Dimanche, avaient lieu les élections régionales en Emilie-Romagne, terre de gauche, et en Sicile, terre de droite. Parce qu’elles étaient le seul scrutin d’importance entre la formation, baroque, du gouvernement 5 Etoiles et Parti Démocrate en septembre dernier, et les prochaines élections législatives en 2023, ces élections étaient capitales. Elles étaient la première épreuve du feu pour le gouvernement Conte, ce 5 Etoiles, ancien arbitre entre Di Maio et Salvini, reconduit, de façon inattendue, à son poste de Président du Conseil avec le changement d’alliances vers la gauche. Elles étaient la première occasion de revanche électorale, aussi, pour Salvini, le leader de la Ligue, qui avait voulu provoquer des élections en sabordant son propre gouvernement en août dernier, mais avait été pris à revers par le retournement de majorité 5 Etoiles- démocrate. Quelles en sont les leçons ? On peut en dessiner trois.

1° – C’est d’abord une défaite, relative, de Salvini. Bien sûr, d’un côté, si l’on voit le verre à moitié plein, Salvini triomphe. Il parachève son OPA sur la droite : en Emilie-Romagne, par exemple, son candidat fait plus de 35%, et l’ancien parti de Berlusconi, un ridicule 4%. Il atteint des scores très flatteurs pour un parti d’extrême droite. Mais Salvini avait fait un autre pari. Ridiculisé par le piège qu’il s’était tendu à lui-même – cette auto-destruction du premier gouvernement Conte, à l’été, pour remporter la mise dans les urnes, et contrecarrée par une combinazione très surprenante entre Renzi, Conte, Di Maio et les leaders démocrates –, il voulait remporter l’Emilie-Romagne, une terre de gauche, pour démontrer qu’il était majoritaire dans le pays, acculer le gouvernement gauche/ Cinq-étoiles à la démission, pousser à un nouveau scrutin national, et rafler la mise dans les urnes. S’il était capable de gagner dans un bastion démocrate, alors comment les ministres démocrates pouvaient-ils prétendre continuer à diriger le pays, puisque, manifestement, ils étaient minoritaires jusque dans leur fief ? Et bien ce pari-là, pour Salvini, est perdu. L’Emilie-Romagne reste à gauche. Il est toujours redoutable, et fort, mais il n’a plus d’occasion de renverser la table d’ici 2023 : il a grillé toutes ses cartes.

2°– C’est la curée pour les 5 Etoiles. Voilà un an, aux élections nationales, ils atteignaient 30%. Le parti-entreprise, bien décrit par Giuliano da Empoli dans son livre «Les Ingénieurs du Chaos», sans programme mais plein d’algorithme, fondé par Beppe Grillo, dirigeait une puissance du G7. En Emilie-Romagne, il atteint désormais 4%. Son leader, Di Maio, a démissionné la semaine dernière de la présidence du parti. Grillo est à la retraite. 30 membres des groupes parlementaires ont quitté le mouvement, ce qui est du jamais vu. Ne restent que quelques seconds couteaux, et Casaleggio, le fils du démiurge, l’ingénieur du chaos, qui a mis au point cette, jadis, terrifiante machine à agréger, manipuler, et sonder le cœur des électeurs italiens. Rome a inventé le passage du Palatin à la Roche Tarpéienne, du pinacle à l’enfer. Les 5 Etoiles vivent cela, précisément, en ce moment. Ils ne sont presque plus grand chose, après avoir été au sommet.

3°– Bizarrement, la gauche va bien. Enfin, le centre-gauche. Bien entendu, encore une fois, l’Emilie-Romagne est une terre historiquement favorable – Bologne était rouge, et la région est désormais prospère et progressiste, en France, l’on dirait bobo. Bonaccini, son président démocrate, réélu, avait un bilan jugé unanimement positif. Et c’est d’Emilie-Romagne qu’est né le mouvement des «sardines», ces jeunes, ces militants, ces citoyens, ces paisibles habitants républicains, qui, n’en pouvant plus de Salvini, se sont mis à défiler contre l’extrême droite, en ciblant l’ex-ministre de l’Intérieur, à coups de blagues, mais en bannissant les insultes ou la haine. Il faut donc avoir une lecture très prudente de ce résultat local, même si Salvini avait tout fait pour en faire un test national. Mais voilà, le Parti Démocrate, jusqu’alors partenaire fragile de la coalition avec les 5 Etoiles, a pris le leadership. Eux font 30%, et les 5 Etoiles, 3%. Cela donne des idées. Conte s’est rapproché des démocrates, qui le courtisent. Bonaccini, le candidat heureux, a fait une campagne hors-parti, citoyenne, écolo. Voilà qui pourrait donner d’autres idées à la gauche. L’Italie est connue pour avoir toujours inventé les formes politiques modernes, en avance de trente ans sur tout le monde : le fascisme en premier ; l’euro-communisme avant les autres, l’intrusion des juges dans la politique, Berlusconi avant Trump, les 5 Etoiles avant les Gilets Jaunes, etc. Si on est tenté de lire dans les soubresauts de la politique italienne comme dans une mare de café, alors – pour une fois ! – l’avenir est peut-être moins désespérant que prévu…