Alexis Lacroix : Vous êtes en direct de chez vous, à Barcelone. Commençons, si vous voulez, par évoquer la situation sanitaire et sa gestion. Comment jugez-vous la réponse globale des grandes démocraties occidentales à ce séisme sanitaire de grande ampleur et presque sans précédent depuis la grippe espagnole des lendemains de la Première Guerre mondiale ?

Manuel Valls : Grippe espagnole qui, je dois le dire d’où je parle, porte mal son nom, puisqu’elle n’est pas d’Espagne. Mais c’est une pandémie et, vous avez raison, sans commune mesure avec ce que le monde a connu depuis, autant pour le nombre de gens touchés par ce virus et le nombre de morts qu’elle cause, que pour les conséquences qui malheureusement sont à venir. Aucun grand pays, aucun État, aucun gouvernement dans le monde occidental n’était préparé à faire face à une épidémie qui, obligeant les citoyens à se confiner, a paralysé pendant plusieurs semaines notre industrie, notre économie, les activités touristiques, culturelles, et qui nous a empêché d’exercer notre liberté fondamentale d’aller et venir. Nous étions préparés aux pandémies que nous avons dû affronter par le passé, avec des protocoles qui prévoyaient des fermetures, des confinements partiels au niveau d’un territoire, d’un quartier, d’une ville, mais jamais à ce niveau-là. C’est pourquoi, même s’il faudra bien sûr revenir sur ce qui s’est passé pour en tirer toutes les leçons qui s’imposent afin d’affronter demain d’autres défis de ce type, je trouve les procès, les accusations, les mises en cause auxquelles on assiste aujourd’hui sont un peu faciles.

Aucun gouvernement dans le monde occidental n’était préparé à faire face à cette pandémie. Il faudra, bien sûr, revenir sur ce qui s’est passé pour en tirer toutes les leçons qui s’imposent, mais les procès auxquels on assiste aujourd’hui sont un peu faciles.

Alexis Lacroix : Vous venez de faire référence à un certain nombre de procès qui vont avoir lieu, qui commencent à avoir lieu, et qui mettent en cause des institutions de la République en France. Face à cela, le philosophe Alain Finkielkraut déclarait, il y a trois jours, sur I 24, que cela lui paraissait particulièrement insupportable de mettre en cause les institutions de la démocratie française. Partagez-vous son sentiment ?

Manuel Valls : Mettre en cause les institutions, bien sûr que c’est insupportable. Il faut évidemment faire attention à tout ce qui, à l’occasion de cette crise, de ce drame, est utilisé pour remettre en cause la démocratie, sur fond, d’ailleurs, d’une crise de confiance – une crise qui est profonde et qui ne date pas d’hier. Ensuite, nous sommes dans une démocratie, et le rôle du Parlement, de la presse et même de la justice, c’est de faire toute la vérité, avec la plus grande transparence possible, sur ce qui s’est passé, pour qu’il n’y ait pas de zones d’ombre, susceptibles d’alimenter les théories du complot. Mais Alain Finkielkraut a raison : nous devons également faire attention à tout ce qui, derrière des démarches qui semblent relever du bon sens, peut être, sous une forme ou une autre, une remise en cause de notre démocratie. Les responsables politiques doivent toujours répondre de leurs actes, et des impréparations ; et il y a eu dans tous les pays les mêmes débats sur les masques, sur les respirateurs, sur l’état des hôpitaux, sur une réaction tardive – même si, je le répète, c’est évidemment plus facile à dire aujourd’hui qu’il y quelques mois. Il est normal qu’il y ait débat, mais cela ne doit pas être l’occasion d’une remise en cause de nos démocraties.

Il faut faire attention à tout ce qui, à l’occasion de cette crise, de ce drame, est utilisé pour remettre en cause la démocratie.

Alexis Lacroix : Vous êtes connu pour votre parler vrai, votre franchise. Avez-vous le sentiment qu’en France, pays que vous avez gouverné pendant plusieurs années, il y a eu une sous-estimation globale de la nécessité de garder des masques intacts et à disposition en cas de déferlement d’une pandémie ?

