Nous sommes à Tel Aviv pour un long séjour de quatre mois. Le projet était ancien et donc banal. Aller en Israël pouvait faire grimacer certains de nos amis formés et demeurés à gauche, très critiques à l’égard d’Israël dont ils ne retenaient déjà que la politique de colonisation et de violence dans les territoires occupés, ceux-là étaient souvent des Juifs, antisionistes et très peu communautaires. Mais, pour la plupart, nos proches voyaient notre projet d’un bon œil, nous encourageaient, nous enviaient parfois. Allaient-ils réagir différemment après le 7 octobre ? Nous étions en février 2024, le souvenir du pogrom n’était pas effacé, mais il s’estompait, avalé par l’offensive israélienne à Gaza avec son cortège de nouvelles, d’images et de mots effrayants : dévastations, massacres, population affamée…

On n’avait pas su exactement comment qualifier sur le coup ce qui s’était passé le 7 octobre : shoah, shoah par balles, génocide, pogrom ? Les mots ont leur importance, mais aucun ne pouvait justement désigner l’unicité de ce jour sans précédent. C’était un shabbat, c’était un jour de fête. De fête rare dans le calendrier juif pourtant scandé par les commémorations, les prières et les souvenirs. Parfois heureux, plus souvent tristes, mais jamais totalement univoques et libérés. Mais là, c’était Simhat Torah, littéralement Torah de la joie, un jour où l’on danse et où l’on fait danser le rouleau saint que l’on tient fermement. Il ne faut pas le faire tomber mais, avec lui, on peut se permettre tous les pas : même ceux qui, maladroits, se tiennent d’ordinaire prudemment en dehors de la piste, se lancent ce jour-là sans craindre le regard moqueur des plus agiles. 

Là, c’étaient des kibboutz, peuplés d’Israéliens qu’on disait de gauche, militants pour la paix, défenseurs des droits des Palestiniens, qui employaient des Gazaouis (dont certains, on l’a appris plus tard, avaient fourni des renseignements précieux au Hamas). Dans l’échelle des fêtes juives, Simhat Torah ne pouvait rivaliser avec Kippour qui, en 1973, avait donné son nom à une autre guerre mais, là, tout jurait. Si ce jour-là, dans ces lieux, plus d’un millier d’individus avaient pu être tués en territoire israélien sans être défendus ou à peine, c’est que tout était désormais possible.

On avait ces idées en tête lorsque nous avons pris l’avion le 15 février. Le vol d’EasyJet que nous devions emprunter avait été annulé quelques jours avant le départ et nous nous étions rabattus sur El Al. Signe qu’il n’est pas recommandé d’aller dans un pays en guerre, signe aussi de la solitude d’Israël. L’avion était plein, tout s’était passé sans incident et, peut-être parce que le ciel et les pistes étaient moins encombrées, nous sommes arrivés à Ben Gourion avec un quart d’heure d’avance. 

A l’aéroport, nous empruntons la longue descente qui mène vers la sortie. J’aime ce passage qui domine le bel espace où patientent les voyageurs qui attendent leur vol. Comme nous le faisons toujours, nous dédaignons le tapis roulant et marchons d’un pas maintenant moins rapide. Le mur en pierre n’est plus orné des photos qui d’ordinaire célèbrent les grandes figures et les grandes réussites du pays. A leur place, et aussi sur le garde-corps du tapis roulant, les photos des otages occupent toute la place. Nous tournons la tête, à droite, à gauche, nous efforçant de ne perdre aucun visage. A chacun, il est rappelé que le pays est dans la peine et peut-être aussi qu’il est seul. L’aéroport d’habitude grouillant de monde est aujourd’hui déserté : dans la salle d’arrivée des bagages, les panneaux n’affichent qu’un seul vol, le nôtre. L’attente est courte et, devant la guérite où le préposé vérifie les passeports, l’affaire est vite expédiée. Les touristes ne se bousculent pas.

