Baudelaire a tenté de rendre, dans ses poèmes, le subtil sentiment de la synesthésie. Mais comment le traduire dans une image ? Par définition, ce qui est visible n’est pas audible. On n’entend pas ce que l’on voit : et une photographie n’est rien d’autre qu’une perception partielle d’une réalité, partielle et fictive.
Face à cela, certains ont fait le choix de la mise en scène de l’élégance, d’une sorte de « glacis » imagier. C’est Annie Leibovitz, pour Vanity Fair. C’est Tim Walker, pour le Vogue italien. D’autres ont préféré rendre la vie, rendre ce grouillement extraordinaire d’énergie. Ce que l’on a appelé la photographie humaniste, dans les années 1950, en porte le témoignage.
Mais Vera Lutter propose quelque chose de fondamentalement différent : c’est l’image du silence qu’elle transmet. Fabricant des machines photographiques si singulières, des sortes de « chambres obscures », elle fait rejouer les mécanismes utilisés par un Man Ray pour proposer des images tout en contraste, d’ombre et de lumière, de vie et de mort, où le sentiment aigu d’une paix étrange et inquiétante transparaît. On pourrait songer à De Chirico, en un sens, et à la « metafisica ». Une « metafisica » simplifiée, sans couleurs, rendue à l’essentiel et où le réel lui-même devient le symbole.
Certains diront : ce sont des paysages, des vues de Venise, notamment. C’est vendeur. D’ailleurs, est-ce un hasard si un des galeristes qui la représentent n’est autre que le mythique Larry Gagosian ? Là n’est pas le problème : ce qui compte, c’est que rares sont les artistes à avoir approché d’aussi près ce que Simon & Garfunkel ont appelé le « son du silence », et à l’avoir transposé en image.
Et pour cela, grâce doit être rendue à Vera Lutter.