Apichatpong Weerasethakul, Oncle Boonmee, Celui qui se souvient de ses vies antérieures, En Compétition,
Lodge Kerrigan, Rebecca H. (Return to the Dogs) Un Certain Regard,
Fabienne Berthaud, Pieds nus sur les limaces, Quinzaine des Réalisateurs,
Woo Ming Jin, The Tiger Factory, Quinzaine des Réalisateurs,
Daniele Luchetti, La nostra vita, En Compétition
La Thaïlande, ses massages, sa cuisine – et son cinéma. Apichatpong Weerasethakul, sans doute le cinéaste dont le nom a été le plus écorché en 63 ans de festival revient avec un safari exotico-spirituel plein d’une enchanteresse langueur : Oncle Boonmee, Celui qui se souvient de ses vies antérieures. Avec son humour au ralenti et son burlesque engourdi, le film distille conversations anodines et gestes méticuleusement captés pour glisser insensiblement sur le territoire de la pure magie. Ce territoire où les incarnations passées et futures de l’oncle Boonmee, tout récent dialysé au seuil de la mort, fraient avec les fantômes de sa femme ou de son fils. Ce territoire qui, depuis Tropical Malady, se confond avec les denses frondaisons de la forêt. Car c’est là, dans ce lacis de pénombre et de lumières diaprées, que l’existence tremble, que les spectres prennent corps et que les corps se spectralisent. Et nul mieux qu’Apichatpong Weerasethakul ne sait saisir ces instants paradoxaux d’hésitation entre l’être et le néant.
D’incarnations, il était aussi question dans ce Rebecca H. (Return to the Dogs) dont Lodge Kerrigan, sérieux comme un pape confiait qu’il s’agissait d’un « musical ». Et de fait, malgré les couleurs en voie permanente de décomposition et les plans étirés ad libitum, ce film pour qui l’adjectif « singulier » semble avoir été créé, est une déclaration d’amour à Grace Slick, la voix incandescente du Jefferson Airplane. Une déclaration en cachant toujours une autre, Rebecca H. est aussi un splendide hommage à son actrice. Géraldine Pailhas, moteur et sujet obsessionnel du film, se voit offrir un portrait en forme de prisme où miroitent tour à tour toutes ses incarnations :Grace Slick, la névrotique Rebecca H. du titre, ou encore Géraldine dans son propre rôle. Rebecca H., ou l’anatomie d’une actrice.
Pas besoin d’anatomie, en revanche, pour comprendre que Ludivine Sagnier s’est fourvoyée dans la tambouille gnangnan de Fabienne Berthaud. Pieds nus sur les limaces. Ce qui se voudrait un éloge des fantaisies puériles de Lily, espèce d’enfant sauvage n’ayant jamais grandi, n’est qu’une injonction niaiseuse à sortir du moule répressif de la société. Passons.
Plus excitant, The Tiger Factory de Woo Ming Jin. C’est riant comme du Bresson un jour de pluie, ça chausse parfois des gros sabots. Mais on n’oubliera pas Ping, cette fille mutique et opaque, ballottée dans un monde où la vie – le sperme des porcs de l’élevage où elle travaille, les nourrissons dont sa tante fait le trafic – n’est qu’une marchandise.
On passe des cochons au BTP avec Nostra Vita, le mélo nerveux et intelligent de Daniele Luchetti. L’histoire de Claudio, ce maçon à l’exubérance toute italienne qui a perdu sa femme en couches a la saveur des vieilles tragédies. C’est la révélation qu’il y a toujours une menace sous les apparences du bonheur, une part de faute sous les meilleures intentions – dure leçon que le film résume d’une image magistrale, celle d’un cadavre enseveli en douce sous un immeuble en chantier. La fièvre de l’immobilier, sur la Côte d’Azur, semble même avoir contaminé le Festival.