Manuel Valls : Bien sûr qu’il y a eu une sous-estimation. Le même débat a lieu en Espagne, ou en Allemagne. Il a même eu lieu en Israël, pays pourtant bien préparé à affronter des défis qui obligent à une réaction collective. 

Nous avons sans doute manqué de matériel, notamment dans la première phase, pour les soignants. Mais je veux aussi retenir que l’hôpital –   dans divers pays, mais particulièrement en France –, qui a été soumis à une extraordinaire pression, notamment dans le Grand Est et en Ile-de-France, a tenu grâce aux soignants, grâce à notre système. Il y a eu un moment où les services de réanimation pouvaient être débordés, c’est d’ailleurs pour cela qu’on a confiné les Français ; mais le système a tout de même tenu bon. La réaction de l’État pour aider les entreprises, surtout les salariés, à travers le chômage partiel, qui touche à peu près 10 millions de personnes, a, elle aussi, été d’un niveau exceptionnel. Je sais bien qu’en France, on aime toujours tout critiquer et remettre en cause, mais regardons aussi ce qui a fonctionné. Bien évidemment, nous savons qu’il faudra mettre beaucoup plus d’argent, soutenir davantage notre système hospitalier et les personnels sanitaires – d’où les débats et les propositions, notamment pour réévaluer les carrières, augmenter les salaires, réorganiser l’hôpital. Je fais confiance au gouvernement d’Emmanuel Macron et d’Édouard Philippe, et à Olivier Véran, pour aller dans ce sens. Ces mêmes débats ont lieu partout, et pas seulement en France. Les inquiétudes, et les critiques exprimées par les citoyens, dans chaque pays, sont légitimes ; mais faisons attention à ne pas tout remettre en cause.

Nous sommes dans une démocratie, et le rôle du Parlement, de la presse et même de la justice, c’est de faire toute la vérité, avec la plus grande transparence possible, sur ce qui s’est passé, pour qu’il n’y ait pas de zones d’ombre, susceptibles d’alimenter les théories du complot.

Alexis Lacroix : Est-ce que vous avez le sentiment que « le monde d’après » – comme il est désormais de coutume de dire – se dessine, en France mais aussi en Espagne, dans un sens qui est celui du retour de l’État fort, du retour de ce que, chez les économistes, on appelle le keynésianisme, en référence à Keynes ? 

Manuel Valls : L’idée que l’État soit fort, qu’il y ait des services publics puissants, qu’ils exercent leur solidarité, est une tradition française, et c’est tant mieux ; le républicain que je suis ne peut que se réjouir de cela. 

Cette brutale crise économique et sociale, qui survient sur le terrain préalable d’une crise de confiance, peut donner naissance à des mouvements populistes, et à des théories du complot susceptibles de ravager nos démocraties.

Alexis Lacroix : On était allé trop loin, monsieur le Premier ministre, dans la voie du néolibéralisme ces dernières décennies ?

