Alors que le second tour des élections législatives approche, une question fait aujourd’hui l’objet de nombreuses controverses : à quoi ressemblerait un pouvoir RN ? 

Doit-on (comme le pensent certains) craindre un nouveau péril fasciste, qui avancerait plus ou moins fort et masqué ? Ou le RN (comme l’affirment d’autres) serait-il au contraire condamné à se modérer en cas de victoire, absorbé par les habitudes et les contraintes du pouvoir ? 

Pour répondre à ces questions, il peut être utile de s’intéresser aux trois principales inspirations étrangères du RN :

  • Tout d’abord, Viktor Orbán. Celui-ci avait apporté son soutien à Marine Le Pen lors de l’élection présidentielle de 2022, dans une vidéo affirmant que « la vie européenne libre est aujourd’hui sérieusement menacée » – et évoquant notamment, parmi ces menaces, « l’immigration, une attaque contre nos familles [et] la propagande LGBTQ ». Marine Le Pen avait pour sa part déclaré, en 2021, que la Hongrie était « à la pointe du combat pour la liberté des peuples » et contre la « brutalité idéologique »… de Bruxelles (sic). Cette bonne entente explique peut-être pourquoi le RN a bénéficié, en plus des fameux prêts russe et émirati, d’un prêt d’une banque hongroise détenue par un proche de Viktor Orbán ;
  • Autre référence du RN : Vladimir Poutine, pour qui Marine Le Pen a confessé à plusieurs reprises toute son admiration, expliquant par exemple que « Monsieur Poutine est un patriote (…) Il a conscience que nous défendons des valeurs communes. Ce sont les valeurs de la civilisation européenne ». Au-delà des liens d’intérêt entre le RN et le régime de Poutine, cette proximité explique pourquoi le parti nie que la Russie a envahi la Crimée, ou conteste régulièrement les sanctions contre le régime de Poutine et les envois d’armes à l’Ukraine ; 
  • Dernière inspiration : Donald Trump, que Marine Le Pen avait tenté de rencontrer juste après son élection. Interrogée par la Voix du Nord sur son rapport au milliardaire américain, la candidate du RN à la présidentielle avait répondu par une pirouette : « Je ne prends pas Trump en modèle, c’est lui qui met en application ce que je propose depuis des années et que nos adversaires politiques ont toujours considéré comme inepte ! » Si Marine Le Pen a pris quelques distances avec Trump au moment de l’invasion du Capitole, elle avait, avant cela, accrédité le récit d’un « vol » de l’élection américaine en 2020 – expliquant notamment, quelques jours après l’élection, qu’elle ne « reconnaissait absolument pas » la victoire de Joe Biden.

Que nous enseignent ces complices internationaux du RN ? S’il existe bien sûr des nuances entre ces trois figures, certains points communs existent – et confirment quelles pourraient être les intentions du RN, dont certaines sont d’ailleurs assumées par le parti :

  • défendre une vision ethniciste de la nation, et une citoyenneté à plusieurs vitesses ;
  • pointer du doigt des pans entiers de la population, et les rendre coupables de tous les maux ;
  • s’en prendre dès que possible aux minorités : les étrangers, les immigrés, les personnes avec la mauvaise origine, les femmes, les LGBT… quitte à avancer progressivement, et à prétendre parfois ne vouloir de mal à personne, histoire de couper les jambes aux oppositions ;
  • promettre un pays uniformisé, et revigoré, sans faire grand-chose pour la population ; 
  • diaboliser tous ses concurrents politiques, et en faire des ennemis du peuple et de la nation, pour s’innocenter soi-même ;
  • entretenir pourtant, de son côté, des liens avec le pire extrémisme, prêts à casser des arabes, des juifs ou des homosexuels, ou même à commettre des attentats (tout en sachant parfois, si besoin, s’en distinguer en public) ;
  • instrumentaliser l’insécurité et les attentats, et stigmatiser les minorités, pour justifier tous les tours de vis autoritaires (tours de vis qui n’empêchent aucune violence, mais qui permettent de renforcer le pouvoir en place) ;
  • placer des proches à la tête (et au cœur) de toutes les institutions publiques, afin d’en prendre le contrôle ;
  • dénoncer la corruption des autres tout en faisant bien pire soi-même, afin d’éliminer ses adversaires, et de pouvoir attirer (et rétribuer) des fidèles ; 
  • couper les subventions des associations, journaux et lieux de culture un peu trop dissidents, un peu trop soucieux des droits humains, un peu trop préoccupés des libertés publiques ;
  • réduire les droits des oppositions, des journalistes, des associations et des mouvements sociaux ; les harceler, et parfois les interdire ; 
  • contrôler les médias, publics ou privés (avec, si besoin, la complicité de certains riches propriétaires de presse) ;
  • semer le doute sur absolument tous les faits, de façon à être impossible à saisir, et d’empêcher toute réflexion critique ;
  • conserver les élections, mais tout faire pour réduire les droits et le temps de parole de ses opposants (voire pour les choisir), pour réformer le système électoral à son avantage, ainsi (si besoin) que pour truquer ou contester les résultats ;
  • modifier la constitution, et la composition du Conseil constitutionnel, pour tenter de se maintenir au pouvoir ;
  • promettre de faire respecter l’ordre et la constitution, tout en se préparant à piétiner nos institutions, à contourner les contrepouvoirs et à lapider l’État de droit (notion que Jean-Paul Garraud, conseiller justice de Marine Le Pen, qualifie de « très floue ») ; 
  • contourner les institutions, au nom de la « volonté du peuple », pour remettre en question les libertés publiques et les droits fondamentaux ;
  • affirmer vouloir « rendre le pouvoir » à la population mais, en vérité, le conserver pour soi.

En bref, il est absurde de se dire qu’on n’a « jamais essayé » l’extrême droite. Les inspirations du RN sont connues. Pour peu qu’on aille au-delà des entretiens complaisants et des éditos mal informés, l’histoire et la vision du monde du RN, et les convictions de ses cadres et de ses candidats, sont plus que documentées. On sait en vérité très bien ce que « donne » le RN… à condition de ne pas fermer les yeux.

Il faut donc arrêter de croire que les dérives autoritaires n’appartiennent qu’aux livres d’histoire (ou à « l’actualité internationale »). Le pire est toujours possible, et peut commencer dès dimanche soir. Il est encore temps de l’éviter.