Je ressens ce sentiment d’étrangeté les jours suivants dans la ville que je ne reconnais plus tout à fait. Je retrouve les bâtiments Bauhaus, si caractéristiques de Tel Aviv, construits avant et après l’indépendance, je peste contre les tuyaux et les fils de toutes sortes, d’eau, de clim, d’électricité, qui enlaidissent les façades. Et entre ces immeubles mal entretenus et les bâtiments cossus qui ont proliféré ces dernières années, les très nombreuses constructions et surélévations en chantier, pour la plupart à l’arrêt, comme le sont aussi beaucoup de travaux de voirie : les trottoirs, les routes, le tramway qui doit désengorger la ville. Parce que l’économie est désorganisée ? Ou plus probablement parce que les ouvriers palestiniens ont déserté les chantiers ? A l’évidence, le pays manque de main d’œuvre : les vélos électriques Wolt sont le plus souvent conduits par des livreurs noirs, mais les Asiatiques, très présents dans l’aide à domicile, me semblent moins nombreux et les Arabes de Palestine moins visibles. Autre signe de la solitude d’Israël ?

L’arrêt des chantiers ne suffit pas à l’expliquer, ici prédomine le silence : le ton, d’ordinaire libéré, se fait plus discret. Il ne faut pas heurter les passants en deuil ? Troubler le sommeil éternel des ours en peluche maculés de sang, la tête affaissée, qui ont été posés sur les bancs pour rappeler les morts : un par banc ? Troubler l’atmosphère de recueillement qui saisit le passant lorsqu’il traverse la place qui, en ce seul endroit, interrompt la continuité de la rue Dizengoff, la grande artère qui traverse Tel Aviv de Nord en Sud ? Comment vivre la vie d’avant quand on se demande qui est ce passant que l’on croise ? Un Israélien épargné par le massacre ? En deuil ? Dans l’incertitude d’un membre de la famille enlevé ? Ici, le souvenir est partout présent. Sur les bancs, mais aussi sur la place, autour du bassin central où sont alignés les portraits des otages. Il faut que ce bassin soit grand pour que personne ne soit oublié : une peluche, une image, une bougie devant une jeune fille, un enfant, un jeune homme, un bébé, une personne âgée. Nous avançons lentement, marquons un arrêt devant chaque portrait, parfois plus long parce que tel détail nous frappe, parce qu’on imagine la personne captive dans un tunnel ou dans un bâtiment au milieu des décombres, mal nourrie, mal vêtue, mal lavée.

Comment décrire sans pathos ce que l’on voit ? Et comment l’écrire aujourd’hui alors qu’un autre drame se joue à quelques dizaines de kilomètres de nous ? Le lecteur révolté par la guerre de Gaza pourra trouver indécente cette description. Il condamnera sans doute les meurtres, les viols et les enlèvements du 7 octobre, mais il rappellera aussi que ce qui se passe à Gaza est d’une autre dimension, que les morts secomptent par milliers, que des centaines de milliers de Palestiniens, tout aussi innocents, vivent dans des conditions misérables, connaissent aussi la faim et manquent de tout. Sur les chaînes d’information françaises que nous parvenons difficilement à attraper, les scènes de guerre se succèdent, et il semble que chacune éloigne un peu plus le souvenir du 7 octobre. Depuis les dernières libérations, les nouvelles des otages sont rares. Comment montrer ce que l’on ne voit pas, en parler même ? Quand sont évoquées les négociations avec le Hamas, les dispositions sur les otages sont souvent oubliées, il n’est question que de cessez-le-feu. Très vite, s’impose l’évidence de la culpabilité d’Israël. 

Aucune image ne peut être opposée à celles de la guerre du fort contre le faible, et aucune parole ne peut en limiter la portée. Dans la guerre asymétrique des images, le fort devient le faible : inutile de dire que vous n’avez pas bombardé tel hôpital, que vous avez investi tel autre hôpital noyauté par le Hamas sans faire de victimes civiles ou que le décompte des morts donné par le Ministère de la santé du Hamas ne distingue pas les civils et les militaires, votre parole est inaudible. Israël retrouve son image de colonisateur brutal. « Ce pays est détestable », m’écrit une vieille amie philosémite.

