Donc, une débâcle. Sans excuse. Avec des bleus sans âme. Avec des bleus à l’âme. Et onze soldats perdus sur un gazon trop vaste, un état-major hagard, des coupables déjà désignés, des ministres aux abris, des civils en vrac dans la nuit australe. On entendrait presque le bruit des Stukas et de leur mitraille sur les routes de l’Exode.
Ce qui s’est passé ce 17 juin, au fil d’une mise à mort annoncée, s’inscrit d’emblée dans la grande tradition de nos étranges défaites. On s’abuse, puis on se réveille. On a élu un Front Populaire qui finit par voter les pleins pouvoirs à un Maréchal gâteux qui croit à la toute-puissance des astres. Aucun Marc Bloch, hélas, pour ce naufrage de pacotille. Aucune zone sud où se réfugier. Aucun Vercors pour résister. Rien. A peine des sponsors déconcertés et des guerriers trahis par leur ligne Maginot trop étirée entre Gallas et Abidal. En 1940, on pouvait encore se consoler en pensant que l’ennemi était diabolique, pervers, officiellement haïssable. Cette fois, face à onze Aztèques brillants et joyeux, ça ne marche plus. La (l’équipe de) France, n’est plus. Et son agonie en dit long sur la certaine idée qu’hier encore on s’en faisait.
Le lendemain, 18 juin, j’ai rêvé d’entendre, sur les ondes, un général rebelle qui, parlant d’ailleurs, se serait indigné contre cette capitulation. Quelqu’un qui aurait écrit « l’Armée de métier » quelques années plus tôt et qui, guère surpris, aurait constaté que seuls ses adversaires avaient suivi ses conseils avisés. Or, c’est le silence: juste des spots dévalués (Anelka marque beaucoup de buts dans une pub télé…), des stars éteintes, un chef à la voix tremblante, des attentistes qui guettent leur Divine Surprise afin de racheter à bas prix un fond de commerce toujours juteux. Déception. Goût de cendre.
Sur le fond, ce qui s’est passé est simple à comprendre: les onze Français, jadis citoyens de l’Atlantide Black-Blanc-Beur, ne s’aiment pas. Ils n’aiment pas jouer ensemble. L’Antillais n’aime plus le Chti, qui se méfie du gay, qui n’aime pas le Breton, lequel n’appartient pas à la tribu du Peul, du Mahométan ou du Rasta de la Courneuve. Avant le match, chacun s’isole sous un casque Hi-Fi tandis que Maradona oblige ses Argentins à se faire des bisous. Ils sont – et seront – atomisés. Dépourvus de conscience collective, de fraternité, de sympathie réciproque. Je sais bien qu’on ne lit pas Renan dans les vestiaires de foot. Mais n’y aurait-il pas quelqu’un, dans la salle, pour leur rappeler qu’une équipe est un plébiscite qui dure quatre vingt-dix minutes? Tout cela est triste. C’est une fête qui tourne mal. Faute de mieux, on attend M. Blanc, l’encore immaculé. En 1998, on l’appelait déjà « le Président ».
J’ai détesté votre article. En plus vous osez faire appel à cet ouvrage fondateur de la Nation qu’est l’Étrange défaite. L’équipe de foot n’est pas l’armée française. Nous n’étions pas en campagne, contre aucun ennemi. Il s’agit pour 23 garçons de jouer au foot ; ils ont mal joué, se sont mal comportés. Doit-on en faire un drame nationale ?
Bloch dans les années 40 montra, lui l’étrange collusion de la droite française avec les Allemands et les nazis, l’étrange abandon d’une armée, l’étrange abandon de la France par ses élites. Ce n’était pas un terrain de foot. Pire, ce fut l’ entrée dans un marasme moral et politique abyssal.
Ce qui désespère les Francophones du monde entier (je suis Suisse romand) n’est pas tant la défaite ni le comportement des Bleus mais bien l’indigence des pseudo-intellectuels français actuels boursoufflés de communautarisme et d’arrogance (voir Finkelkraut, BHL, Glucksman, Bruckner et les autres). Où sont les Camus, Sartre, Aron, Bataille, Deleuze, Debord, Barthes, etc. qui nous ont ouvert les yeux sur une pensée parfois erronée mais toujours radieuse ?
Ces Bleus auront eu un mérite et un seul, et qui n’est pas mince : te faire écrire deux articles enthovenissimes (qui plus est, pour ce prolétaire Internet).
Merci les Bleus !
Gilles de Kermouster
Ce qui nous met le bleue à l’âme n’est pas tant la défaite, chose qui peut arriver aux meilleures équipe – quoi que la France ait particulièrement mal joué – mais le fait que les bleus fassent preuve d’autant de violence entre eux. Nous sommes à des kilomètres de la sympathique équipe de 1998.
C’est tellement triste tout ça.
Vous l’avez dit: « des bleus sans âme » face à « onze Aztèques brillants et joyeux », brillants d’excitation , comme toutes ces équipes de gamins aux yeux grands ouverts, tellement fiers de représenter un pays, leur pays. Ceux-là se battent avec bien plus que l’aptitude physique. Ils se battent avec leur Amour profond de la « Patrie » qui réuni et fait de chaque participant un frére avec qui et pour qui il fait bon vivre et se dépasser. Si j’étais un selectionneur, à L’Antillais,le Chti, le gay, le Breton,le Peul, le Mahométan ou le Rasta de la Courneuve, je poserais cette question préalable et primordiale: « Aimez vous votre Pays et son Hymne ? »
Les mots qui avancent comme des jambes de chevaux, fléchissent et remontées par le treuil vertébral, se cabrent encore à l’effleurement d’un renfoncement, aveugle par-dessous l’encre bouillonnante, et la vérité, qui en résulte.
Je viens de poster ce texte dans mon mur, sur facebook.
« Le bleu à l’âme », voilà ce qui traduit mon sentiment profond.
Merci d’avoir mis les mots qu’il fallait…
C’est vrai que c’est joliment dit.
Mais la défaite n’en est pas moins dure pour autant…