Jouer. Surjouer. Rejouer. Déjouer. Trois dangers pour une activité: la lecture publique.
En effet, il est désormais entré dans les moeurs de se livrer à cette activité, au fond d’heureuse vulgarisation, qui consiste à proposer à un public élargi d’entendre -à défaut de le fréquenter lui-même- un texte, souvent majeur. Faire connaître -et faire reconnaître, ce qui double le plaisir.
Lire Proust n’est pas aisé: l’écrivain est maintenant devenu bien commun -bien trop commun? En tout cas, c’est l’exercice auquel se livrent des acteurs aussi confirmés que Xavier Gallais, Romane Bohringer ou Michael Lonsdale. Evidemment, il ne faut pas bouder son plaisir: entendre exprimer la substantifique moelle d’un texte connu, révélées les possibilités interprétatives du texte, tout cela est fort plaisant. Et la vivacité de Romane Bohringer, notamment, est admirable -il en faut pour rendre la sournoiserie des Verdurin…
« Jouer » Proust: pourquoi pas? Mais mieux encore, « déjouer » Proust. Et c’est ce à quoi se livre Michael Lonsdale: hésitant sur certains passages, en mêlant d’autres, il manifeste clairement, avec sa voix vieillie d’enfant, la merveilleuse réunion de la « Recherche ».
Celle qui fait qu’un homme, sur le couchant de sa vie, retrouve sa jeunesse par le Livre. Que, comme dirait Eliot, « in my end is my beginning ». Le narrateur retrouve sa jeunesse dans « Le Temps retrouvé », qui donne précisément lieu à la naissance de « Du côté de chez Swann », selon une superbe structure en boucle. Michael Lonsdale lit les passages de l’enfance.
Peut-on trouver meilleur symbole du fait que littérature et jeu se retrouvent, que l’acteur est un auteur?