On ne compte plus les articles et dossiers sur l’Ukraine dans les médias occidentaux ces dernières semaines. Tout y est passé : les tourments politiques, le gouffre économique, la montée du radicalisme, la supposée séparation entre l’est et l’ouest, l’horreur des affrontements à Kiev… Une marque forte de Maïdan n’a peu ou pas été traitée : la créativité dont font preuve ceux qui, depuis la fin novembre, pour le pire et le meilleur, restent mobilisés pour changer le pays.
Les événements qui secouent l’Ukraine ont de toute évidence un impact sur la société dans son ensemble. Inutile de vouloir diviser les uns et les autres, de vouloir distinguer tel groupement sur Maïdan de tel autre. Les gens se sont réunis et d’une certaine façon « retrouvés » de manière spontanée pour se protéger collectivement et civilement. Rien n’était préparé. Le jour, la nuit, sur Maïdan, des femmes et des hommes de tous âges et de toutes conditions se sont solidarisés pour défendre leur liberté et leur droit de constituer enfin une nation. Une première dans notre histoire.
Les artistes n’ont pu rester à l’écart du mouvement. Qu’ils soient célèbres ou non, ils ont été très nombreux à déclarer leur soutien aux manifestants, à prendre position. Sur Maïdan, leurs œuvres ne sont jamais loin. En témoignent ces photographies accrochées ici et là, adossées parfois aux barricades.
Toutes les disciplines sont représentées : le cinéma, la musique, la peinture, la photographie… Dans cette guerre de l’image et de l’information, les créateurs utilisent toutes les armes à leur disposition. Les œuvres d’art n’exigent aucune traduction. EuroMaïdan, territoire de liberté, est devenu au fil des semaines une incroyable source d’énergie. C’est ainsi que de nombreux messages ont été véhiculés à destination des Ukrainiens, des étrangers, des médias… et du pouvoir. D’une certaine façon, la révolution a donné un élan formidable au développement de la culture ukrainienne et à la liberté d’expression. Le peuple ukrainien semble faire l’apprentissage de ce qui constitue une société civile…
Ainsi, tout au long du mouvement, d’innombrables artistes ont soutenu le Maïdan, lors de concerts historiques (celui du groupe Okean Elzy a rassemblé plus de deux cent mille personnes, mais également Daxa Braxa et plusieurs autres groupes de réputation internationale). Les deux animateurs depuis le podium du Maïdan, y compris dans les moments les plus tragiques, ont été la chanteuse Ruslana (lauréate d’Eurovision) et l’acteur Evguen Nichuk, nommé ministre de la culture ad intérim dans le nouveau gouvernement. Tous les grands écrivains ukrainiens, d’Andrei Kourkov à Iuri Androuchowitsch, de Serhyi Jadan à Maria Matios, ont soutenu par leur présence et leurs écrits le mouvement. L’imagination et le talent d’artistes de toutes les générations se sont déployés dans le foisonnement de compositions en tous genres, de poèmes, de chansons, d’œuvres d’arts inspirées du Maïdan ou en soutien de celui-ci.
Parmi les exemples, loin d’être exhaustifs : un jeune photographe-reporter, Maxime Dondyuk, a suivi la révolution dès les premiers moments. Trois mois d’images sur le terrain. Il en a tiré une première exposition, intitulée « La culture de la confrontation », organisée dans une galerie underground de Kiev, Partkom. Sur les tirages, une vingtaine de portraits d’artistes, surtout des musiciens se battant pour un avenir meilleur avec leurs instruments en mains.