Quelques jours après notre arrivée, les rues reprennent vie. Le shouk, qui me rappelle mon enfance, l’a vite retrouvée. Tout ici déborde : la nourriture, le bruit, et, la veille du shabbat, le monde. Ici se côtoient les religieux qui vous proposent de mettre les tefilins, les jeunes filles court-vêtues, les Français qui parlent fort, les stands cacher et ceux qui ne le sont pas, des passants qui portent une croix, des Arabes, rares, qui tiennent des stands, des pauvres qui mendient. Et, par-dessus tout, la vie, les odeurs, la musique si caractéristique de l’orient : le shouk, seul endroit sans doute où les séfarades ont pris le pouvoir. 

Ailleurs, les impressions sont contrastées. Malgré le temps clément, la plage est désertée en semaine mais elle reprend vie le shabbat sur le sable comme sur la promenade de bord de mer (la tayelet). Le passant ordinaire avance avec précaution, attentif aux ballons qui surgissent de toute part, aux vélos et surtout aux trottinettes électriques qui roulent à vive allure. Il croise des gens de toute sorte : de nombreux jeunes aux corps sculptés, les garçons torse nu, les filles tee-shirt raccourci, des religieux très prudes, des musiciens isolés, un petit groupe de krishnas, quelques familles arabes. Nous aimons marcher vers Yafo (Jaffa), la côte y est plus escarpée, la route plus sinueuse, la perspective plus séduisante. On passe devant la mosquée Al-Bahr, on distingue au loin l’église Saint-Pierre perchée sur la petite colline, on sent les odeurs des embruns. J’observe les femmes voilées de plus en plus nombreuses à mesure que nous avançons. Signe tangible de l’apartheid que pratique Israël ? On peut en douter : alors que nous sommes encore loin de Yafo, des familles arabes sont assises sur l’herbe, près d’autres familles juives et, plus au Sud, les uns et les autres se côtoient en nombre, semble-t-il naturellement. Mais il y a bien une barrière invisible que les Arabes franchissent peu : à l’approche du centre de Tel Aviv, ils rebroussent chemin. A quel point exactement et selon quelle logique ? Je ne le sais pas.

Nous nous étonnons de cette cohabitation en apparence tranquille. Les Arabes et les Juifs se parlent peu, en tout cas dans les lieux que nous fréquentons mais, à Tel Aviv, les conflits ont été rares : « Tu vois, les Arabes israéliens se sont montrés pacifiques », dit ma femme ; « Les Juifs aussi », je réponds. Nous ne pouvons pas le vérifier exactement, mais l’expression « se montrer » est sans doute la bonne : malgré nos désirs et nos rêves, nous ne croyons pas à un amour réciproque. De part et d’autre, on se montre généralement calme, mais en raison plus que par sentiment d’appartenance commune.

Plus qu’au shouk et sur les bords de mer, c’est sur les terrasses des cafés que l’on peut observer le changement dont je parlais. Au pied de notre immeuble, les fauteuils et les canapés anciens qui débordent sur les trottoirs sont occupés par des jeunes gens, beaucoup travaillent sur leur ordinateur. Nous apprendrons le lendemain qu’ils viennent d’être démobilisés, renvoyés au moins pour un temps dans leurs foyers. Ils ont passé cinq mois à Gaza et, à leur contact, nous ressentons de manière plus vive notre étrangeté. 

Pourquoi sommes-nous là ? Nos amis israéliens saluent notre présence, de manière excessive parlent parfois de notre courage. Ceux qui viennent spécialement de France et, à peine débarqués, prennent un car pour aller dans les champs aider à la cueillette des fruits et des légumes font sans doute preuve de courage. Mais moi qui n’ai plus tout à fait l’âge, et le dos, pour de telles activités ? Je ne peux qu’écouter, et essayer de comprendre. 

