Madame la Ministre,

Chers amis français, Chers amis américains,

J’ai reçu, dans ma vie, plus de décorations que je n’en mérite – mais celle-ci est très spéciale.

Tant de personnes que j’admire, et tant d’amis l’ont reçue. C’est avec fierté et envie que je les ai entendus dire avoir reçu la plus haute distinction française : une décoration vieille de deux cent huit ans, créée par Napoléon Bonaparte, et dont chaque attribution doit être approuvée par le Président de la République Française.

Avant tout, je souhaite remercier le Président Nicolas Sarkozy, Grand Maître de l’Ordre de la Légion d’Honneur. Je suis tout à la fois surpris, honoré, ému et reconnaissant de recevoir cette décoration, sans toutefois connaître les raisons qui ont conduit Monsieur le Président et d’autres à me l’accorder.

Je ne m’y oppose pas. Je dis simplement merci.

J’apprécie tellement le titre de « chevalier »… Et le rouge est la couleur que je préfère.

Madame la Ministre – vous m’avez souvent honoré de votre présence lors de mon émission, et aujourd’hui encore je vous suis reconnaissant d’avoir pris le temps d’être à mes côtés, en dépit de votre agenda si chargé.

Vous qui avez su si bien réussi aux Etats-Unis, vous savez ce que cela signifie d’aimer deux pays.

Lorsque vous m’avez proposé d’organiser la cérémonie aujourd’hui, le 9 septembre, j’ai immédiatement sauté sur cette occasion, sachant pourtant que nombre de mes amis ne pourraient être présents, et qu’il me faudrait repartir à Londres dès la fin de la cérémonie pour y interviewer George Osborne. Je l’ai vu hier soir et il m’a reproché de ne pas rester dîner avec vous.

Mais je me suis dit : dépêchons-nous de programmer cette cérémonie avant que quelqu’un ne change d’avis et décide qu’il s’agit d’une erreur…

Quelle beau jour pour célébrer une grande amitié et une histoire d’amour.

Une amitié qui réunit deux pays : le vôtre et le mien.

Une amitié historique, qui va de Lafayette et Jefferson à Obama et Sarkozy, et qui perdure.
A chaque fois que je le pouvais, j’ai reçu des invités français sur mon plateau, afin de rendre hommage à la France, et de mettre en valeur ce que toute longue amitié comporte : des moments de divergence, des moments de disputes et de passions. Mais les liens ne se rompent jamais, et la relation perdure et s’enrichit toujours. Il en est ainsi de la relation entre la France et les Etats-Unis, à l’orée de ce siècle nouveau, porteur de problèmes et d’espoirs. Plus que jamais auparavant, nos deux pays auront besoin l’un de l’autre, et ils continueront d’être présents l’un pour l’autre, comme ils l’ont toujours été par le passé.

Nombreux sont mes compatriotes que j’ai interviewés et qui ont reçu cette marque d’honneur.

Nombreux sont ceux qui partagent mon amour pour Paris, de Benjamin Franklin à Ernest Hemingway, en passant par Ben Bradlee, qui fêtait son quatre-vingt-neuvième anniversaire avec moi il y a une semaine, et Ralph Lauren, dont je porte les vêtements aujourd’hui.

La France m’a offert de vrais moments de joie, et a été le lieu d’événements déterminants dans ma vie. J’y ai rencontré des Présidents et des Premiers Ministres, des Ministres et des chefs d’entreprises, et des artistes incroyablement talentueux. Qui refuserait d’être présent lorsque Jessye Norman chante pour célébrer le bicentenaire de la Révolution Française ? Qui refuserait de déjeuner avec Henri Cartier-Bresson et qui se plaindrait de rencontrer à l’Elysée, en privé, un Jacques Chirac désireux de discuter de l’Irak avant le début de la guerre ? Et qui refuserait le plaisir de découvrir un nouvel ami, qui devient un frère, et qui m’honore en partageant une profonde amitié ?

Qui refuserait de connaitre les femmes françaises passionnantes, les membres du gouvernement, les femmes d’affaires et les grandes stars internationales, telles que Juliette Binoche et Jeanne Moreau – sans omettre la femme la plus célèbre de France, avec laquelle j’étais seul au cours d’une soirée en tête-à-tête, dans le Louvre alors fermé : Mona Lisa.

