l’époque, Louise s’était vouée à une liberté d’un genre nouveau : boire, danser, écrire, faire l’amour, attendre l’aube, et parler de Proust ou de Schopenhauer à des joueurs de polo qui ne songeaient qu’à enlacer son cou de cygne. Une curieuse liberté, au fond, pour une fille. Et, de surcroît, pour une fille du Kansas.

Œil-volcan, lèvres pourpres, frange noire à la chienne, look Cléopâtre, elle ne ressemble à personne. Un pur-sang nihiliste. Une bimbo en perpétuelle vendetta contre elle-même. Une hédoniste impénitente dont le sport favori consiste à claquer la porte des nababs.

Dès le début de son règne, elle jouit d’être singulière dans un monde conforme. Elle allume les cœurs, brûle ses vaisseaux, éteint la moindre illusion — surtout l’énergie et l’amour, qui entament leur grande carrière américaine.

Autour d’elle, les années vingt s’emballent. Flappers, Cotton Club, galuchat, chinz, torrents de gin, peau vert-dollar après des nuits torrides. Dans la troupe des « Ziegfield Folies », Miss Brooks a la réputation d’une créature douée, perverse, cérébrale, enjouée, amorale. Elle aime le plaisir qui lui fournit des informations précises sur sa nature. Et elle tire de son intelligence des plaisirs stupidement négligés par ses rivales du showbiz.
Elle a 20 ans. Elle a débarqué à New York pour y devenir célèbre. Comment va-t-elle encaisser les coups ? Jusqu’où saura-t-elle dompter le sort ? Qui seront ses alliés, ses victimes, ses fossoyeurs ? À partir de quel geste, de quelle pensée, va-t-elle précipiter bonheur ou désastre ? Parfois, citant son cher Proust, elle murmure : « À chaque instant, notre vie apparaît devant nous comme un étranger dans la nuit. »
C’est cette Louise — imaginée, réelle, possible — que j’ai rencontrée un demi-siècle plus tard, à Paris, à la fin d’une saison électrique et vaine.

Passons sur ce demi-siècle. Sur ce laboratoire d’idées, d’amertumes, d’espérances, de cruautés, de confusions où, par fatalité chronologique, et en futur ancien jeune, je m’agite.
Des chaos de toutes sortes. Des révolutions politiques ou mentales. Des prophéties rageuses. Les pavés, la plage, etc. — qui dira la lassitude de qui s’engage dans un avenir officiellement radieux ?
À l’instant de ladite rencontre, ma génération vit l’épuisement d’une insurrection à blanc. Il y avait eu le mois de mai, puis l’été, puis l’automne. Dans l’affaire, j’avais fait l’expérience d’une histoire en bout de course. D’une éducation sentimentale en solde. Et je m’étais habitué au commerce exclusif de la Femme Moderne — autonome, amie de l’égalité, virile, laïque.
Celle qui m’attendait, ce jour-là, devant un cinéma de la rue Champollion, s’appelait aussi Louise. Mais rien à voir avec Miss Brooks — puisque ses baptiseurs en étaient sans doute aux rébellions selon Madame de Rénal. Ma Louise, elle, préférait croire, vu la tendance, qu’elle portait son prénom en l’honneur de Louise Michel, cette institutrice de la Commune qui m’a toujours ennuyé.

Pourquoi avait-elle accepté de voir un vieux film à la gloire de la femme-objet ? Pourquoi Pabst plutôt que Godard ou Eisenstein ? Pourquoi son indulgence pour mon esthétique d’ancien monde ? Ce que je sais, c’est que les deux sexes qui composaient ma génération avaient alors décidé de passer un compromis : les femmes le seraient un peu moins. Les hommes aussi. Entre ces deux armées, une paix soupçonneuse, froide, calculeuse.

