« Ça y’est, depuis aujourd’hui je suis officiellement citoyen romain », nous confie Pierre Adrian en souriant, autour d’un thé fumé, dans ce café tranquille du 6e arrondissement où se déroule l’entretien lors de son passage à Paris. Malgré toute sa détestation pour la paperasse administrative, l’écrivain a pourtant initié les démarches afin d’obtenir ce statut : l’Italie, où il vit depuis plusieurs années, et surtout Rome, représente l’endroit où il se sent le mieux. Ses lecteurs ne seront pas étonnés de cet attachement pour l’Italie, qui transparaît dans plusieurs de ses livres, depuis son premier roman, La piste Pasolini, publié alors qu’il avait 23 ans. Son dernier récit, Hotel Roma, chez Gallimard, est une invitation à le suivre sur les traces de l’auteur Cesare Pavese, au cours du dernier été avant son suicide à Turin, le 27 août 1950. Presque à la façon d’un carnet de voyage, Pierre Adrian nous propose dans ce très beau livre d’errer à ses côtés « comme si nous imitions une nouvelle de Pavese », à la mer ou sur des collines, d’un train à l’autre, d’une anecdote à un souvenir, pour tenter de comprendre les démons de cet écrivain cynique et mélancolique qui, paradoxalement, peut aussi nous apprendre à vivre. 

La capture des instants et la disparition des souvenirs, la mémoire des lieux, le passage du temps, sont autant de motifs pavésiens que Pierre Adrian explorait déjà dans son précédent roman, Que reviennent ceux qui sont loin, dont le succès l’a fait connaître au grand public. Né en 1991, quatrième d’une fratrie de cinq enfants, Pierre Adrian a grandi à Saint-Cloud dans un cadre plutôt privilégié, où la foi catholique et ses valeurs occupaient une grande place. Cette quête spirituelle demeure importante pour l’écrivain, sous une forme toutefois plus personnelle. Dans son environnement familial, les livres étaient présents, valorisés, les écrans bannis. « Je ne suis transfuge de rien », affirme-t-il. Après avoir initié des études d’Histoire, puis de journalisme, l’auteur vit aujourd’hui de sa plume et se consacre à sa seule activité d’écriture, la voie la plus logique, imposée à lui très jeune : « je pense que l’on est un écrivain ou qu’on ne l’est pas. » Pour autant, sa fibre journalistique continue à s’exprimer, notamment à travers une chronique tenue depuis peu pour le journal La Croixet une autre bimensuelle pour l’Equipe, depuis 2016, ainsi que des papiers plus occasionnels. 

Passionné de cyclisme, l’ancien pensionnaire de la Villa Médicis se distingue des romanciers qui bâtissent leurs livres à partir d’un thème ou d’un sujet précis et adoptent une approche scénaristique de l’écriture. Pierre Adrian indique puiser dans ses expériences personnelles et ses souvenirs, explorer les impressions que lui inspirent les lieux, les endroits qui le marquent, les lectures qui l’influencent. Le calme et la solitude lui sont indispensables, en ce sens les périodes promotionnelles lui semblent aussi passionnantes que fatigantes : « là par exemple, nous allons discuter ensemble pendant une heure, et après ça je serai épuisé. » À l’ère des réseaux sociaux, Pierre Adrian n’est présent ni sur Facebook, ni sur Instagram, pas tant par esprit de résistance que par désintérêt pour cet outil de promotion de soi, dont il ne voit pas la nécessité. « À quoi bon annoncer que je vais signer en librairie à Brest demain, tout le monde s’en fiche un peu, non ? » interroge-t-il, questionnant par là le rapport contemporain à cette frénésie de médiatisation. 

À contre-courant d’une époque qui incite les écrivains à prendre parti sur le plan politique ou à s’engager pour des causes diverses au gré de l’actualité du moment, l’écrivain assume avoir des convictions, des opinions, mais n’être « militant de rien ». Il ajoute qu’il n’a jamais voté de sa vie et se méfie du pouvoir, de l’autorité et des institutions politiques, préférant défendre un sens absolu de la liberté. Citant les mots de Stig Dagerman, Pierre Adrian admet quelques tendances anarchiques et libertaires : « à la vérité, il n’existe pour moi qu’une seule consolation qui soit réelle, celle qui me dit que je suis un homme libre, un individu inviolable, un être souverain à l’intérieur de ses limites. »

Cet idéal de la liberté et ce besoin d’évasion s’expriment aussi dans un goût affirmé pour la musique, « la plus belle chose que l’on puisse partager », qu’il s’agisse de la musique classique, avec une préférence pour des compositeurs comme Rameau, Scarlatti, Chopin, Ravel, Satie, mais aussi de la techno, dont les rythmes répétitifs et la mélancolie l’habitent et le subjuguent, viennent titiller ses démons. « À une époque, je sortais beaucoup, j’organisais même des soirées techno au Rex Club », indique-t-il, précisant ne pas se contenter d’écouter la musique, mais aimer avant tout la vivre avec son corps et ses sens, s’y perdre lors de concerts et de festivals, happé dans l’instant de la foule, comme on entreprendrait un grand voyage. Abdulla Rashim, Jesper Dahlbäck, Nihad Tule, Joel Mull, comme d’autres artistes de la scène suédoise, ou Jeff Mills, font partie des noms qu’il cite pour ceux qui voudraient découvrir cet univers.

Expliquant ne pas encore avoir de projet précis pour son prochain texte, ce trentenaire, « père sans enfant » pour citer cette expression empruntée à Que reviennent ceux qui sont loin, bâtit son activité sur le temps long, loin des coups littéraires qui peuvent propulser un auteur très haut le temps d’un roman et le faire sombrer dans l’oubli à l’occasion du suivant. « Je commence à être un peu connu maintenant, mais j’en suis déjà à mon septième livre », rappelle-t-il, avec l’évidence de celui qui cherche à construire une œuvre riche et cohérente bien davantage qu’à atteindre une gloire possiblement éphémère. Il peut en tout cas compter sur des lecteurs de plus en plus nombreux pour le suivre dans la suite de son travail. 

Se prêtant au jeu, Pierre Adrian a accepté de répondre pour nous au questionnaire de Proust : 

– Principal trait de caractère : la mélancolie et la joie, l’esprit de contradiction.

– Ce que j’apprécie le plus chez mes amis : l’humour, le sens de l’insolence et de la provocation.

– Ma qualité préférée chez une femme : l’humour (essentiel, toujours).

– Ce que je déteste par-dessus tout : l’injustice – l’une des expériences que l’on peut faire le plus tôt dans la vie – et le constat de l’impuissance.

– Le don de la nature que j’aimerais avoir : la musique, le piano.

– Mes héros dans la vie réelle : pas de héros (Batman, à la rigueur).

– Comment j’aimerais mourir : comme Cesare Pavese, en ayant pardonné à tous.

– Mon rêve de bonheur : l’apaisement. 

– Mon principal défaut : l’orgueil.

– Mon occupation préférée : le cyclisme.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

*