J’ai entendu Christine Angot lire la Lettre au père de Kafka, au Théâtre Daniel Sorano. Dire le texte. Ni l’interpréter, ni le commenter. Non, rendre perceptible à l’oreille ce que dit le texte. Faire entendre que la peur de Franz sur quoi s’ouvre la Lettre « Tu m’as demandé récemment pourquoi je prétends avoir peur de toi » est une terreur liée à quelque chose « qui n’est pas en ordre ». Il ne s’agit pas de la crainte devant l’autorité mais d’une accusation infinie, d’ « un tremblement permanent du fond de l’être » comme Jacques-Alain Miller le propose dans sa lecture de la Lettre (Le Neveu de Lacan).
Puis, j’ai entendu Christine Angot lire, à quelques mètres de là, Une semaine de vacances. Elle prend le texte à corps. Le geste est là. Les mains, les regards, les déplacements, tout rend le texte souverain, le met en pleine lumière. On songe ici à paraphraser Baudelaire traitant du tableau dans ses Écrits sur l’art : « Un texte n’est que ce qu’il veut : il n’y a pas moyen de le regarder autrement que dans son jour ». Sa lecture me saisit pour ce qu’elle rend visible : détruire toute phrase nostalgique, en finir avec toute promesse, avec toute destination prophétique. Jacques-Alain Miller convié par Christine Angot à son théâtre, donnera dans un commentaire percutant, décapant, la raison de l’événement que constitue ce livre dans la littérature contemporaine. Une semaine de vacances est « un apologue de notre ras-le-bol du père. Il fait comprendre que nous n’en pouvons plus du père ».
Le Théâtre Daniel Sorano confié à Christine Angot ne fut pas un événement artistique ou culturel ordinaire, disons au sens de l’événement préfabriqué, prémédité, attendu, qui fatigue la sensibilité, mais bien celui qui jaillit d’une situation. En particulier celle-ci. Lecteurs de Lacan, lecteurs tout court, nous connaissons l’importance de la littérature pour la psychanalyse, dans notre référence aux classiques, indépassable. Mais l’époque est au présent, indéniablement. Et la rencontre de ces lectures contemporaines surprend, prend au dépourvu. A lire, à entendre, à rencontrer Christine Angot, Camille Laurens, Tiphaine Samoyault, Norah Krief, réunies dans le « Angot circus » selon le mot de JAM, apparaît une solidarité d’aujourd’hui entre psychanalystes et écrivains : être attentif aux formes actuelles de la création littéraire, partager avec quelques autres une cause, celle du désir, dont l’absolu se tient éloigné du père. Now, il s’agit de rester proche de ce qui fit un jour événement à Toulouse.
Norah Krief est comédienne de théâtre.