De l’autre côté de l’Atlantique, dans son humble maison de la rue Goodman à Rochester, Louise Brooks était encore vivante en ce mois de mai. Elle avait même, devant elle, dix-sept années inutiles. Pauvre, négligeant les rares hommages, intoxiquée à la solitude, au tabac et au gin, elle lisait: Freud, Schnitzler, James et, bien sur, Proust et Schopenhauer. Elle écrivait. Elle méditait sur l’ampleur du gâchis. Chaplin ? Hearst ? Garbo ? Howard Hugues ? Jean Harlow ? Des intimes devenus fantômes depuis qu’elle avait choisi, par panache, de rester silencieuse à l’heure où triomphait le cinéma parlant.

Je ne la connaissais pas encore. Elle ne se souvenait plus d’elle-même. C’est dans ce contexte, avec une autre Louise, que j’ai vu Lulu pour la première fois. De Broadway à Berlin en traversant mai 68, de Paris à Hollywood par la rue Champollion — en ce temps-là, il fallait sacrifier aux voyages bizarres. On est déjà passé par New York, le Kansas, Rochester, Paris ? Et maintenant, comme toujours, il faut commencer par Vienne…

Oui, Vienne et, plus précisément, le sillage Viennois de ce Franz Wedekind — un bellâtre, tout en moustache, génial et noceur, celui que Brecht désigna comme le « grand éducateur de l’Europe moderne » — qui, avant la Première Guerre, s’était beaucoup penché sur l’âme et le corps des plus belles femmes de son temps. Un jour, Wedekind se trouva dans le même salon que Lou Andréas-Salomé qui, à ce qu’on prétend, évoqua devant lui la figure de Lilith, la vraie première femme, celle qui, comme Adam, avait été pétrie d’argile avant de se révolter et de disparaître pour laisser la place à Ève — plus soumise, plus seconde dans l’ordre de la création, puisque née du corps même de l’homme. Lou avait des gestes légers comme des ombres. Et Wedekind, échauffé par la parleuse, lui proposa de poursuivre la conversation dans sa chambre. Elle accepta. Mais, contre toute attente, elle se refusa à lui lorsqu’il tenta de la prendre dans ses bras. Lou déclara qu’elle était vierge. Il n’en crut rien. Dans son esprit, « Lulu » venait d’esquisser son premier profil. Il se vengerait de Lou en redoublant l’unique syllabe de son prénom pour désigner un monstre. Ainsi, Lulu dit deux fois Lou. Litlith s’entend aussi dans Lulu et Lou. La première femme danse avec la femme fatale qui met à mort quiconque la laisse vivre. J’aime l’idée qu’un lien existe entre l’ardente qui embrasa Nietzsche et une flapper de Broadway. Il est également remarquable que l’étymologie fasse jaillir Lulu du sumérien Lûlû — qui désigne la débauche. Un démon babylonien, Lilitû, avait même pour spécialité de jeter des rêves sensuels dans le sommeil des hommes.

Avant d’arriver à Berlin, en provenance de Sumer ou de Vienne, Miss Brooks était tout de même passée, le jour de sa naissance, par Cherryvale dans le Kansas. Elle y suffoque. Se sauve. Arrive à New York la veille de ses 15 ans. S’inscrit au cours de danse de Ruth Saint-Denis et Ted Shawn. Dès sa première revue, Scandals, Howard Hawks est intrigué par cette fille qui, en fine lectrice de Dorothy Parker, demande aux barmen et aux échotiers : « Auriez-vous l’obligeance de m’indiquer le chemin de l’enfer ? » Quelques petits rôles, puis sa carrière flambe. Un contrat à la Paramount, des liaisons tapageuses, une vénalité peu ordinaire — elle séduit des milliardaires et les quitte dès qu’ils sont prêts à mettre leur fortune à ses pieds. Un soir du printemps 1928, dans un bar de la 55e rue, le Glennon’s — il y a toujours son portrait au-dessus du comptoir — un inconnu lui parle de Freud et de ses théories sur Œdipe et le sexe. Elle se promet d’apprendre l’allemand pour en savoir davantage. C’est alors que Pabst, l’énigmatique Pabst, lui adresse le câble fameux : « Voulez-vous être Lulu ? »