Manuel Valls : Dans les années 2000 – mais cela avait commencé avant, avec la vague impulsée par Reagan ou Thatcher –, il y a eu un mouvement qui a beaucoup touché l’Europe et les institutions européennes, notamment sous la Commission Barroso. Ce qui a fait le succès d’un François Bayrou, par exemple, et à juste titre, c’est la critique des déficits publics et de l’endettement. Les Français eux-mêmes étaient et restent sans doute toujours inquiets du niveau de la dette publique, parce qu’ils savent que, d’une certaine manière, ce sont eux qui les paient, ou que ce seront leurs enfants ou leurs petits-enfants qui les paieront. Les gouvernements ont donc dû aussi veiller à bien gérer, ou à mieux gérer, les deniers publics. Mais moi je suis convaincu que la France, qui est une nation construite par l’État, a besoin d’un État, et d’un État efficace, d’un État stratège capable de voir loin, et aussi d’un service public, à condition qu’il soit réorganisé et efficace. Le problème de l’hôpital, par exemple, n’est pas seulement celui du niveau des salaires des infirmiers ou des aides-soignants, c’est aussi celui de sa réorganisation et des effets assez négatifs de la mise en œuvre des 35 heures il y a déjà quelques années. Cela aussi nécessite une organisation. Mais si l’on établit une comparaison, 85 % des enfants de l’école primaire, en France, fréquentent l’école publique, alors qu’en Espagne, dans une ville comme Barcelone, 60 % des enfants sont accueillis dans des écoles privées sous contrat. Les pays n’ont pas les mêmes traditions. L’idée d’un État stratège efficace, proche des gens, doit être récupérée. Le monde de demain ne sera pas forcément meilleur que celui d’avant – je l’espère, mais cette brutale crise économique et sociale, qui survient sur le terrain préalable d’une crise de confiance, peut donner naissance à des mouvements populistes, et à des théories du complot susceptibles de ravager nos démocraties.

Je trouve qu’il y a une forme d’indécence à parler des personnes ou de la petite politique face à ce que viennent de subir les Français et les peuples d’Europe et du monde, qui, de manière générale, se sont comportés avec beaucoup d’abnégation et de discipline.

Alexis Lacroix : On sait que le président de la République réfléchit à d’autres formes de gouvernementalité, peut-être même à un nouveau Premier ministre. Est-ce que, par exemple, quand il songe à Bruno Le Maire, cela vous paraît une bonne éventualité ?

Manuel Valls : Il m’est très difficile de commenter cela. Mais je pense que le problème des personnes, du casting, n’est pas essentiel – et ce n’est pas de la langue de bois. Le plus important aujourd’hui, c’est d’abord de sortir de la crise sanitaire. Car nous n’en sommes pas sortis, nous n’avons pas de vaccin, le virus se propage encore, il y a encore – même s’ils sont beaucoup moins nombreux – des morts tous les jours. La question de la rupture de solidarité avec nos anciens est également un problème prioritaire auquel la France doit faire face – c’est aussi le cas en Espagne ou en Grande-Bretagne. 

Il nous faut ensuite nous préparer à affronter les conséquences de la crise économique et sociale qui en découle, avec des niveaux de chômage et de pauvreté insupportables. Il importe également que le Président de la République définisse, pour les années à venir, une stratégie quant à la souveraineté européenne sur le plan industriel et sanitaire, à la récupération d’un État davantage solidaire, et à la transition écologique, qui reste toujours fondamentale. Il s’agit, au fond, de redéfinir les priorités, non seulement pour le quinquennat, mais pour le pays. La question des personnes, des hommes et des femmes qui mettront en œuvre cette stratégie, est secondaire. Je trouve qu’il y a une forme d’indécence à parler des personnes ou de la petite politique face à ce que viennent de subir les Français et les peuples d’Europe et du monde, qui, de manière générale, se sont comportés avec beaucoup d’abnégation et de discipline.

Alexis Lacroix : Vous êtes très attendu sur la Fréquence juive ; nombre d’auditeurs ont fait part de leur joie de vous y entendre ce matin, et dit que vous manquiez à la France, et en particulier aux Juifs de France. Avez-vous un message spécifique à leur adresser ?

Manuel Valls : De nombreux responsables politiques ont fait preuve de cécité lorsque les actes antisémites se sont multipliés, à la fin des années 1990 et surtout au début des années 2000, quand la haine du Juif s’est mélangée avec celle de la haine de l’État d’Israël, antisionisme rimant alors avec antisémitisme. Le message doit être celui de la confiance. Il faut rester vigilant, parce qu’on voit bien que dans ce monde si connecté qui est le nôtre, on cherche toujours des boucs émissaires. Dans l’histoire, les grandes pandémies ont souvent montré du doigt les Juifs comme les propagateurs des virus et des épidémies ; c’est la base même de l’antisémitisme et des théories complotistes. Il faut donc être exigeant dans le combat contre cet antisémitisme qui se propage notamment sur les réseaux sociaux. Mais je martèle toujours le même message de confiance : la France a besoin de cette part de judaïsme, elle a besoin des Français juifs, elle a besoin de ce rapport incroyable, inouï avec cette part d’elle-même, de son âme, qu’est aussi le judaïsme français.

