Il y a quelques jours, je suis tombé dans une assemblée de fous, tenue dans une grande maison de fous.
Il y en a des centaines de ces maisons dans Paris et des milliers de nos semblables s’y assemblent chaque septième jour de la semaine, sans qu’on s’avise vraiment qu’ils sont fous, au sens clinique et plus encore de la psychanalyse. Le paradoxe est que, dès qu’ils quittent ces maisons où leur folie se donne libre cours, ils redeviennent « normaux », comme vous et moi, et leur folie s’évanouit sur le champ. Très étrange phénomène, en vérité. En outre, je vous rassure tout de suite, pendant ces moments où leur raison s’égare, ils ne sont absolument pas dangereux (ils le furent jadis, quand ils étaient mille fois plus nombreux qu’aujourd’hui et dix fois plus fous encore : la terre, pour eux, était plate, le soleil lui tournait autour, Ptolémée et Aristote avaient tout dit de l’univers et de la nature, l’homme était apparu 3700 ans avant Jésus-Christ ; et tout le reste à l’avenant. Et gare à qui disait le contraire. Tous ces fous le décrétaient…fou !).
Une messe, donc, se tenait pour la mort d’une amie italienne dans une église derrière la rue de Rivoli, à Paris, où Yves Saint-Laurent et tant d’artistes reçurent les derniers sacrements. Un prêtre tenait sur la mort des propos, à la lettre, délirants, en gros qu’elle n’existait pas. Et l’assemblée, nombreuse, fort bourgeoise et bien mise, saine, apparemment, d’esprit, approuvait, sans jamais broncher, à grand renfort d’amens répétés. La morte était là, son cercueil exposé aux yeux de tous, nul n’en disconvenait, mais la mort, elle, n’existait pas. Effacée, niée. La morte était, certes, morte, mais en apparence seulement. Son corps seul s’était éteint, c’est-à-dire, si j’ai bien compris, une chose de peu de valeur et strictement transitoire. Le reste (l’âme, si, là encore, j’ai bien compris, c’est-à-dire, semble-t-il, quelque chose comme la conscience, pour ces gens-là), non seulement, n’était pas mort, mais, mieux encore, ne pouvait pas mourir, et mieux encore de mieux encore, allait continuer à vivre, et pour toujours, auprès d’un Être Tout-Puissant, Omniscient, un Père formidable. L’homme qui tenait ces discours, à la lettre, délirants, appelait cela la résurrection, et citait, à l’appui de ses assertions, le cas d’un fils de ce Dieu tout-puissant (Dieu, un fils ! Ces gens-là, d’une inventivité folle, sans limite, étaient véritablement complètement dingues) qui ressuscitait les morts, à commencer par un nommé Lazare. L’assemblée ne bronchait toujours pas et même moins que jamais. Dieu tout-puissant ; fils de Dieu ; résurrection des corps ; morte pas morte : tout passait comme une lettre à la poste. C’était fou, surréaliste, atterrant. L’amie morte survivrait éternellement dans l’ailleurs. Tout relevait du plus pur wishfullthinking. Toutes ces croyances, cela va sans dire, ne reposaient sur le moindre début du commencement de preuve matérielle ou autre, chose que, sans sourciller le moins du monde, le prêtre reconnaissait très tranquillement, … comme étant la nature même en même temps que la preuve de leur fondement ! C’est parce que rien de tout cela n’était fondé en réalité, que cela était vrai en esprit ! Admirable tour de passe-passe.
Tout, ai-je fini par comprendre tant l’officiant le martelait de bout en bout de cette cérémonie pathétique et absurde, tout reposait sur la dénégation de la mort. Tous refusaient qu’elle soit telle, qu’elle existe toute nue, brutale, finale, terminale. Des gens comme eux, comme nous tous, pauvres humains, pauvres « mortels » que nous sommes, ne pouvaient pas, ne devaient pas mourir. Non, refus catégorique ! Moi, homme, je ne veux pas, donc je ne peux pas, mourir. Et pour cela, ils invoquaient ce Dieu contre la mort, qui les sauverait de la mort, l’appelaient, à toutes fins utiles, le Sauveur, lui prescrivant expressément cette dite-tâche, le créaient, le recréaient semaine après semaine, de toutes pièces, le missionnaient contre la mort et, pour ce faire, le décrétaient éternel. Bref, il était ce qu’ils rêvaient d’être : éternels. En un mot, il était leur idéal du moi.
Cette dénégation paranoïaque de la mort, cette schize sont, plus que jamais au principe de cette psychose collective qu’est le sentiment religieux, ou ce qu’il en survit. Le dernier rempart du religieux, maintenant que l’histoire sainte, les miracles, les mystères, l’immaculée conception, sont tenus par les croyants eux-mêmes pour d’aimables fictions, est, bel et bien, ce refus de la mort. Plus la vie croit, plus l’espérance de vie s’allonge, plus les limites de la mort seront repoussées, moins la mort sera précoce et « naturelle », et plus elle fera scandale. À ce seul et ultime titre, l’Illusion majeure de ceux, innombrables, qui n’entendent pas mourir, reste, oui, promise à un bel avenir.
Je suis ravi d’être traité de psychotique et de dénégateur paranoïaque à cause de ma foi.
Que M. Hertzog ne se fasse pas beaucoup d’illusion, » l’histoire sainte, les miracles, les mystères, l’immaculée conception » ne sont pas tenus pas mes frères et soeurs dans le Christ pour des affabulations. Du moins en est-il ainsi pour les véritables catholiques.
En entendant ce sermon sur la mort, M. Hertzog a mis le doigt sur ce qu’on appelle un paradoxe. Eh oui! Il découvre le scandale du paradoxe. Malheureusement, il n’a pas dû expérimenter beaucoup de paradoxes dans sa vie. S’il en avait expérimenté, il aurait observé que très souvent, ce qui paraît naturel — la mort par exemple, s’avère en réalité faux. C’est dommage pour sa vie spirituelle. Je donne quelques exemples : on croit souvent qu’en se pressant on gagne du temps. Et pourtant quand on fait les choses calmement on est beaucoup plus efficace. Un autre : on pourrait penser que plus quelqu’un est riche, plus il est généreux. Erreur! Qui a voyagé dans des pays pauvres sait bien que ce sont les pauvres qui sont les plus généreux. Un dernier : on pense peut-être que les chrétiens attendent la vie éternelle en vivant la frustration sur terre par une morale sévère. Eh bien non! La vie éternelle commence dès ici-bas, et c’est par une vie réglée par une morale saine et surtout par l’union d’amour à Dieu qu’elle se déploie.
Bien sûr, moi qui ai la foi, à ma mort, je découvrirai la vraie vie, qui est sans comparaison possible plus belle que la vie terrestre que pourtant j’aime énormément. Nous chrétiens nous sommes citoyens des cieux! Alléluia!