L’autre Louise, celle qui m’attendait devant le cinéma de la rue Champollion n’était pas d’humeur à s’extasier devant une star du muet — car elle croyait aux mots. Elle les lâchait en grand nombre, et sur toutes sortes de sujets. Un babil pointu, acéré, hérissé comme un bataillon de fourches propices à tous les régicides. Pour elle, le passé commençait avec Bataille et Lacan. Avant ? Il n’y avait presque pas d’avant. Parfois, croisant son intuition que sa vie serait un naufrage. La convaincre de l’existence des passions ? De l’amour ? Des destins brisés par le sentiment ? Je n’osais pas. En ce temps-là, l’intime était obscène et l’on n’y séjournait que par faiblesse. Dans le vaste reflux de cet automne lointain, je maudissais le sort qui m’avait jeté dans une époque où il me faudrait partager des émotions avec une humanité qui n’en voulait pas.

Le scénario de Lulu emprunte autant à la tragédie noble qu’au roman-photo. Il s’empare du personnage imaginé par Wedekind — dans Pandora et L’Esprit de la Terre — mais lui inflige une métamorphose qui jaillit moins de la volonté de Pabst que du génie lascif de Louise Brooks. Ce film démontre ainsi que la femme est naturelle et démoniaque par essence. Qu’il y a de l’innocence dans sa manière d’être démoniaque. Et que le démon, en elle, ne devient opérationnel qu’à partir de l’instant où les hommes y projettent leur propre désir. Avant le désir des hommes, Lulu ressemble à un cataclysme en suspens. À un incendie qui n’aurait rien à consumer. Lulu, dans le film, se laisse confondre avec un ange exterminateur, mais c’est injuste : ce sont les autres qui choisissent de se brûler et de se détruire à son contact. Elle, pure vivante, se contente d’aimer sans se douter que l’amour, par vocation, détruit qui le reçoit et qui le donne. Dans la vie, d’ailleurs, Miss Brooks se méfiait farouchement de l’amour. Et elle s’en moqua volontiers, au temps de sa splendeur, lorsque des hommes affolés faisaient le siège de ses suites au Plaza ou au Waldorf. Elle avait lu Proust — donc, elle savait. Pour elle, l’amour était réductible à la « pagaille sexuelle » qui l’escorte d’ordinaire. Pas question d’entrer dans ce casino. D’y miser un seul cent. Elle essaiera le saphisme, la prostitution, le mariage, le libertinage, la fidélité, avec une égale insatisfaction. À la fin, elle avouait cependant : « Je n’ai jamais donné quoi que ce soit sans regretter de ne pas l’avoir conservé, ni conservé quoique ce soit sans regretter de ne pas l’avoir donné. »

Elle envisagea pourtant, au cours d’une saison confuse, de se convenir au catholicisme pour accéder à un amour miraculeusement exempt de violence. Pour elle, cette religion avait l’avantage d’être précise dans son système d’interdits et de prescriptions — rien a voir avec le protestantisme qui se contente de vagues directives avant d’abandonner chacun à son désarroi. De même, elle préféra les hommes qui décidaient à sa place aux amants qui lui demandaient trop souvent son avis. La liberté, observe-t-elle (ultimement dans les textes qu’elle consacra plus tard à sainte Thérèse et à saint Bernard, respire mieux dans la loi que dans l’incertitude — d’autant qu’on a toujours la possibilité d’aller voir ailleurs des que le régime, ou l’amant, ne convient plus. Ces convictions, qui expliquent pourquoi Louise Brooks fut éblouissante en Lulu, sont irrecevables pour la Femme Moderne — qui veille à ne rien placer au-dessus d’elle.
L’autre Louise devina que les choses, entre nous, allaient mal tourner.
Lulu raconte pourtant l’histoire d’une femme qui veut échapper au destin qu’on a trace pour elle.
Dans le film, plusieurs hommes — dont un père et son fils — s’entretuent dans l’espoir de la conquérir, de la conserver, de la perdre le plus tard possible.

Lulu observe ce carnage. Elle n’y peut rien. La folie menace toujours les individus qui cèdent à leur frénésie de possession.
À la fin du film, Lulu se prostitue dans une rue de Londres. Son premier client — dont le regard l’émeut et auquel elle veut s’offrir gratuitement — n’est autre que Jack l’Éventreur.

