Tension maximale avec l’Iran, affaires frauduleuses entourant le bureau du premier ministre sur fond de limogeage du ministre de la Défense en pleine guerre, sans oublier les récents évènements à Amsterdam avec les fans de Maccabi Tel Aviv, c’est ainsi que nous entrons dans la 2ème année de guerre entamée depuis un mois.
Alors que rien ne semble se conclure, il est difficile de conserver un espoir sur un dénouement proche et heureux de la situation. L’art de « l’échappatoire » ou comment s’investir dans des activités gratifiantes sur fond de catastrophe, inhérent au caractère de l’Israélien-type, est devenu plus que jamais d’actualité pour tenir le coup.
Il existe pourtant une autre option : s’attacher à toutes ces petites initiatives qui réchauffent le cœur. Voici l’une d’entre elles.
Le premier octobre s’est révélé une date particulièrement éprouvante pour les habitants de mon quartier situé au sud de Jaffa (ou Yafo en hébreu). Affecté vers 19h30, comme le reste du pays, par une pluie de missiles balistiques en provenance de l’Iran heureusement interceptés dans leur majorité, ce secteur de la ville a été quelques instants à peine plus tôt – vers 19:00 – le lieu d’un attentat particulièrement meurtrier provoquant 7 morts et de nombreux blessés.
Deux Palestiniens originaires de Hébron et s’avérant à posteriori comme affiliés au Hamas sont arrivés dans le voisinage puis entrés, munis de grands sacs, dans la mosquée Al Nuzha située en face de la station de tramway Erlich. Selon les témoins, ils en ont sorti leurs armes – des M16 – tout en menaçant les fidèles réunis pour la prière avant de les enfermer à l’intérieur. A cet instant, les responsables de la mosquée ont alerté la police par téléphone. Les terroristes ont pendant ce temps arrosé de tirs les passants et passagers du tramway et ont été finalement tués dans un échange de coup de feu avec des forces en présence.
Arrivé peu de temps après sur les lieux, le ministre des affaires intérieures Itamar Ben Gvir a, avant toute chose, menacé en pérorant de détruire la mosquée au cas où il s’avèrerait qu’elle ait un lien quelconque avec les terroristes, option qui s’est avérée infondée.
Jaffa – ou Yafo – est une des villes mixtes d’Israël, ou plutôt un quartier de Tel Aviv depuis 1950 et possède un tissu social très complexe. Historiquement un des plus forts symboles de l’exode palestinien ou « nakba », elle a aussi été le siège d’un considérable afflux de population des pays arabes alentours venus travailler dans le secteur de l’orange et se fondre dans la population arabe locale au 19ème et 20ème siècles, et se prête à différents narratifs. Au cours de l’histoire, un mélange unique de vagues d’immigration juive, de destins partagés de populations démunies des deux secteurs, de confrontations de gangs locaux, et actuellement de gentrification, en font un microcosme subtil au cœur de la métropole de Tel Aviv où le vivre-ensemble est tout à la fois ancré dans le paysage, comme le fruit d’un équilibre délicat. En cette époque difficile pour tous, la complexité est la règle, qui n’épargne pas les citoyens arabes de la ville qui ont pour la plupart de la famille, proche ou lointaine, à Gaza.
Forts de cette situation, différentes associations civiles doublées de formations politiques se sont créées, insistant sur la mixité juive-arabe, comme sur l’importance de la mise en perspective de tous les évènements critiques. L’organisation la plus importante porte le nom de « Omdim beyahad » traduit en anglais par « Standing Together » et œuvre souvent sur ce sujet en coordination avec la formation politique « Ir lekoulanou » ou « City for All ». Ensemble, ils s’appuient sur les principaux responsables de la ville, religieux en particulier, pour renforcer les tendances modérées au sein d’une population hétérogène dans les deux secteurs.
L’attentat du 1er octobre puis l’intervention hâtive d’Itamar Ben Gvir auraient pu envenimer les relations entre les deux communautés, c’est l’inverse qui s’est produit. Une semaine après l’attentat, une assemblée de voisins du quartier s’est trouvée réunie sur l’espace piéton du boulevard Jérusalem avec les représentants de la mosquée autour de quelques mots simples pour la modération, la continuité d’une cohabitation pacifique et le rejet de déclarations intempestives semeuses de troubles. Etaient arrivées pour la circonstance la fille de Shimon Perez de même qu’Adina Bar Shalom, fille du rabbin Ovadia Yossef, mais également activiste sociale engagée. Et puis, à l’occasion du mois de la date de l’attentat, c’est un barbecue de rue offert par la boucherie de quartier Abu Hilwe qui a réuni les voisins dont beaucoup se sont portés bénévoles avec ces commerçants et Omdim Beyahad.
Opportunisme commercial d’un côté, naïveté de l’autre que sais-je encore : tels pourraient être qualifiés par certains les véritables ressorts de ces évènements. Si les composants de ces initiatives sont peut-être multiples, quelle importance si elles aboutissent à maintenir et continuer par instiller en profondeur des relations de compréhension et de respect, et contribuent à maintenir ce voisinage tel que l’a défini le cheikh de la mosquée : « un îlot de bon sens » une denrée dont nous avons tant besoin.