… Tuesday, 8 June 17.00 Fernando Arrabal at the Cervantes Institute; Prague

… Wednesday, 9 June 13.00 signing: Fernando Arrabal | Michael March | Big Ben…

18.00 Conversation: “Rebellion” Gao Xingjian, Fernando Arrabal, H.M. Enzensberger Denis Molčanov (moderator) in French | translation: Czech | English

… Thursday, 10 June … Fernando Arrabal in Czech | English in Spanish | translation: Czech | English

…etc …

«…excitement is growing among literature fans in the Czech capital … with an attention-grabbing theme – P1010434“Heresy and Rebellion” … three Nobel Prize-winners – Gao Xingjian, Herta Muller and Derek Walcott. – and top writers Hans Magnus Enzensberger and Fernando Arrabal… Michael March told the Prague Post: “It chose us. All writers are outsiders and heretics…”

___________________

Conversation entre Claire Legendre & Fernando Arrabal ,

Claire Legendre, romancière, Grasset www.clairelegendre.net , [traduction Jovanka Sotolova www.iliteratura.cz ]

P1010390 (3)Claire Legendre – En tant qu’expatriée, j’aimerais que vous m’expliquiez ce que signifie ce mot que vous utilisez pour définir votre situation d’auteur espagnol vivant en France depuis 1955 « desterrado »?

Fernando Arrabal – En espagnol desterrado signifie « banni ». J’emploie le mot dans le sens d’expatrié et non d’exilé . Je ne suis pas rivé à un lieu. Je n’ai pas de racines, mais des jambes. La boue est la poussière de l’eau, la cendre, celle du feu, et ‘el destierro’, celle de l’éternel retour. Avec mon planeur virtuel… l’avenir… déjà !

C. L. – Vous avez écrit en français nombre de vos œuvres, est-ce que ça fait une différence, de ne pas P1010387 (3)écrire toujours dans sa langue maternelle ? Et si oui, de quel ordre ?

F.A. – Le français est moins souple, moins ambigu que l’espagnol. Je suis forcé de réfléchir pour parvenir à rendre une sorte d’« incomplétude », en français. Vive Gödel ! Viva Adelita ! Sinon, il n’y aurait pas de « confusion panique » : donc de vie dans l’écriture. Mais on peut léviter avec son seul petit doigt.

C. L. – Votre film Viva la muerte a été projeté à Prague ces jours-ci, dans le cadre du Festival des écrivains. C’est un film qui a marqué son époque et qui est aujourd’hui « culte » pour toute une génération de cinéphiles. P1010383 (3)Quel a été son accueil à sa sortie? Est-ce que c’est un film sur l’histoire (la Guerre d’Espagne n’est pas seulement une toile de fond, mais c’est en grande partie le sujet du film) ou bien est-ce surtout pour vous une œuvre intime ? Votre propre enfance y est très présente. On a l’impression que vous avez su conserver une grâce, de tendresse qui est propre au regard des enfants. Quelque chose qui est à la fois naïf et ludique, et qui cohabite étrangement avec votre lucidité implacable sur l’histoire (à la fois politique et familiale). C’est peut-être ce qui fait la force poétique de votre œuvre. Considérez vous aujourd’hui que ce film est autobiographique ?

P1010382 (3)F.A. – Oui , Viva la muerte est un film en grande partie autobiographique. C’est peut-être pour cela qu’il touche le public presque un demi-siècle après sa réalisation. [On peut traire des poules. On le peut, mais il faut chasser les poussins.] J’y ai mis tout. Je me suis empalé. C’est un film viscéral, qui tente d’exprimer l’organique, la brutalité du réel quotidien et historique. Sympathiques fanatiques ! Qu’en serait-il de la vie et de la polémique sans eux ? Viva est une œuvre intime, liée à l’histoire dans laquelle ma propre enfance s’est déroulée. Je devrais porter un tablier cloué avec des bistouris et pour casquette, un bonsaï enraciné dans ma cervelle. C’est la petite histoire vécue dans la grande. Le film a été bien accueilli. P1010381 (3)Est-il devenu, comme on le prétend, un film « culte » ? Quel mystère ! Un critique a même prononcé le nom de Rimbaud en prétendant que je le dépassais. L’Espagne a empêché qu’il soit en compétition au festival de Cannes. Je n’ai pas encore (comme les trolleybus et surtout les tanks) des pattes d’oie et des rides dans la mémoire.

C. L. – A Prague je croise souvent, dans la rue ou dans le métro, un homme et une femme paralytique. L’ensemble de leurs affaires est attaché au fauteuil roulant. L’homme pousse le fauteuil, la femme fait la manche. Je connais votre pièce Fando et Lis depuis que je suis toute petite, mais il ne m’était jamais venu à l’esprit que c’était P1010380 (3)un couple de SDF. Il a fallu ce couple pragois pour que je m’en rende compte. Il me semble que la dimension sociale est finalement absente de votre théâtre, pas parce que vous n’en parlez pas, mais parce que vous la transcendez sans cesse. Un peu comme dans La Strada de Fellini, ou chez Beckett, sauf que chez Beckett on parle de clochards métaphysiques… Chez vous, on voit simplement un homme et une femme. Leur dénuement est une matière poétique. Pour vous, qui sont Fando et Lis? Leur condition sociale a-t-elle une importance ?