Si je peux aider en France, d’une manière ou d’une autre, par l’expression, par l’écriture, par le conseil, je le fais et je le ferai bien volontiers.

Alexis Lacroix : Beaucoup se souviennent avec émotion du discours dans lequel vous disiez que la France sans les Juifs ne serait plus la France ; et, pour beaucoup de Français juifs, votre nom est associé au combat sans relâche que vous avez mené contre les conspirationnistes Dieudonné et Soral. Avez-vous le sentiment qu’aujourd’hui, on a suffisamment pris la mesure du danger qu’ils représentent sur le Net, par exemple autour de l’exploitation de l’antisémitisme dans la crise du COVID-19 ?

Manuel Valls : Je ne sais pas. Je vois que la justice agit. Il est essentiel de ne rien laisser passer. Cette « alliance » – je mets des guillemets – entre une partie de l’extrême droite et une partie l’extrême gauche, entre un néonazisme à la Soral et des personnages qui viennent plutôt de la gauche – même si tout cela ne veut pas dire grand-chose –, est extrêmement malsaine, inquiétante. Elle doit être combattue, et d’abord par le droit, par la justice, puisque, il faut en permanence le rappeler, le racisme et l’antisémitisme ne sont pas des opinions, ce sont des délits. Je pense qu’on sous-estime toujours la puissance de Dieudonné. Quand j’ai saisi le taureau par les cornes comme ministre de l’Intérieur et l’ai mis en cause à partir de 2013 – d’autres l’avaient fait –, j’ai pu mesurer sa violence et son influence dans de nombreux milieux. On a souvent parlé du nouvel antisémitisme venant de la jeunesse des quartiers populaires, d’une frange, minoritaire, bien évidemment, du monde arabo-musulman ; mais la force de Dieudonné, c’est qu’elle touche d’autres couches de la société et l’on a parfois pris cela à la légère. Quand je me suis représenté en 2017 une dernière fois pour être élu, et je l’ai été, mais de peu, député d’Evry, Dieudonné s’est lui aussi présenté à cette élection législative, et il a été traité par la presse comme un candidat comme les autres. Il a fait beaucoup de mal dans la société ; et l’absence de réaction, le fait que parfois je me suis senti seul, a montré, je crois, que l’on ne prenait pas en considération ce qu’il représentait. Il faut combattre cet antisémitisme. L’antisémitisme est toujours annonciateur de toutes les grandes catastrophes. Mais je pense que la République, le gouvernement actuel, les grands partis politiques et les parlementaires en sont parfaitement conscients.

Je ne suis pas nostalgique, je n’ai pas de rancœur, j’essaie de ne pas vivre avec des regrets. Je suis très heureux de vivre entre l’Espagne et la France.

Alexis Lacroix : Nombreux sont ceux qui regrettent que vous ne soyez plus engagé dans la vie publique française. Votre choix de donner la priorité à la part espagnole de votre identité est-il aujourd’hui un choix irréversible ?