Dans chaque plan, Pabst fore l’innocence de Lulu. Et, dans chaque plan, l’art de Louise est si pur qu’il en devient invisible.
Elle est, dans ce film, la femme qui est incapable de feindre — l’amour, plaisir sexuel, l’ambition — et cette incapacité déchaîne la fureur des hommes.

A Hollywood, on avait également proposé à Miss Brooks un destin où il aurait suffi de feindre : quelques films européens et sans public, des comédies glamour, un ou deux chefs-d’oeuvre américains et, pour finir, une vieillesse cossue avec rétrospectives et Oscars. Il y aurait eu des villas, des yachts, des maris, du veuvage, des souvenirs — et de jeunes journalistes seraient venus, au crépuscule, pour renifler le mythe. C’était la solution Garbo, la meilleure de toutes, celle qui rend l’agonie vivable. Mais Louise, on l’a dit, claque les portes. Sanction immédiate : après Lulu et Le journal d’une fille perdue, elle se suicide professionnellement en injuriant les tycoons qui veulent ajouter des mots aux images. Elle tournera encore, mais à peine. En 1938, elle n’est plus qu’une figurante aux côtés de John Wayne dans son dernier film, Overland stage raiders. Ensuite, elle n’aura plus que la solution d’être vendeuse chez Saks, puis call-girl, puis professeur de danse, puis ivrogne, puis plus rien.

Marlène Dietrich avait beaucoup intrigué pour obtenir le rôle de Lulu, mais Pabst se méfia de ses yeux mi-clos, de ses langueurs trop ravageuses, il voulait que sa Lulu fût fraîche, sèche, presque naïve, écolière, afin que les choses soient claires : ce sont les hommes qui font naître la malfaisance des femmes, et non l’inverse. Marlène réussira, du coup, à convaincre Joseph Von Strenberg de tourner L’Ange Bleu, tiré du roman de Heinrich Mann. Dans ce film, elle sera donc la Lola-Lola dont les labiales prolongent celles de Lulu, Lou, Lilith, Louise. Mystère d’une consonne qui, née sur les lèvres, évoque le lapsus, la glissade, la chute, la Chute.

Cela dit, Lola-Lola est une putain classique — séduction, calcul, argent, échange de satisfactions — tandis que Lulu, qui n’exige ni position ni argent, détruit et s’offre pour rien. Le cinéma, finalement, aura bien dupliqué le réel puisque l’opposition Lulu-Lola est exactement celle qui, dans la vie, distingua Marlène Dietrich de Louise Brooks.

En 1975, dans une lettre de Louise à son frère Théo, cette phrase étrange de la part d’une ancienne flapper : « la patience est le chef-d’œuvre de la force. » Et celle-ci, dans la même lettre, à propos de la difficulté, pour elle, de dire toute la vérité sur ses relations érotiques avec les stars de Hollywood : «Je n’arrive pas à déboucler la ceinture de la Bible. »

 

À Paris, les événements de mai avaient durablement brouillé l’affaire hommes-femmes. Lucidité ? Radicalité ? Face-à-face ? Toujours est-il que la romance et le mélo ne se laissaient plus conter — et les deux sexes choisirent de s’engager vers l’avenir comme deux espèces parallèles et distantes. Ma Louise n’avait pas apprécié les manières de cette Lulu asservie, croyait-elle, par le regard des mâles. Elle me plaignit de voir en elle, au contraire, une figure supérieure de la liberté. On dîna rapidement dans un restaurant
d’étudiants. Quelque chose venait de s’achever. Je devais me convaincre au plus vite, et sous peine d’être débordé, que je rencontrerais peu de femmes telles que Vienne, Lou, Pabst et Louise les avaient imaginées. Il était urgent, désormais, d’offrir une nouvelle mémoire à nos désirs naissants.

Miss Brooks avait un sens aigu de la tragédie de la beauté. Elle savait, en effet, que celle-ci conférait aux femmes un pouvoir absolu et bref sur le reste de l’humanité. Il fallait donc, dans cette parenthèse, jouer sur deux tableaux : celui de la jouissance et celui de l’ascèse. Profiter et se préparer.