Photo : Maxime Dondyuk
Photo : Maxime Dondyuk
Photo : Maxime Dondyuk
Photo : Maxime Dondyuk

La sculpture a aussi trouvé sa place sur Maïdan, grâce à un jeune artiste français. Roti – c’est son nom – a créé une pièce en marbre intitulée « Nouvelle Ukraine » qui y est incarnée par une jeune femme sortant de l’eau, allégorie d’un pays en pleine émergence. « En décembre, j’ai pris la direction de Kiev pour me retrouver au cœur de Maïdan, raconte-t-il. Je voulais témoigner de mon soutien par un geste artistique. J’ai sculpté un marbre de 4 tonnes pour figer dans la pierre le cri de liberté d’un peuple asphyxié… »

"Nouvelle Ukraine", sculture de l'artiste Roti. Photo : Alexey Zaika
« Nouvelle Ukraine », sculture de l’artiste Roti. Photo : Alexey Zaika

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Le célèbre artiste Matvey Vaysberg est allé directement peindre sur les lieux des affrontements et consacré une série de tableaux, intitulée « Le mur », à la confrontation entre  manifestants et les redoutables polices spéciales « Berkout ».

Tableau issu de la série « Le mur » de Matvey Vaysberg.
Tableau issu de la série « Le mur » de Matvey Vaysberg.
Tableau issu de la série « Le mur » de Matvey Vaysberg.
Tableau issu de la série « Le mur » de Matvey Vaysberg.

La jeune artiste Kseniya Gnilitskaya a créé une série de cartes postales « From Kiev with love ». La fameuse rue Grouchevskiy – où les premiers morts sont tombés en janvier – y est figurée. Les postures des manifestants montrent bien que, non, ils ne reculeront pas.

Carte postale issue de la série « From Kiev with love » de Kseniya Gnilitskaya.
Carte postale issue de la série « From Kiev with love » de Kseniya Gnilitskaya.
Carte postale issue de la série « From Kiev with love » de Kseniya Gnilitskaya. Photo : Sergiy Stetsenko
Carte postale issue de la série « From Kiev with love » de Kseniya Gnilitskaya. Photo : Sergiy Stetsenko

Après cinq années passées à étudier l’iconographie, Serguey Radkevitch s’est retrouvé à la rue. Il y a développé un art très personnel du graf. La mort de jeunes manifestants sur la rue Grouchevskiy l’a incité à créer une série en leur hommage. « Je voulais faire entendre ma protestation contre cette agression faite aux hommes et à leurs corps ». Son travail est intitulée « La prière pour les défunts ».

« La prière pour les défunts » de Serguey Radkevitch.
« La prière pour les défunts » de Serguey Radkevitch.
« La prière pour les défunts » de Serguey Radkevitch.
« La prière pour les défunts » de Serguey Radkevitch.

EuroMaïdan est aussi devenu un plateau de tournage, accessible 24h sur 24h. Comment ne pas profiter d’un tel décor ! Des équipes ont ainsi suivi les musiciennes du groupe Dakh Daughters qui, très engagées, ont rencontré des journalistes occidentaux, distribué des repas aux manifestants, chanté sur les barricades et donné des concerts sur la scène dressée au cœur de Maïdan. Les auteurs de ce petit film documentaire, Iryna Stetsenko et Anton Baybakov, sont parvenus à retranscrire les messages que les filles voulaient faire passer.
Pour visionner le film, cliquez ici.
La maison des ventes aux enchères « Doukat » a organisé, en décembre dernier, une vente aux enchères caritative pour lever des fonds destinés à soutenir la chaîne de télévision Hromadske.tv (sur Internet uniquement), initiative de journalistes bénévoles. Malgré la pression des plus grandes chaînes nationales, ce petit groupe de journalistes a réussi à créer un nouveau média, sans précèdent, qui informe en temps réel. Des artistes ukrainiens issus de différentes générations et aux horizons variés ont pris une part active dans cette vente aux enchères en offrant quelques-uns de leurs oeuvres.
Chaque un fait ce qu’il peut, avec ses moyens, pour contribuer à la cause ukrainienne. Pour la plupart, le chemin de retour n’existe plus.

FIN. Photo : Maxim Dondyuk
FIN. Photo : Maxim Dondyuk