Manuel Valls : Il ne faut jamais être définitif. C’est un choix personnel. Je ne suis pas nostalgique, je n’ai pas de rancœur, j’essaie de ne pas vivre avec des regrets. Je suis très heureux de vivre entre l’Espagne et la France. En France, j’ai mes enfants, ma mère, mes amis, mes attaches, je suis un patriote français, je me définis comme un républicain de gauche français et je ne veux en aucun cas oublier la France, ce qu’elle m’a apporté, bien sûr, mais aussi mes responsabilités. Si je peux aider en France, d’une manière ou d’une autre, par l’expression, par l’écriture, par le conseil, je le fais et je le ferai bien volontiers. Mais je suis aussi profondément européen, et, au fond, ce qui se passe en Espagne, en France, dans les autres pays – l’attente par rapport à l’initiative franco-allemande, etc. –, me donne l’occasion de m’exprimer sur des sujets qui m’éloignent de la vie politique quotidienne. Je continue à mener mon combat contre l’antisémitisme en France, et je le mène aussi en Espagne, parce qu’ici, bien qu’il y ait eu 1492, il n’y a pas de conscience de cette question. L’Espagne n’était pas impliquée dans les deux guerres mondiales, le rapport à la Shoah n’est absolument pas le même qu’en France, et pourtant il y a un antisémitisme banal, dirais-je, un antisémitisme traditionnel, qui existe aussi dans la gauche. Je combats par exemple les prises de position du parti Podemos, pas très éloignées de celles des Insoumis, dont les critiques d’Israël dérapent très vite vers l’antisémitisme. Et puis je continue de penser que l’Europe doit créer les conditions d’une grande alliance avec Israël, la seule démocratie du Proche et du Moyen-Orient, avec laquelle nous partageons des valeurs et des intérêts stratégiques dans bien des domaines.

Je combats les prises de position du parti Podemos, pas très éloignées de celles des Insoumis, dont les critiques d’Israël dérapent très vite vers l’antisémitisme.

Alexis Lacroix : Votre parole sur cette question est importante, notamment dans un contexte où l’Europe fait entendre des avertissements à l’annonce, par Israël, de la probable annexion de cent trente implantations et des rives du Jourdan. Qu’en pensez- vous ? Cela relève-t-il du rôle de L’Europe ou bien outrepasse-t-elle ses droits en lançant ces avertissements ?

Manuel Valls : L’Europe doit jouer son rôle, notamment quand il s’agit de rappeler un certain nombre de principes et de règles du droit international. Mais ce qui me paraît le plus important, c’est de sortir du langage diplomatique, qui est totalement daté : « revenir aux frontières de 1967, les Palestiniens ont droit à un État viable, Israël a droit à sa sécurité, Jérusalem doit être la capitale des deux États… » Ces mots sonnent peut-être bien aux oreilles, mais ce type de discours est totalement inefficace et ne correspond plus à la réalité.

Alexis Lacroix : Un certain nombre de personnes dans le spectre politique israélien préparent déjà ce scénario dans lequel il y aurait, au fond, une coexistence possible dans un futur État binational – c’est en tout cas une hypothèse qui est évoquée de plus en plus au sommet de l’Etat israélien. L’État binational constitue-t-il selon vous un danger pour le sionisme, pour son histoire, pour ses idéaux et pour l’intégrité de l’État juif ?

Manuel Valls : De nombreuses questions se posent. Il faut peut-être se saisir – je reconnais que ce n’est pas facile – du plan proposé par Donald Trump pour passer à autre chose et, d’une certaine manière, pour tenir compte de la réalité, non seulement de la réalité géographique, territoriale, mais aussi des évolutions de ces trente dernières années. Le Proche et le Moyen-Orient ont totalement changé, et pas seulement après la chute du mur de Berlin. Le rapport entre Israël et les pays arabes sunnites n’est absolument plus le même. Le grand danger pour la région, pour tous ces pays, c’est l’Iran ; mais aussi la confrontation entre différentes grandes et vieilles nations (la Turquie, l’Iran), la présence russe, et le retrait progressif américain – nous l’avons vu en Syrie notamment, avec le refus d’Obama, en 2013, de bombarder les sites stratégiques du régime syrien. Il y a donc eu de profonds changements. Je crois qu’il faut saisir ce plan pour dialoguer en envisageant de nombreuses perspectives, parce qu’évidemment, le dialogue est indispensable. Jérusalem est la capitale d’Israël ; c’est une réalité qu’Israël connaît depuis des années et il faut en tenir compte. Cette reconnaissance, d’une manière ou d’une autre, va aller de soi, il faudra en passer par là. Je pense qu’il faut un État palestinien, parce que sinon, les défis qui se poseront à l’État israélien seront insurmontables. Comment l’organiser dans ce qui, aujourd’hui, n’est pas un État au sens classique du terme ? Il faut donc que les Palestiniens se saisissent de cette occasion. Ce n’est pas facile pour eux, notamment parce qu’ils sont dans une situation politique extrêmement complexe. Mais tout n’est pas à rejeter dans le plan Trump. Et l’Europe aussi doit être capable d’évoluer et de se saisir de cette nouvelle donne dont la marque, au fond, c’est la réalité sur le terrain. Jérusalem sera la capitale d’Israël ; il y aura des implantations qui ne seront pas démantelées, et Israël assumera et assurera toujours sa sécurité, notamment sur la vallée du Jourdain. Par ailleurs, il ne faut pas humilier le peuple palestinien. Il faut aboutir à une solution qui n’est pas celle dont on rêvait ou dont ils rêvaient il y a quelques années ou quelques décennies ; mais il faut tenir compte de la réalité, et aussi de la réaction des pays arabes, des pays du Golfe, pour lesquels la situation géostratégique n’est plus la même et la question palestinienne n’est plus la priorité première.

