propriétaires, les héros, les promeneurs de droit, les rêveurs, les faiseurs, les acteurs, les amants, les macs, les People. Oui vous aviez fini par considérer aussi solide, évident, incontournable que l’Obélisque ou le café de Flore, aussi fondue dans le paysage et la cohue de vos cocktails qu’une coupe de Roederer sur un buffet de Potel et Chabot ou une ligne blanche chez la Baronne Colombe, que j’étais là pour être, soir après soir, votre Œil de garde, votre Permanent élyséen, votre vigie germano-pratine, votre sésame du Triangle d’Or. Vous aviez fini par me voir comme le scribe amusé et complice de vos regards, de vos tenues, de vos bons mots, seraient-ils navrants, ridicules (prout, ma chère), ou piquants. Vous me teniez, plume invisible en main, pour le confident stoïque ou l’oreille attendrie de vos apartés, de vos grâces, de vos piques, de vos supériorités et vos froideurs, de vos enthousiasmes sur commande, de vos extases blasées, de vos méchancetés, le dépositaire passager de vos éphémérides, le greffier patenté de vos vingt-cinq minutes d’exposition à la lumière, le poète ironique de votre contribution à l’air du temps, le chargé d’affaires proustien de vos ambassades nocturnes à l’attention des médias et, au-delà, des foules dont vous guettez, sans trop le dire, les suffrages. Vous avez institué que j’étais, à moi seul, votre INSEE et votre CAC 40 à la fois, fixant l’indice de flottaison de votre nom et votre cote à la Bourse de la Notoriété, sur les estrades de la célébrité, aux comptoirs de la rumeur. Vous avez fini par penser, plus encore, que j’étais là, toujours là, jamais las, parce que j’aimais cela, que j’aimais de vous, Parisiens, vos faits et gestes, vos vanités, vos tics, votre art du social, du rien et du tout, votre savoir-vivre, votre art de recevoir et d’y croire sans y croire.

Je ne vais pas vous détromper, vous dire le contraire, rompre le charme, briser des lances avec vous, cracher dans vos breuvoirs et vos mangeoires, vous qui m’avez reçu, abreuvé, non. Je ne vais pas vous balancer, non. Je ne suis pas votre juge, ni l’arbitre de vos élégances, vraies, fausses ou demi-fausses. Me croirez-vous ? Le goût de s’exposer, les vanités, le narcissisme, l’ego, le besoin de briller sont des ingrédients indispensables de la civilisation et des mœurs, cet art de se mesurer à soi en se frottant, se soumettant un soir à ses semblables. Ils sont le sel, l’angoisse, le moteur des individus. Ils disent le besoin infantile et grégaire d’être aimé, reconnu. Et ils me permettent, m’invitent, à faire de toutes ces « Choses vues » – modeste littérature ; de glisser de ma branche militaire d’origine – je suis, de nature et de culture, plutôt austère et réservé – vers le monde et ses agitations ; d’en venir, sans illusions, à cette conscience légère des enjeux du ballet général d’aujourd’hui, où vous tous tournez manège, sans vous en étourdir, car plus rien, aujourd’hui, ne vous étourdit plus. Vous en avez tant vu, tant entendu – et moi aussi. Ere du soupçon, ère du semblant – comme je suis patient ! stoïque ! comme je suis bon !

Alors ce soir, au Plaza où une bonne fée m’a convié à vous attendre tous et à vous réunir, vous que j’ai brossés, portraiturés, caressés, brocardés, qui viendra, qui ne viendra pas ? Quel sera, à mon tour, ma cote, mon influence, mon prestige, toutes choses que je n’ai pas cherchées, cultivées, mais qui… On verra bien. Échotier, chroniqueur mondain, écrivain passager, un zeste de Thackeray, de Proust et de Morand ? Matthieu Galey ? Moraliste ? Masque?

Vous le découvrirez demain matin à la lecture de mon billet du Figaro. Je raconterai tout de cette soirée, je cacherai tout. Vous aurez le parfum. Peut-être.

Un mot enfin, une considération à votre usage, pour une meilleure fin publique de vos soirées, de vos expositions, de vos vernissages futurs, où vous me convierez peut-être encore, puisque, tant vous sont irrésistibles les miroirs que l’on vous tend, vous ne vous méfiez pas trop de ma plume. Voici.

La mode, le paraître, épousent l’air du temps. Ils marchent à l’immédiat, au temps court, à l’ostentatoire, au théâtral, au show off. Ils fabriquent du consensus, de la grégarité, du mimétisme, et, à l’occasion, de la célébrité. Une célébrité warholienne sous les flashs de l’éphémère. Mise en avant de soi dans l’univers du spectacle généralisé. Pushing. Représentation sans lendemain. Vous le savez mieux que moi, et c’est souvent votre angoisse: « la mode, a dit Coco Chanel, c’est ce qui se démode ».

La gloire, elle, la vraie, suppose un retrait du monde, un pas hors du rang des officiants du chic ambiant et des musts du jour. C’est une solitude voulue, un dissensus assumé. C’est se défaire de toute exhibition comme de toute morgue, laisser parler les voix muettes qui sommeillent en chacun de nous. Ainsi que le disait Proust de la politique dans un roman, parler de soi in first place c’est toujours, peu ou prou, « un coup de revolver dans un concert. »

Cet escalier.

Capture-escalier

P.c.c : Gilles Hertzog

tout-parisTout Paris
Bertrand de Saint-Vincent
Éditions Grasset