Elle est comédienne, s’appelle Léa Wiazemsky. Elle a, en matière de Cafés comme en d’autres d’aussi grande importance, de qui tenir : elle est la fille de Wiaz, le dessinateur du Nouvel Observateur des décennies durant et de la non moins légendaire Régine Deforges, outre qu’elle est l’arrière-petite fille de François Mauriac.
Son bréviaire, Petit éloge des Cafés, est une brûlerie amateure d’histoires pittoresques, aux riches arômes, dégustations littéraires garanties, riche de propos sur le zinc, de corps alanguis sur les banquettes capitonnées des vieux rades, de complots adolescents dans les arrière-salles enfumées pour moineaux désargentés. Léa qui a passé ses jours et ses nuits dès sa prime jeunesse à écumer ces antres de sociabilité complice dont elle a fait ses refuges et sa lice, et qui, à ses heures perdues, fut aussi serveuse, nous emmène par la main faire la tournée des Cafés et des bistrots de Paris, de France et de Navarre, le temps pour nous d’oublier ce cher Nespresso qui trône dans nos cuisines boboïsées.
Il y a mille sortes de Cafés. Léa de 5 à 7 les a tous fréquentés. En tête, les Cafés littéraires de légende, ces institutions obligées que furent et sont Le Flore et ses fameux garçons de café sartriens qui jouent, à l’heure d’Emily in Paris, plus que jamais au garçon de café, Les deux Magots, la Closerie des lilas, feu le Twickenham, les deux Garçons à Aix en Provence, le Grand Bar Castan à Bordeaux, le Bibent à Toulouse. Viennent ensuite les Cafés historiques, le Procope et ses Encyclopédistes, le Café de la Paix à l’Opéra, le Café du Croissant où fut assassiné Jaurès. Voici encore les Cafés-Résistance sous l’Occupation, le Colibri à la Madeleine, le Zimmer au Châtelet, le Café de la Calandre au Mans, Le Garet à Lyon où Jean Moulin, alias Rex, recruta Daniel Cordier : autant de lieux de rendez-vous secrets de l’Armée des ombres. Il y a les Cafés des vacances, que l’on retrouve chaque été, le Commerce à Ars en Ré, le Carioca à Lézardrieux en Bretagne nord, le Sénéquier à Saint-Tropez. Il y a les bars d’hôtel plus ou moins chics, plus ou moins « montants », propices aux premières fois, à l’amour libre, aux amours illicites, comme à l’amour tarifé. Il y a les Cafés du cœur où les mains se cherchent et le cœur chavire, les Cafés-chagrin où l’on se sépare, la mort dans l’âme, il y a les Cafés-crime, rendez-vous de mauvais garçons, telle la Brise de mer à Bastia, il y a les Cafés-killer, tueurs de vrais Cafés, les usurpateurs genre Starbucks et autres établissements aux breuvages encapsulés. Sur 200.000 cafés après-guerre, 40.000 aujourd’hui. Et combien de vrais Cafés ?
Trois choses manquent à l’appel dans le vagabondage romantique de Léa. Pas une seule brève de comptoir, vilaine fille ! Pas une seule de ces perles géniales qui furent la nourriture quotidienne de Blondin, d’Audiard, Alphonse Boudard, Marcel Aymé, de tant d’autres.
Autre oubli : les Cafés-concerts, qu’on appelait jadis des Cafés chantants ou encore des Musicos, lices jadis des chansonniers et des amateurs de vaudevilles, que les Cafés Karaoké ont définitivement tués, mais dont la mode, peut-être un jour, reviendra. On pouvait entrer et sortir de la salle à sa guise, circuler dans les promenoirs, fumer, manger sur le pouce….
Enfin, alors que Léa nous conte par le menu la légende de Saint-Germain-des-Prés, des Cafés rue de Buci, pas un mot ou à peine sur le Café de la Mairie, place Saint-Sulpice, objet mythique pour happy few de la Tentative d’épuisement d’un lieu parisien (où il ne se passe rien), de Georges Perec.
Dans combien de films, combien de livres, les Cafés parisiens et d’ailleurs n’ont-ils pas joué le rôle de figurants, voire d‘acteurs à part entière, tels de vivants personnages ?
On attend maintenant la même chose en film de Léa Wiazemsky sur les Cafés parisiens, en vue d’inscrire ces forges actives de civilisation au Patrimoine immatériel de l’humanité.