Alexis Lacroix : Merci pour la précision et aussi le franc parler de vos analyses. Qu’est-ce qu’Israël représente pour vous ?

Manuel Valls : Énormément de choses. C’est une terre où résonne l’histoire d’où nous venons. Au-delà des paysages, du soleil, de la mer, du désert, de la mer Morte, il y a Jérusalem. À Jérusalem, on vit quelque chose d’inouï, qu’on ne retrouve nulle pas ailleurs, quelque chose qui me touche profondément, parce que nos civilisations, notre civilisation vient aussi de là, et ce mélange de religions et d’origines est tout à fait exceptionnel. Ce que j’aime en Israël, c’est l’optimisme. Dieu sait que c’est difficile, il y a la guerre, la menace, le terrorisme, une situation économique compliquée ; il y a aussi la pauvreté, le libéralisme a marqué Israël, mais il y a également une volonté de s’en sortir. Les Israéliens sont un peuple qui a toujours un projet, qui voit loin. Bien sûr, il y a des femmes et des hommes qui sont engagés dans l’armée et qui défendent ce pays ; mais ce n’est plus l’Israël de 1948, des kibboutz, de l’après-Shoah, c’est autre chose, et c’est ce dynamisme, cet optimisme, cette foi dans l’avenir qui donnent à ce pays une force particulière, qui fait parfois défaut dans la vieille Europe.

L’UE peut, je crois, sortir de l’histoire si elle n’est pas capable d’être solidaire, de changer, d’être plus forte, moins naïve…

Alexis Lacroix : Je sais que c’est une question évidemment très vaste, mais, d’après vous, comment relancer l’Europe ? Cela relève-t-il plutôt d’un axe méditerranéen, avec l’Espagne, la France et l’Italie, ou du fameux moteur ou couple franco-allemand qui a d’ailleurs déjà ses passeurs, comme Daniel Cohn-Bendit, ou des deux ?

Manuel Valls : Un peu tout cela à la fois. La Méditerranée et l’Afrique, parce que l’Afrique est le continent de demain sur les questions migratoires, sur la jeunesse, sur les investissements. La population de ce grand continent si proche va doubler, tripler en très peu de temps. C’est donc l’horizon de l’Europe. Mais je pense que le débat européen ne doit pas être uniquement un débat Nord-Sud ; c’est pour cela que l’alliance franco-allemande – le moteur franco-allemand, comme on dit –, est essentiel. Cela ne résout pas tout – on le voit bien, à vingt-sept – mais c’est essentiel. L’institution qu’est l’Union européenne peut, je crois, sortir de l’histoire si elle n’est pas capable d’être solidaire, et aussi de changer, d’être plus forte, moins naïve, plus souveraine dans le domaine alimentaire, dans le domaine des médicaments, dans le domaine de l’industrie, dans l’utilisation de ses finances, dans le rôle de la Banque centrale européenne, qui a beaucoup évolué grâce à Draghi et désormais grâce à Christine Lagarde. C’est cette Europe-là qui doit être une Europe puissante et souveraine, une Europe qui est une union, une fédération d’États-Nations, mais une union au service des peuples et des pays. Moi, je crois aux États, aux nations ; les frontières ne disparaissent pas. C’est pour cela que l’initiative franco-allemande, Merkel-Macron, a été très importante. Reste maintenant à convaincre les autres pays.