De toutes les remarques qui m’ont été faites par mes invités lors de mes émissions, je retiendrai toujours celle de Catherine Deneuve : « Mon cher, vous êtes un homme dangereux. » A mon avis, elle devait regretter de s’être confiée à moi plus qu’elle ne l’aurait souhaité… mais je suis ouvert à d’autres interprétations…

Qui refuserait de vivre au croisement de la rue du Bac et du boulevard Saint-Germain, d’où l’on peut traverser la Seine, puis la cour du Louvre, pour s’arrêter en fin de jogging au Café de Flore ?

Qui souhaiterait tout cela ? Moi, et je l’ai fait. Je suis tombé amoureux de cette ville, de sa culture et de sa qualité de vie.

Tout a commence un matin, très tôt, à l’arrière d’une Citroën, tandis que les marchands ouvraient leurs boutiques, que l’odeur du pain flottait dans une ville encore silencieuse, et que celle des fleurs fraîchement coupées parfumait les marchés.

Quel pays a autant de personnages historiques, de ceux que mes collègues aimeraient tellement interviewer : de Napoléon à De Gaulle, de Picasso à Matisse. Et tant d’écrivains, de philosophes, de danseurs, de réalisateurs…

Je regarde l’assistance, j’aperçois plusieurs personnes qui ont marqué ma vie et sont devenues de grands amis.

Celui qui m’a sauvé la vie, quand les chances de survie étaient minces, et avec lequel nous avons forgé une belle amitié à travers cette aventure périlleuse. Le Docteur Alain Carpentier est votre plus grand chirurgien, honoré à travers le monde pour son talent de chirurgien, et sa générosité de philanthrope.

Et le Docteur Jean-Pierre Marino, cardiologue de talent, qui m’a reçu un certain vendredi, quand je revenais de Syrie avec un grave problème au cœur, une valve défectueuse… Il a su obtenir pour moi un rendez-vous le lundi suivant avec le Docteur Carpentier.

Et ceux qui ont seulement répondu présent lorsque je les ai appelés pour leur dire : je reviens de Syrie, j’ai absolument besoin de voir un médecin et je ne connais personne. Ce sont eux qui m’ont permis d’être reçu, deux heures plus tard, dans le bureau du Docteur Marino, un vendredi soir à sept heures…

Bernard Henri-Lévy, qui est un frère pour moi, qui m’a offert son amitié et son amour et qui sait que je serai à ses côtés pour le restant de nos vies.

Et Martine Frank, la veuve d’Henri Cartier-Bresson. Je n’oublierai jamais notre première interview, quand nous avons sorti une bouteille de vin pour agrémenter notre conversation.

Et puis il y a Yvette Vega. Il y a dix-neuf ans, quand j’ai démarré mon émission, elle a été la première personne que j’ai engagée dans mon équipe. Aujourd’hui, elle est ma productrice exécutive et elle m’a accompagné à travers l’Histoire, avec les Prix Nobels, les soldats, les hommes de science, les chefs d’Etat, les chefs d’entreprise, les grands hommes de la culture, les grandes figures de notre époque…  Elle a joué un rôle essentiel dans ce parcours, et doit recevoir une part de l’honneur qui m’est fait aujourd’hui.

Enfin, je souhaite remercier ceux et celles qui sont absents et à qui je dois d’être celui que je suis : une femme qui m’a initié à la culture et au goût et surtout mon père et ma mère.

Mon père a atterri en Normandie une semaine après le Débarquement, et s’est battu à travers toute l’Europe, jusqu’au front qui faisait encore rage en Allemagne. Ceci est pour lui. Et ce qui me rend le plus fier aujourd’hui, c’est que cette décoration me lie à ces hommes et ces femmes courageux, qui ont pris part à la Libération de la France, et que vous avez honorés en maintes occasions.

En partant d’ici, je me rendrai au « Palais d’Honneur », avant de quitter Paris et de retourner à Londres cette après-midi. Je ferai l’acquisition de la décoration que je porterai toute ma vie, avec honneur, fierté, gratitude et amour. Merci.

3 Commentaires

  1. Merci pour avoir mis à disposition ce discours de Monsieur Charlie Rose, pour qui j’ai la plus grande admiration et dont je regarde les émissions sur internet. Un grand et véritable journaliste, dans un univers professionnel autrefois respecté et aujourd’hui livré aux imposteurs …

  2. « Bernard Henri-Lévy, qui est un frère pour moi »…
    Ahhhhh! je me demandais pourquoi on faisait tout un plat de cet homme dont personne n’a jamais entendu parler!…
    je comprends maintenant…

  3. Les jours passent remplis d’espérances. Puisse t’il se lever ce jour sans l’ombre d’un voile…