Écrivain s’il en est, homme fait littérature, romancier mimétique des atmosphères d’époque aux parfums surannés, on n’imaginait pas à Marc Lambron d’autre lignage que bien tempéré, mélange giruldacien des années 30 et de prosateur de vies et destins à l’ancienne. Bref, notre académicien feutré incarnait un antimoderne affiché, même s’il truffait à l’occasion sa biographie intellectuelle de quelques incursions, en son adolescence lyonnaise, dans le monde planant du rock and roll, génération 70.

Surprise ! Ce raconteur nostalgique qui tutoyait la grande Histoire par personnages interposés, avait, humblement exhibé aujourd’hui comme un aveu à retardement, un passé qui, à en juger par le temps que prit sa résurrection, ne passait pas, en œil soigneusement caché du silence. Un homme, ici, se penche sur son passé. Celui des deux générations des siens qui le précédèrent, à qui il ne ressemble en rien et auxquels ce Parisien d’adoption jusqu’au bout des ongles rend d’autant plus hommage.

Qui étaient ces Lambron d’avant lui-même ? C’étaient des humbles, des ruraux parlant morvandiau, ouvriers aux Hautes cheminées des aciéries d’Imphhy, institutrices en blouse grise, épicières, vivant d’espoir et de ténacité, formant une communauté de méritants, d’enfants du savoir, derniers témoins du monde d’avant les Trente Glorieuses, d’avant les transistors, la Télé et l’entrée dans la société de consommation. Le linoléum remplacerait les parquets. C’en serait bientôt fini de cette France des terroirs, des patois et des cultures populaires qui faisaient le tissu, à mille lieues de Paris, du pays profond, et dont Lambron après tant d’autres, à l’instar de Pierre-Jacquez Elias et son Cheval d’orgueil, raconte avec émotion la brève et radicale agonie.

Tout était rare, dur à la peine, un sou était un sou, tout s’économisait, c’était une cuisine de restes, les légumes venaient des jardins, on péchait les goujons dans la Loire, les peaux des lapins faisaient les manteaux de fourrure, on recevait une ménagère en trousseau de mariage. C’était une société indulgente aux originaux, aux exhibitionnistes, au curé, auquel on préférait Thorez. « C’était comme ça » résumait toute la philosophie d’une population qui s’acceptait comme telle, s’accordait au monde, tout humiliée qu’elle soit, sans renoncer à le transformer. Son grand-père, quittant sa maison de toujours pour mourir à l’hôpital de Nevers, dit : « Je pars pour les Amériques. »

Lambron parle avec des mots justes de l’éphémère, de la beauté du révolu, se reconnait à l’égards de ses aïeux du pays morvandiau des Hautes cheminées, une « dette de racine autant que d’altérité. » Avant de conclure, ramenant tout ce passé à lui par une alchimie dont il ne nous donne ici pas le secret : « Ces pauvres m’ont fait riche. »

Il y avait le monde d’avant. Ni ce monde, ni ce temps ne seront, dans ce trop bref ouvrage, retrouvés.