L’Afrique est le continent de demain sur les questions migratoires, sur la jeunesse, sur les investissements. […] C’est donc l’horizon de l’Europe. 

Alexis Lacroix : La souveraineté européenne reste-t-elle pour vous un horizon indépassable dans les années qui viennent ?

Manuel Valls : Dans le monde d’aujourd’hui et de demain, face à la guerre commerciale et politique entre la Chine et les États-Unis, face à la Chine qui veut aussi – ne soyons pas naïfs – conquérir une partie de ce monde, face aux défis de l’Afrique dont je parlais, oui, l’Europe doit être forte, pour défendre nos valeurs et la démocratie. Seuls, nous ne pourrons rien. La France a son mot à dire, un message toujours très puissant, des valeurs universelles à défendre, mais oui, l’Europe reste pour moi un horizon indépassable dans lequel nous affirmons, à travers elle, notre souveraineté, notre civilisation et nos valeurs démocratiques.

L’Europe doit être forte, pour défendre nos valeurs et la démocratie. Seuls, nous ne pourrons rien.


Avec l’aimable autorisation de Judaïques FM.

4 Commentaires

  1. Tous les voisins d’Israël projettent sa destruction.
    Israël ne projette la destruction d’aucun de ses voisins.
    Il n’y a qu’un cas de figure dans lequel le positionnement stratégique des États antisionistes serait justifiable : si l’État juif représentait une menace existentielle pour les peuples non juifs habitant la zone géographique au cœur de laquelle réside son foyer national.
    Le peuple juif pose aux populations des territoires improprement nommés palestiniens un problème insoluble dès lors qu’il appuie sur la nature même du syndrome qui les atteint, un trouble identitaire censé leur attribuer une fonction stratégique suprême sur la tête de pont du Califat universel mais qui, au fil des siècles, se révélera préjudiciable aux otages d’une colonie de peuplement prise à une succession d’imposteurs carabinés.
    Les Palestiniens doivent à présent choisir entre conserver ou abandonner l’identité nationale, historique, mythologique — c’est à eux de voir… — qu’ils embrassèrent en se glissant dans les lointaines destinées des Pelishtîm. S’ils décident de s’ancrer dans leur objet de fixation narcissique, ils s’installeront naturellement sur la terre de Pelèshèt où les historiens antiques, médiévaux, classiques et modernes situent le foyer national du Peuple de la mer que les Palestiniens de l’après-guerre furent sommés d’adopter comme ancêtres mythiques. Ça tombe bien, Sharon la leur a restituée ! Si d’aventure ils préféraient récupérer leurs racines turques, arabes, perses ou babyloniennes, c’est aussi simple. Il suffirait qu’ils montent dans le premier avion en partance pour les ciels de leurs ancêtres respectifs, au cas où l’idée de s’intégrer au sein d’un État non islamique leur procurerait une réaction allergique trop insoutenable.
    Voyez-vous, les régimes qui préméditent l’assassinat du peuple juif ne se trompent pas sur un point : Israël fut, dès son avènement, traîné par eux dans le torrent de boue sanglante d’une lutte à mort ; une guerre sans fin, du moins en apparence, car toute guerre finit un jour ou l’autre par déboucher sur une ère de paix, que celle-ci soit parvenue ou non à obtenir un consentement de ceux des belligérants qui, en vue de son instauration, auront eu à endurer, à raison de leur déraison, un inescamotable effort de renoncement.
    Les récepteurs de la Tora ne poursuivent pas, contrairement aux nations qui leur disputent leur titre, des objectifs totalitaires, expansionnistes, impérialistes. Ils seraient plutôt du genre à se méfier des tentatives de domination autodéificatrices, et ce, depuis qu’un couple imprimordial fut chassé d’un jardin sans doute plus voltairien qu’il n’y parut.
    Bien qu’il se soit confiné telle une larve improductive dans une posture attentiste, et donc attentatoire à son propre droit, en ce que celle-ci offre à ses membres les plus malveillants toute latitude pour généraliser la pratique de la navigation en eaux troubles, le continent sur lequel fut mis en œuvre la Shoah ne doit pas perdre de vue qu’Israël reste le meilleur antidote que l’humanité une et indivisible ait réussi à élaborer contre le totalitarisme ethnique ou religieux.
    Les hommes de paix seront conduits à endosser le rôle ingrat de chef de guerre, — nous sommes en guerre, qui le contesterait ? Pour autant, Homo sapiens n’est pas nécessairement promis à un futur dénué de perspectives d’avenir. Par chance, nous disposons encore de quelques secondes avant de nous jeter dans la plaie infectée d’une négociation viciée, — on ne fait pas la paix avec des partenaires si indignes de confiance qu’ils réussiraient à arracher un aboiement au chien narcoleptique de Lucky Luke, — d’autant que nous disposons du vaccin sus-cité contre la tentation de déposséder les êtres humains de leur conscience et de la responsabilité qui va avec ; cette tentation de faire de nous des entités intellectuelles informes et malléables, autant dire de parfaites mécaniques, pilotables, démontables, recyclables. Qu’attendons-nous pour l’exploiter ?

