Sabina Guzzanti, Draquila, hors-compétition
Gust Van den Berghe, Little Baby Jesus of Flandr, Quinzaine des Réalisateurs
Im Sangsoo, The Housemaid, En compétition
Cannes, milieu naturel de la jet-set, a débauché un VRP de luxe : le ministre italien de la Culture, fidèle de Berlusconi, qui a annoncé à grand fracas médiatique son intention de boycotter le festival. Beau coup de pub pour le film incriminé, l’incendiaire Draquila, véritable mise en examen cinématographique du Cavaliere. Mais preuve aussi qu’à son corps défendant, le ministre est un cinéphile qui s’ignore. Si le film est une impitoyable radioscopie de la confiscation par la propagande berlusconienne du séisme catastrophique de l’Aquila en 2009, il incarne aussi l’exemple-type du pamphlet à gros sabots, qui confond tronçonneuse et caméra. Un montage épileptique, des décibels en pagaille : à côté Michael Moore fait dans la dentelle. Dommage, parce que Sabina Guzzanti était craquante au milieu du public dans sa robe de femme-fleur. Même si on confesse n’avoir eu d’yeux que pour l’étincelante Giovanna Mezzogiorno : l’actrice, jurée de ce cru 2010 et venue en compatriote, nous a ébloui comme une apparition céleste.
De Ciel, justement, il n’était question que de ça dans Little Baby Jesus of Flandr, sidérante aventure mystique, ciselée en noir et blanc, de trois clodos flamands touchés par le Christ. Le film mitonne une sorte de Buñuel à la sauce flamande, traversé de visions surréalistes et d’instants littéralement extatiques. Avec leurs trognes d’alcoolos ahuris échappés d’un Breughel, nos pieds-nickelés simples d’esprit réactivent le vieux message évangélique : soyez pareils à de petits enfants. La grâce est l’apanage des petits, des miséreux et des idiots – pas des églises ou des prêtres que Gust Van der Berghe daube allègrement. Ce que, manifestement, le spectateur hargneux qui s’est égosillé « Danger ! Film sectaire ! » à l’issue de la projection n’a pas bien compris…
Décidément, le vendredi c’est le jour des enfants à Cannes : après le petit Jésus flamand, c’est le tour d’une grande enfant coréenne dans l’excellent The Housemaid. Le très barré Im Sangsoo – auteur notamment de l’estomaquant The President’s Last Bang (2005) – s’attaque au remake d’un sommet du cinéma coréen, The Housemaid de Kim Ki-young (1960). Euny, naïve et tendre, s’engage comme servante dans une famille de la très grande bourgeoisie. Im Sangsoo filme la liaison de la jeune femme et du père comme à travers un brouillard glacial et bleuté : car dans cet univers où les seuls enjeux sont des enjeux de pouvoir, tout n’est que luxe, froideur et avidité. Euny détonne et, restée en enfance, elle détraque ce monde adulte, trop adulte. The Housemaid, ou la révolution par l’innocence.