Vu sur une autoroute : dans le sens autorisé, dromadaires tirant d’énormes ballots de foin, singe habillé en robe orange et rose à l’arrière d’un scooter, serrant fort son dresseur dans ses bras minuscules, moutons en troupeaux, un cortège de mariage, les musiciens devant avec tambours et hautbois précédant le marié, le visage voilé de guirlandes de jasmin, droit sur l’étalon blanc traditionnel caparaçonné de broderies scintillantes, les femmes en saris de fête dansant à l’arrière en frappant des mains, rickshaws de cinq places avec quinze personnes à l’intérieur, petite famille à quatre sur le même scooter, papa casqué, les autres non, carriole tirée par des mulets, camion orange à pompons noirs pendouillant sur l’arrière peinturluré de deux grandes fermières sur fond de montagnes, camionnette transportant trois buffles mélancoliques…

Vu sur une autoroute, cette fois à contre-sens : tous les tracteurs dont celui qui transporte un étalon de marié caparaçonné de velours violet et rouge et vide de son marié, toutes les carrioles tirées par des zébus, quelques voitures tous phares allumés, une voiture officielle, une autre…

Le reste de l’Inde chemine à pied, une foule incroyable, calme au milieu du foutoir autoroutier. Sur le bord de l’autoroute, figé comme les statues de stuc modernes du Bouddha, de Shiva, de Krishna en cocher conduisant le char d’Arjuna ou de femmes géantes se mirant au miroir pendant que des musiciens rabougris soufflent dans leurs trompettes, un vieil homme accroupi regarde devant lui.  Il n’attend rien, il a une très longue barbe blanche, un pagne gris muraille, il ne mendie pas, il n’attend pas. Il est tout seul.