    • Ehud compare la Cisjordanie à une jambe qu’il va vous falloir consentir à sacrifier, à défaut de quoi l’infection qui s’est emparé d’elle s’étendra à tout le reste de votre corps. La solution à deux États demeure un horizon bien plus souhaitable qu’un État binational qui, selon moi, condamnerait Israël à la guerre civile permanente. Pour autant, je me permettrai de poser une question au prédécesseur de Benyamin :
      « Que faut-il faire, M. le Premier ministre, quand le docteur qui vous apprend qu’il va vous amputer a pour nom Ahmed Omar Saïd Cheikh ? »

    • Israël ne fera pas de cadeau à l’ennemi de son être, et pour cause ; le bougre n’accepterait jamais qu’on lui en fasse ; il préfère se servir, et pas qu’un peu. En l’occurrence, une fois la razzia terminée, les charognards peuvent se brosser s’ils escomptaient en croquer quelque bris de carcasse.
      Nous demandons aux Israéliens de partager la Palestine mandataire, mais pourquoi diable voudrions-nous qu’ils se cassent la tête à démanteler l’objet même d’un démantèlement ? — nous parlons bien ici d’un territoire, pouvant prétendre au recouvrement d’une souveraineté nationale, que nous inviterions à se scinder par pragmatisme, avant qu’il n’aille docilement se placer sous le sceptre damoclésien d’un Janus étatique.
      Pour le trouver, il faut remonter jusqu’au dernier État indépendant à s’être établi sur cette terre avant qu’il ne se vît réduit au statut de province d’Empire.
      Or le dernier pays qui pût se prévaloir d’une telle souveraineté en cette région du monde est, à notre connaissance, l’antique royaume de Iehouda, lequel avait glorieusement survécu à la scission en deux royaumes distincts du royaume de David, le royaume du Nord ayant été dépossédé de son rang de puissance régionale suite à sa conquête par Neboukhadrèsar et la déportation des Benéi Israël à Babèl.
      C’est donc bien aux Juifs que la communauté internationale demande de bissecter leur propre terre de façon que les colons virtuels d’un sandjak ottoman fantôme aient la possibilité d’y fonder un État islamique.
      Voilà qui est plus clair et à partir de quoi nous devrions pouvoir commencer d’entamer les négociations en terrain déminé.