Vous débarquez à Tanger, la première ville africaine si vous venez d’Occident, où débarquèrent, émerveillés par cet Orient arabe de légende, Delacroix, Matisse, puis les grands aventuriers, les espions et les marins du monde entier au temps de Tanger, Zone internationale, puis encore, dans les années 50, les premiers beatniks et les milliardaires américains, Barbara Hutton et Malcolm, Forbes, les Rolling Stones, le poète Allen Ginsberg et, bien sûr, Paul Bowles, l’auteur d’Un thé au Sahara, qui, jusqu’à sa mort, ne quitta plus Tanger, « un endroit magique qui, en me dévoilant ses secrets, me donnerait la sagesse et l’extase ».
Vous parcourez la Médina, vous montez et descendez les rues du petit et du grand Socco. Puis vous prenez la direction de la Vieille Montagne, vous traversez une pinède sublime, passez l’immense propriété royale, puis celle du roi d’Arabie, et, soudain, vous découvrez l’océan atlantique sous vos pieds. Vous descendez jusqu’au cap Spartel qui sépare la mer Méditerranée de l’océan. Et vous arrivez au Mirage. N’allez pas plus loin. C’est là. Votre voyage terrestre sur la mer infinie peut commencer. Depuis les patios tous blancs qui peuplent en terrasses de verdure et de belle végétation le dessus de l’immense falaise plongeant dans l’océan, avec le ressac incessant des vagues en contre-bas comme musique du monde, un sentiment d’éternité vous vient. Au loin, la silhouette des cargos qui avancent lentement vers Gibraltar et l’Europe. Salut, grand océan, dites-vous.
Une plage ici commence sous vos pieds, qui ne s’arrête plus jusqu’en Mauritanie, à des milliers de kilomètres. Voilà pourquoi ces lieux sans pareil s’appellent Le Mirage. Invitée par votre regard qui voit ici tous ces commencements, commencement de l’océan, commencement des sables de l’Afrique, votre imagination vous porte bien au-delà de l’immense horizon.
Restez, insiste le maître de ces lieux, Abdeslam Chekkour, lecteur de Melville, de Bowles et de Homère.
Un demi-dieu est venu dans ce balcon sur la mer, trois mille ans avant vous, peut-être plus encore. Envoyé par le roi d’Argolide à l’extrémité occidentale du monde, dans la Mer extérieure où gît l’Atlantide, s’emparer sur l’île d’Erythie des bœufs au pelage écarlate du monstre tricéphale Geryon, fils du titan Okeanos, Hercule, après avoir fendu d’un formidable coup de sabre ou d’épaule la terre en deux et ouvert le passage de la mer entre l’Afrique et l’Europe, débarqua au Cap Spartel, y creusa une grotte où se reposer de son Odyssée, avant de regagner la Grèce par la terre avec son trophée d’animaux, de les sacrifier à la déesse Héra, et ses douze travaux achevés, devenu immortel, de gagner le séjour des Dieux sur l’Olympe.
Lui non plus n’est pas allé plus loin. C’était tellement beau. C’était là.
La légende des siècles, aussi, au Mirage, est un mirage hors du temps.