Les amis, universitaires, journalistes, intellectuels que nous rencontrons ne représentent pas l’échiquier politique du pays. La plupart sont de gauche, depuis toujours engagés dans les luttes pour la paix et une solution à deux Etats. Ils ont partagé les espoirs d’Oslo, pleuré la mort de Rabin, tenté dans l’adversité de préserver les liens avec les Palestiniens. Certains se disent gauchistes, d’autres proches de Yaïr Golan ou de Yaïr Lapid, tous s’opposent à Benjamin Netanyahou. Les propos, catégoriques, s’expriment dans la logique de l’ennemi plutôt que dans celle de l’adversaire. Je suis frappé par le sentiment de haine qui s’exprime et par la profondeur des clivages, politiques mais aussi religieux qui traversent le pays. Entre les religieux – entendons, les ultra-orthodoxes – et les laïcs, la frontière apparaît infranchissable : dans les propos que j’entends, il est question d’égalité de traitement dans le paiement des impôts, du financement des yeshivas et, plus encore, de service militaire universel. La crainte monte face à cette population qui croît et forme comme une verrue à l’intérieur du pays : un groupe hors-système qui parle droits mais ne connaît pas ses devoirs, qui vit dans un pays que, parfois, il ne reconnaît pas et qui, par la grâce de Netanyahou, a pénétré les sphères du pouvoir. Avec le religieux, le laïc ne peut pas nouer de compromis. 

Les clivages se croisent mais ne se superposent pas. Netanyahou s’est allié par raison aux religieux, mais lui-même est un laïc. Il s’acoquinerait avec le diable s’il le fallait pour sauver son poste et, pour la même raison, il prolonge la guerre pour le conserver, dit un ami. Je ne comprends pas bien ce raisonnement : parallèle au gouvernement, existe un autre circuit, le Cabinet de sécurité, où siègent en particulier les généraux Gadi Eizenkot et Benny Gantz connus pour leurs positions modérées et leur opposition au Premier Ministre. Ce conseil n’aurait aucun pouvoir ? Ils partagent les mêmes idées sur la guerre qu’il faut mener, mais ils insistent sur les perspectives de paix que Netanyahou ignore totalement. Et, sur cette question, il peut pousser au plus loin son autonomie de pouvoir et de parole, me répond-on.

L’universitaire français qui tente de comprendre les subtilités de la politique israélienne doit recomposer ses catégories de pensée. Il sait ce que le clivage droite-gauche veut dire, il a appris qu’il convient de distinguer le libéralisme économique et le libéralisme culturel. Souvent de gauche, il défend la libéralisation des mœurs mais il se méfie aussi de la loi du marché. Il sait ce que veulent dire les clivages de classe et, pour cette raison, il a longtemps observé la politique israélienne avec ses lunettes un tantinet marxistes. Le paysage n’est plus le même aujourd’hui. La pauvreté n’a pas régressé, mais les clivages de classe ne recouvrent plus les clivages politiques. Comme dans de nombreux autres pays, les ouvriers et les employés votent maintenant à droite et, plus que dans les autres pays, la question nationale relègue au second plan la question sociale. 

Le 7 octobre n’a pas effacé cette hiérarchie, mais il a en partie redistribué les cartes. Face à la droite et l’extrême droite plus que jamais hostiles à la création d’un Etat palestinien, nos amis continuent de défendre cette option. C’est même sur ce point qu’ils s’opposent le plus fermement à Netanyahou, mais ils n’expriment pas un désaccord ferme sur la guerre en cours. Il fallait la faire, et on ne peut pas la faire sans victimes innocentes. Et s’ils s’opposent sur l’entrée dans Rafah, c’est parce qu’elle n’est aujourd’hui plus possible. Elle l’était hier, et c’est alors qu’il fallait la faire. La gauche israélienne n’a jamais été indifférente aux questions de sécurité, elle n’a jamais été pacifiste comme l’a été une partie de la gauche française avant et après la seconde guerre mondiale. Mais il semble que le 7 octobre a renforcé cette exigence. La gauche ne se dira pas moins nationale que la droite. 

