Abbas Bakhtiari, quelles sont les dernières nouvelles?
Jafar Panahi est toujours libre à l’heure actuelle, chez lui, auprès de sa femme et de ses deux enfants, après avoir été jugé à huis clos samedi matin. Il ne lui reste que quinze jours avant que sa peine ne soit appliquée et qu’il retourne en prison. Lui et son avocate sont en ce moment en train d’achever la lettre d’appel qu’ils doivent envoyer au Juge Pir-Abassi du tribunal révolutionnaire par l’intermédiaire de son avocate Farideh Gheyrat. Malheureusement, je ne peux vous en dire plus car cela nuirait au dossier de Jafar Panahi avant l’examen de son appel. Vous savez, en plus des six ans de prison et des 20 ans d’interdiction de tourner des films, il a également été condamné à 20 ans d’interdiction de tout contact avec la presse iranienne et étrangère, et n’a donc pas intérêt à parler aux médias. Tout ce que je peux vous dire est qu’il reste toujours en contact avec ses amis du monde entier par l’intermédiaire de sa propre page Facebook. Et on y voit bien que les accusations contre lui sont infondées.
Quelles sont les dernières nouvelles en provenance de la mobilisation en sa faveur?
Un appel en faveur de Jafar Panahi et de Mohammad Rasoulof a été créé dès l’annonce de sa condamnation lundi. Il est notamment signé par la Cinémathèque française, le Festival de Cannes, la Mostra de Venise, le Festival international du film de Locarno, France culture… En à peine quarante-huit heures, l’appel a rassemblé environ 4500 signatures de personnalités exprimant leur inquiétude et réclamant que Panahi et Rasoulof ne retournent pas en prison. Le Festival du film de Berlin vient de se prononcer à son tour. La Berlinale, qui a nommé Panahi membre du Jury de sa prochaine édition (10 au 16 février 2011), a annoncé qu’elle conserverait le siège de Juré du réalisateur iranien. Son directeur, Dieter Kosslick, s’est déclaré aujourd’hui « bouleversé, indigné et inquiet ». Sans oublier le ministère allemand des Affaires étrangères, qui a jugé « scandaleuse » la condamnation de Jafar Panahi. Ainsi, je reste persuadé que tous ces soutiens vont avoir un effet sur son avenir, ainsi que celui de tous les autres artistes iraniens. Si la mobilisation est unie, ce qui est le cas aujourd’hui, je suis persuadé qu’elle peut modifier leur peine. Souvenez-vous de notre expérience de mai dernier à Cannes où ensemble, nous avions obtenu sa libération…
Parlez-nous de cette peine sans précédent contre un artiste iranien…
Tout d’abord, elle ne vient pas d’être décidée. Dans une interview, Javad Shamaghbari, l’adjoint du ministre iranien de la Culture au cinéma, a annoncé que la condamnation de Jafar Panahi à six ans de prison avait été ordonnée il y a plusieurs mois, avant même le Festival de Cannes. Or à l’époque, face à l’ampleur de la réaction internationale suscitée par son emprisonnement, l’Iran avait préféré commuer cette peine en interdiction de sortie du territoire. Voici pourquoi on peut affirmer aujourd’hui que le Juge Pir Abassi (du tribunal révolutionnaire) n’a joué aucun rôle dans la condamnation. Cela vient de beaucoup plus haut, c’est à dire du bureau du Guide suprême. Ils n’ont cesse de mettre en avant des cas comme celui de Sakineh, puis celui de Shahla Jahed (iranienne récemment exécutée pour un meurtre contesté), et enfin celui de Panahi, afin de distraire l’opinion publique mondiale pour pouvoir poursuivre en cachette leurs ambitions atomiques. Cette peine est une catastrophe pour le cinéma d’Iran, mais aussi du monde entier. Ce gouvernement ne croit pas en la démocratie, mais en l’anéantissement de toutes les valeurs humaines.
Mais Jafar Panahi est tout de même accusé d’avoir réalisé un film de propagande contre le Régime…
Cette accusation est totalement fausse. Jafar Panahi n’avait débuté que le tiers d’une séquence qu’il avait tournée à l’intérieur de chez lui. Comment ont-ils pu conclure qu’il avait réalisé un film contre le Régime ? Ils ne cherchent que des prétextes. Ni Jafar Panahi, ni Mohammad Rasoulof n’ont commis de faute. Leur seul tort est de résister et de ne pas abandonner face au système qui les condamne aujourd’hui. Un des buts du Régime iranien est de forcer ses cinéastes à quitter le pays. Or les deux réalisateurs souhaitent simplement poursuivre leur œuvre, leur cinéma, et ne pas être des pions du Régime. Cette peine sans commune mesure a pour but de démotiver les autres artistes du pays. En Iran, on n’offre plus le cinéma qu’à des servants du Régime. À ceux qui ne parleront nullement de la question des droits de l’Homme.
Cela signifie-t-il que Jafar Panahi réalisait des films à vocation politique?
Panahi n’est pas politique, mais social. Son œuvre a toujours respecté l’amour de l’être humain. Il aime être auprès de sa population. Il est inquiet pour elle. Il n’a jamais délivré le moindre message appelant à renverser le Régime iranien. Il œuvre simplement à l’amélioration des questions sociales dans son pays. Quant à Mohammad Rasoulof, il est intéressant de noter que lorsque lui aussi a été condamné à six ans de prison, il venait de recevoir du ministère iranien de la Culture une autorisation pour tourner son prochain film.