Tout prendre et apprendre à tout perdre.

Elle estimait, plus gravement, que les très belles femmes, par l’étendue même du pouvoir qui leur est consenti, sont, plus que les autres, exposées au supplice de mourir de leur vivant. D’où, chez elle, cette tendance — à abuser, à exagérer, à en rajouter dans le caprice ou haine de l’ennui — dont le contrepoint renvoie paradoxalement à une éthique stoïcienne. Quand sa beauté stupéfiante s’estompa, quand des rides furtives vinrent se graver au coin de ses lèvres en souvenir de toutes ses cigarettes, ou au coin de ses yeux pour lui rappeler toutes les oeillades joueuses qu’elle avait lancées à ses amants, quand sa peau devint grise et molle à cause du gin, Louise prit les devants : elle se fit plus laide qu’elle ne l’était. Elle pesait contre cette royauté de pacotille qui fiche le camp quand on a besoin d’elle. Elle ne se consolait, en vérité, qu’en regardant les plus jeunes qui, tout à leur imprévoyance, la toisaient maintenant avec l’arrogance des conquérantes provisoires.
Comment habiter un monde où tout s’use et s’effrite ? En le peuplant d’absences. Ou, comme le suggère Balzac à travers sa Marquise de San Réal, en devançant à chaque seconde « la perte de ce qui nous a paru être l’infini ».

Peu avant l’épilogue, elle s’efforça, plus que tout, de devenir un écrivain. Elle envoyait des articles à Esquire ou Variety. Elle signait — en hommage à Schopenhauer — Louise la stérile des portraits de Lilian Gish, de Clara Bow, de Joan Crawford, de Bogart. Ses mémoires ? Elle les écrivit d’une certaine façon, mais de biais, à travers des scènes de genre dont le titre général devrait être Je n’y ai pas laissé ma peau ou Nue sur mon bouc — allusions aux sorcières de Goethe dans le premier Faust. Des témoins racontent qu’elle brûla souvent ses manuscrits dans l’arrière-salle du Glennon’s. Il en reste des morceaux de chapitres intitulés « Je suis poursuivie par l’exaltation » et « Je n’ai pas l’intention d’être un ange ». D’après ses confidences à James Card, son dernier amant, elle brûlait ses pages dès que celles-ci, selon elle, « ne tenaient pas entièrement dans l’espace de la vérité ».

L’indifférence de Louise à sa propre gloire fut telle qu’elle ne vit, pour la première fois, ses vingt-quatre films — même Lulu — qu’à la fin de sa vie, et sur l’insistance d’admirateurs qui, venus de France et d’Allemagne, lui expliquèrent qu’elle n’avait pas été une simple « girl » de Hollywood.

J’imagine la scène qui se déroule à l’Eastman House de Rochester : Louise, défigurée par l’alcool, par ses cheveux gris et sales, par l’arthrite des danseuses, rencontre « Lulu » — presqu’au même instant que moi. Elle contemple, depuis sa débâcle, la vamp époustouflante qu’elle fut. Et celle qui meurt sur l’écran écrase de sa vie la vieille vivante qui l’observe, sans nostalgie, narquoise. Quelle est donc cette comédie ? À quoi a servi ce tourbillon ? Cette faillite ? Cette décomposition ? Et puis : que voulait-elle, au juste, en sautant sur ce manège ?
Louise n’a jamais su ce qu’elle voulait. On en est tous là.

Bien sûr, elle aurait pu être « l’autre Garbo » — mais je crois que Louise s’est mieux amusée et mieux résignée.
Avec Lulu, sans le savoir, et manipulée, et immature, elle s’est approchée de son essence — après laquelle elle courra tout le reste de sa vie.
Il est périlleux d’entrevoir, fût-ce une seconde, qui l’on est vraiment.
En général, on ne s’en remet pas.

C’est comme si Dieu nous donnait le droit, une seule fois, de passer dans le royaume des morts, puis de revenir parmi les vivants.