Nous sommes allés le samedi soir sur la place des otages et j’ai été frappé par la pluralité des slogans et des symboles. « Akhshav », « Akhshav », crient les manifestants. Il faut maintenant libérer les otages, arrêter la guerre quel qu’en soit le prix. Politique, le slogan marque l’opposition à Netanyahou dont un autre cortège réclame la démission. Incessamment répété, il confirme que la guerre n’a pas comblé les clivages. Mais repris par une foule d’où émerge une nuée de drapeaux bleu et blanc, où un manifestant brandit une menorah, où un autre récite le chema, il prend une autre dimension, moins clivante. « Israël a remplacé la religion », m’a dit un jour un ami universitaire. La formule m’avait sur le moment surpris : les mots qu’il utilisait ne sont pas de même nature et ne s’opposent pas nécessairement. Mais, en dehors de sa portée polémique, elle rappelle que le pays est un bien partagé ; chacun peut y mettre sa part, mais nul ne peut se dire plus national que l’autre.

Est-ce cela être sioniste ? Si l’on exclut les haredim antisionistes, le mot ne fait pas ici débat, et il ne vient à l’idée de personne que ce pays aurait pu être créé ailleurs. On peut être athée et, sans apparente contradiction, revendiquer cette terre dont pourtant seuls les textes bibliques paraissent justifier l’existence. Un Israélien, un Juif, est sioniste, et c’est cela que beaucoup lui reprochent. 

Loin de la France, nous sentons monter la musique dissonante de ceux qui nient tout antisémitisme mais clament leur antisionisme. Elle n’est pas nouvelle, je l’ai entendue très tôt susurrée à gauche et, maintes fois, j’ai tenté d’expliquer à mes amis et collègues le sens du mot que beaucoup reprenaient sans en mesurer la portée. Mais lorsque je le faisais, je ne doutais pas de leur sincérité. Dans ma famille où l’on raillait facilement ma crédulité, je disais que l’Université était un lieu de savoir et d’ouverture protégé de toute forme de racisme, de xénophobie ou d’antisémitisme. Je ne le dirais plus ainsi aujourd’hui. De loin, nous voyons proliférer les slogans des manifestants dans les universités américaines, nous percevons le changement de ton de certains de nos collègues, nous entendons les politiques qui, à l’extrême gauche, manient la litote. Ils ne se disent pas clairement antisémites, mais ils repoussent au plus loin le seuil du tolérable.

Antisémitisme : le mot circule tellement dans les médias qu’il me devient insupportable. Je ne l’ai jamais beaucoup aimé ce mot dont le sens est pourtant clair, peut-être parce qu’il pointe et isole un peuple que l’on dit grégaire et qui se complaît dans la plainte. Un peuple insaisissable, qui cultive le souvenir de la Shoah et affirme en même temps sa toute-puissance. Peut-on avoir de la compassion pour le bourreau hier victime ? Appliquée aux femmes violées, la question intrigue. Il y a donc des femmes qui ne le sont pas tout à fait ? 

De même que les marxistes ne pouvaient pas concevoir les inégalités de genre, on disait alors de sexe, de même la gauche radicale, et de nombreuses féministes, ne peuvent de fait concevoir les violences, viols et mutilations commis le 7 octobre sur les femmes qui, parce qu’elles sont juives, ne sont que, secondairement ou pas du tout, comprises comme des femmes. Et, de manière générale, les Juifs ne peuvent, par définition, être objets de compassion. C’est pour cette raison aussi que les accusations d’antisémitisme adressées à ces courants radicaux, ou moins radicaux, manquent leur cible. Toutes proportions gardées, les Juifs sont, pour ces courants, ce que les femmes étaient pour les marxistes : ils sont avalés par le clivage dominant-dominé dans lequel ils ont une place assignée. Ce qu’expriment les antisionistes n’est pas de l’antisémitisme puisque les victimes ne sont pas des victimes. 

Nous étions arrivés en Israël inquiets de ce que nous allions découvrir. Le quotidien nous a pris dans ses rets, nous avons progressivement trouvé notre place, dans un entre-deux incertain composé d’intérieur et d’extérieur. Nous avons observé et participé avec, de moins en moins présente, la crainte de projeter sur ce pays nos attentes et nos inquiétudes. Mais, alors que le séjour touche à sa fin, c’est une autre crainte, celle de notre retour qui nous saisit. Qui, en notre absence, aura gardé la vieille maison ? Et qui pourra encore dire « Heureux comme un Juif en France » ?

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