F.A. – Fando et Lis sont des marginaux. Ils ne connaissent pas l’immortalité d’expérience. (Ils voudraient – soyons poètes ! – extraire le jambon des glands sans passer par le cochon.) Ils se retrouvent seuls face à face, malgré l’intervention des hommes aux parapluies. Nus face à leurs sentiments. Ils se demandent : « Que puis-je savoir d’elle (de lui) ? Que dois-je faire ? Que m’est-il permis d’espérer avant d’arriver à Tar ?»

C. L. – Votre pièce Claudel et Kafka fait se rencontrer, après leur mort, les deux auteurs. Kafka rappelle à Claudel qu’ils se sont déjà croisés à Prague en 1910, et en 1914. Est-ce que cette rencontre est probable ? Vous êtes je crois venu à Prague sur les traces des deux auteurs, qu’y avez-vous cherché ?

F.A. – Cette rencontre a eu lieu. A Prague, j’ai surtout cherché le souvenir de Kafka. Son corps s’ouvrait [et le mien] comme une grande baie vitrée … il allait prendre froid et devenir tuberculeux. La gymnastique s’imposait. C’était le Golgotha à l’envers. Nous sommes sans chemise et sans pantalon, mais à nos pieds le mille-pattes inquisiteur à cache-col, pour éviter les croche-pattes, avance avec ses cent yeux.

C. L. – Que représentent Kafka et Claudel pour vous? Kafka est-il une référence? Et Claudel ? Que ce soit son catholicisme, sa bourgeoisie, son conflit avec Artaud et les surréalistes, sa responsabilité dans l’enfermement de sa sœur… tout me pousse à imaginer qu’il ne peut pas vous plaire. Que pensez-vous de son théâtre ?

F.A. – J’ai lu Kafka à 18 ans en Espagne , et ce fut une révélation. J’ai écrit une pièce entière, Le Labyrinthe, en hommage à son œuvre. Curieusement il s’est trouvé que la réalité a rejoint la fiction. J’ai appris que mon père avait tenté de se suicider dans les mêmes lieux que l’un des personnages : dans des latrines. Malheureusement je suis imperméable au théâtre de Claudel. Je n’ai pas été éduqué dans les écoles du parti. L’homme m’est antipathique ; surtout en sachant comment il a agi envers sa sœur. Sa Nadja. Il a dansé le French Cancan sur ma tête. Masculinement. Ca pue. Quand il lève ses jambes, du pétrole tombe sur moi.

C. L. – Une question que m’a posée une prof de lettres il y a dix ans : qu’est-ce que c’est que le théâtre panique ? Emprunte-t-il à Jarry ? A Artaud ? D’ailleurs revendique-t-il un héritage ?

F.A. – Le théâtre panique… N’importe qui peut se dire panique. Il porte la marque de la confusion de la vie, de son amoralité, du hasard. [La confusa pièce perdue de Cervantes.] De l’incandescence. Hérite-t-il d’Artaud sans le connaître ? Il pose les questions : « Qu’est-ce que l’être ? Qu’est-ce qui me sépare du néant ? » Ce qui précéda le “ Big Bang”, me donne-t-il le vertige ? Toute beauté est endormie. C’est mon chapeau pour le bal de la Reine d’Alice.

C. L. – En préambule de votre pièce Claudel et Kafka, vous donnez deux types d’indications scéniques :
a) modeste et moderne sans ‘machinerie’: dans ce cas seuls comptent le talent des acteurs et celui du metteur en scène.
b) gigantesque, grandiose. Effets de scènes incessants, tels des nuages en formation, des arcs-en-ciel giratoires, des firmaments lancés à la vitesse de la lumière ou … de l’escargot, etc.
Vous êtes un des auteurs dont les pièces sont le plus montées à travers le monde. Notez-vous des différences entre les manières qu’ont ces deux mondes du théâtre d’interpréter vos œuvres ? Y-a-t-il des clivages ? Des contre-sens ?

F.A. – J’aime l’austérité et la profusion dans la mise en scène de mes pièces. J’aime spontanément le baroque qui marie les contraires. Cependant, j’ai vu des spectacles inoubliables joués avec du papier Kraft, des bouts de ficelles. Malheureusement très souvent, surtout en ce qui concerne Fando et Lis qui est joué constamment, si les acteurs ne trouvent pas le ton juste, le résultat est pénible . Il y a de grandes disparités dans les représentations. Le pire c’est si les acteurs veulent faire « du Arrabal », s’agitent hystériquement, crient, se roulent sur scène etc . Je n’y peux rien : je porte « mon œuvre » sur mon visage écrite avec mes rides, et mon drapeau invisible sur la grande cicatrice-balafre de ma poitrine. L’art consiste-t-il à dissimuler l’art ? (ars celare artem). Pour l’école buissonnière, je m’échappe par les toits.

