Premier tour de piste du marathon cannois – et on a déjà élu notre mascotte : rien moins qu’un magnifique émeu, aperçu dans Chongking Blues. Les dandinements de la drôle de bête, kidnappée dans un zoo, devraient, on l’espère, plaire à Tim Burton, grand amateur de bestiaires incongrus.

Le dernier opus de Wang Xiaoshuai, habitué de Cannes depuis So Close to Paradise en 1999 et fer de lance des quarantenaires indociles du cinéma chinois, est un triste retour au bercail. Lin, marin, coutumier des absences prolongées, a définitivement rompu les amarres avec un précédent mariage – jusqu’au jour où la nouvelle de la mort de son fils, Linbao, le ramène à Chongqing.

Manifestement Wang Xiaoshuai a fait une cure d’Antonioni. Chongqing Blues est un Blow Up made in China : le père tente de retrouver les traits de son fils en agrandissant une capture d’écran jusqu’à la rendre illisible, comme la photo du film de l’Italien. Mais l’image, icône stérile d’une obsession, ouvre aussi une voie au-delà du temps et de la mort. De flashbacks en flashbacks, la vie de Linbao se recompose, film en miettes où apparaissent ses frasques, comme l’émeu « emprunté », mais, aussi, sa solitude poignante.

Damien Aubel
Damien Aubel, envoyé spécial du magazine Transfuge au Festival de Cannes

Chongqing Blues, c’est le film d’un cinéaste-magicien, qui sait que l’image a le pouvoir de rappeler d’entre les morts. Ce que Manoel de Oliveira, le vieux sage de Cannes, insolemment vert pour ses cent-trois ans, ne démentirait pas. L’Etrange Affaire Angélica est d’abord un conte fantastique de la plus belle eau. Isaac, ce photographe qui voit le visage d’une trop belle morte s’animer sur les clichés post-mortem, pourrait effectivement sortir de chez Poe.

Mais pas question de se prendre au sérieux. On a, comme d’habitude chez Oliveira, l’impression de se balader dans les recoins d’un tableau de maître, baigné de lumières et d’ombres à faire pâlir le Louvre – sauf que c’est l’œuvre d’un doux dingue, amateur d’absurde. Car à vivre dans l’obsession de son beau fantôme, Isaac est aussi touchant qu’il est emprunté : quelqu’un chose comme un Buster Keaton portugais. Et dans les rires qu’on entend ici et là dans la salle, on perçoit une note d’incrédulité – Oliveira, réputé « difficile », sait être frais et bon enfant. C’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes – et dans les vieux portos les meilleurs films.

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