La cote des grands artistes africains, le défunt Ousmane Sow de Dakar, les ghanéens El Anatsui et Amoako Boafo, l’ivoirien Aboudia, le malien Abdoulaye Konaté, explose dans les foires d’art internationales. Eh bien le peintre congolais Chéri Samba, qui fait l’objet d’une rétrospective à la Musée Maillol et fut l’un des premiers, lors de l’exposition Les magiciens de la Terre, à La Villette en 1989, à introduire l’Afrique sur la scène artistique contemporaine, ferait presque figure, à près de soixante-dix ans, d’ancêtre quasi-muséal, tant la relève est nombreuse, tant à Londres, qu’à Paris et New York. Africart, Artafrique, le continent noir est partout à l’honneur. Et Chéri Samba fut l’un de ses pionniers. 

Ce qui frappe d’emblée à découvrir sur un demi-siècle ou presque les grands formats du Maître de Kinshasa, c’est la jubilation de peindre et de vivre qu’ils affichent insolemment. Une félicité propre à Chéri Samba, dont le double patronyme est déjà tout un programme. Toutes ses œuvres sont emplies d’une empathie joyeuse pour les sujets traités, en premier lieu lui-même portraituré en cent situations surréalistes, le pinceau entre les dents, en poisson-sirène, cheminant avec Picasso, toiles sous les bras. Est non moins mis en scène le peuple de Kinshasa, haut en couleur, représenté se débattant entre la survie au jour le jour dans le chaos urbain, la musique populaire, la sape et la fête au son des tambours parleurs de ce peintre journaliste, ainsi qu’il se qualifie lui-même. 

Ses thématiques oscillent entre hyperréalisme ethnographique et imaginaire à paillettes, entre humour loufoque, ironie mordante et fausse naïveté. Sans oublier, sous forme de métaphores sans fard de la part de ce rebelle universel tout en douceur, une critique savoureuse des mœurs parasitaires de la famille africaine quand l’un de ses membres s’avise de réussir. Et le constat de la dépendance de l’homme africain à ses mille et unes mères allaitantes. Son éternelle nostalgie du sein maternel. Plus une autre critique, tout aussi acidulée, du monde politique africain et au-delà. 

Dans la ligne de mire de notre franc-tireur, le racisme, l’inégalité hommes-femmes, la mémoire de l’esclavage, l’exploitation des petits planteurs de bananiers, le changement climatique. Une femme nue vomit des armes de toutes sortes à la surface du globe, un enfant-soldat parade seul, Mobutu va tomber parce que Chéri Samba, qui a eu quelques petits ennuis avec sa police, n’en peut plus de la dictature et le lui signifie en peinture, sans appel.

Chéri Samba a l’art de mettre les rieurs de son côté et l’humour reprend vite ses droits. Ainsi cette toile intitulée Mes soutiens, où Samba expose devant lui une pleine collection de soutiens-gorges. Cette autre encore, intitulée Deuxième bureau : un homme qui ressemble furieusement à l’artiste consulte son ordinateur entre les cuisses de sa maîtresse dans son plus simple appareil.

Les femmes, chez Samba, sont toutes désirables et multiples, Black is beautiful quand il s’agit d’elles. Elles ont des seins triomphants qu’elles voilent ou dévoilent dans des waxs magnifiques. Mais on ne saurait trop, pour l’heure, se confier à elles. Le matriarcat n’est pas mort.

Samba qui se souvient avoir été dessinateur de BD dans une autre vie, truffe les contours de ses toiles d’une glose explicative plus ou moins liée à la figure du tableau. Il explique avoir découvert ce procédé quand il exposait à Kinshasa dans la rue, à la porte de son atelier. Les badauds s’arrêtaient, commençaient de lire, dévisageaient le tableau, la foule s’amassait, riait, commentait, au lieu de jeter un coup d’œil distrait en passant. Nous faisons de même et restons devant ces cinquante toiles « amusantes et bavardes » deux bonnes heures sans nous lasser.

Chéri Samba ? L’art, le bonhomme ? Une des cent bonnes raisons d’aimer l’Afrique et croire en son avenir.


Chéri Samba, dans la collection Jean Pigozzi
DU 17 OCTOBRE 2023 AU 07 AVRIL 2024
Commissaires d’exposition : Jérôme Neutres et Elisabeth Whitelaw
Musée Maillol
59-61 rue de Grenelle
75007, Paris
De 10h30 à 18h30 Nocturnes les mercredis jusqu’à 22h