C. L. – Dans Viva la Muerte on voit le petit Fando jouer avec un petit théâtre « de poche » qu’il s’est construit, comme une maison de poupées. Vous êtes un Maître d’échecs, je n’ai pu m’empêcher d’y voir une relation. Voyez-vous un lien, une continuité, entre le théâtre et les échecs, ces deux terrains de jeu qui sont les vôtres ?

F.A. – J’essaie de cerner la richesse et l’ambiguïté de la vie. En lui donnant un cadre aussi précis que l’imposent les règles du jeu d’échecs. Bobby Fischer avait dit, avant de sombrer dans le délire, que les échecs , ce n’est pas comme la vie , c’est la vie… La mienne n’est qu’une petite putain qui se laisse aller à des débordements quand je rêve la nuit. Elles sont si heureuses, les pinces à linge, sans dimanches ni vacances ! On ne les ennuie jamais ; pas comme les singes au zoo ou les dramaturges [ces ancêtres en voie de disparition], avec des prix et des cajoleries.

C. L. – Vos œuvres reviennent régulièrement, non seulement sur la guerre d’Espagne, mais aussi sur la disparition de votre père, Fernando Arrabal Ruiz, cet homme qui enterrait vos pieds dans le sable, sur la plage de Melilla ( Baal Babylone, Viva la Muerte, Porté Disparu, Le Grand Cérémonial, etc.) le grand absent qui semble être devenu dans votre œuvre une sorte de héros mythique. Est-ce que c’est cela écrire? Inventer une mythologie, pour combler les vides du réel ?

F.A. – Oui, pour moi mon père est une sorte de héros mythique. L’étoile polaire. Je ne sais pas si écrire comble les vides du réel, du moins, il permet de le supporter. Et sans Viagra pour cheval. Ni kétamine pour irrécupérable. Mais pour me suicider d’ici… j’ai le vertige.

C. L. – Vous avez fait un film sur Jorge Luis Borges en 1998, pouvez-vous nous dire quelle est la place de Borges dans votre Panthéon ? Quels sont les autres auteurs dont l’œuvre a été déterminante pour vous ?

F.A. – J’ai connu Borges, qui me qualifiait d’auteur « africain » , puisque je suis né à Melilla. Il occupe une place de choix dans mon Panthéon, par son acuité intellectuelle mais aussi par sa générosité tranquille et son humour. Dans mon Panthéon figurent aussi Dostoïevski, Lewis Caroll, Kafka , Beckett … Et des narcissiques séduits par l’amour-propre.

C. L. – Vous êtes invité à Prague dans le cadre du Festival des Écrivains, pour parler notamment autour de « la rébellion ». Votre père a été condamné en Espagne pour rébellion militaire. Vous avez été emprisonné pour vos écrits. A votre procès ont témoigné les plus grands écrivains. Récemment vous avez témoigné en France au procès de votre ami Michel Houellebecq. La rébellion est-elle pour vous constitutive de la création ? Vous sentez-vous l’héritier de votre père à travers vos écrits ?

F.A. – La rébellion n’est pas seulement constitutive de la création mais de la vie. Je voudrais savoir lutter contre les « autorités » mais aussi contre moi-même. La rébellion peut devenir la règle, souvent à peu de frais. Existe-t-il une frontière entre le flacon et son verre ? Entre le normal et l’anormal ? Qui pourrait la fixer ? L’anomalie est-elle anormale ?

C. L. -Votre dernière pièce L’Adieu aux dinosaures qui a été jouée à Belgrade il y a peu, est à la fois un chant d’amour magnifique et une oraison funèbre. Le couple semble demeurer le seul espace possible, au sein de la société absurde, cruelle, des dinosaures (dont quelques-uns sont reconnaissables…) Vous semblez à la fois porter un regard très désenchanté sur le monde, mais conserver une foi absolue dans l’amour. L’amour est-il inaccessible aux dinosaures ? Ou bien ne parvient-il pas à les transformer en autre chose ? Quel est le secret ?

F.A. – Je suis désespéré mais je fais un acte de foi dans l’amour au sens large du terme. Comme Socrate , je recherche l’amour de l’amour. Sans illusions… Un pari pascalien, s’appuyant sur des lois de probabilités… Le diable, jaloux de ma danse, me tente. Les dinosaures ont toujours été là et ne sont pas près de disparaître. En volant, ils entrent à toute allure dans mes différentes cellules. SOS !

Claire Legendre & Fernando Arrabal , le 2-VI-MMX (‘vulgaris’), 16 Merdre 137 de l’ E. ‘P., « Nativité de S. Donatien. A. François ».